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Accueil next Regards sur l’emploi dans les centres d’appel

«Tous les agrégats sont au rouge»

Que les indicateurs de l’économie marocaine soient au rouge, c’est un constat. Et ce, depuis 2009. Hammad Kassal nous en dresse un bref et condensé tableau. Mais, au-delà du constat, ce sont surtout les pistes de sortie du tunnel qui doivent être débroussaillées pour reprendre le chemin de la croissance.

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Connu pour ses analyses, loin de la langue de bois, H. Kassal estime que «la seule solution est de créer de la richesse d’une manière stable et régulière» et de décliner trois piliers sur lesquels il va falloir travailler. En cours de route, l’analyste ne se prive pas de décocher quelques flèches à l’endroit de l’action gouvernementale. Notre invité relève que «le gouvernement actuel passe son temps à se justifier. Pourquoi n’agit-il pas ?» Pour une réelle issue, H. Kassal note qu’«il faut prendre le taureau par les cornes, activer les réformes qui fâchent aussi bien les pauvres que les riches (…) et revisiter les accords de libre-échange qui ont été mal négociés». Tout un programme.

❶ Le Matin Éco : Tout d’abord, quelle appréciation faites-vous de la situation économique du Maroc, au regard des dernières évolutions sur le plan international ?
Hammad Kassal : Depuis la fin de 2009, la situation économique de notre pays ne cesse de se dégrader, la forte dépendance de notre économie de certains pays européens en crise (France, Espagne, Italie...) et son incapacité à se diversifier a affecté directement les principaux secteurs d’activité de notre économie. Tous les agrégats sont au rouge : le taux de croissance reste très faible pour engager une dynamique, le déficit du commerce extérieur se creuse chaque mois, les recettes touristiques en baisse, les transferts des MRE en régression, les IDE ne redémarrent pas. Tout cela a eu un impact sur les réserves en devises du pays, ce qui a amené le gouvernement à recourir au marché international des capitaux.

❷ Comment peut-on se projeter dans l’avenir immédiat, voire au-delà, sachant tous les défis qui nous attendent ?
La seule solution est de créer de la richesse d’une manière stable et régulière, c’est-à-dire réaliser un taux de croissance de plus de 7% annuellement sur au moins les 5 prochaines années. Pour faire de la croissance, il faut :
En premier lieu, une économie de marché qui fonctionne bien – le signal des prix et les incitations opèrent correctement, la décentralisation et la protection des droits de propriété sont satisfaisantes et une bonne allocation des ressources rares.
En second lieu, un taux d’épargne et d’investissement élevé, supérieur à 30% du PIB. L’investissement doit toucher d’abord l’éducation et les infrastructures. Ces investissements publics affectent grandement la profitabilité des investissements privés, qui sont la locomotive de la croissance.
Le troisième ingrédient est l’amélioration de la productivité. Dans les pays émergents, l’essentiel des gains de productivité provient du changement des structures économiques, ce que Schumpeter appelait la «destruction créatrice» De nouvelles entreprises et de nouvelles activités sont créées, tandis que disparaissent des activités plus anciennes et moins productives. Aussi, un pays en croissance forte et soutenue se transforme-t-il rapidement. Aujourd’hui, la Corée du Sud n’a plus grand-chose à voir avec le centre industriel, à forte intensité en main-d’œuvre non qualifiée, qu’elle était dans les années 60 – 70.
Le quatrième point est de faire évoluer le modèle de croissance basé sur la sous-traitance vers un modèle basé sur l’innovation. La sous-traitance, si elle n’est pas accompagnée par la recherche-développement et par une maîtrise de la technologie, ne pourra jamais générer une croissance forte et durable.

❸ Cela fait une année que le gouvernement actuel est aux commandes. Quelle lecture faites-vous de la vision économique qu’il prône et quels en sont les éléments palpables en clair et en moins clair ?
Le gouvernement actuel est venu avec un programme économique composite (les partis qui composent la coalition n’ont ni les mêmes références idéologiques, ni le même projet sociétal) avec des prévisions ambigües et aucune visibilité pour ce qui concerne la sortie de crise. Les actions menées sont restées superficielles (publication des listes de ceux qui profitent de l’économie de la rente) et clashent avec la CGEM sur le contenu de la loi des Finances. Aucune action n’a concerné les problèmes de fond (Caisse de compensation, Caisses de retraite, le secteur informel, les accords de libre-échange, les inégalités régionales). Le manque d’audace politique a entraîné une méfiance totale de la part du monde économique et un attentisme qui n’a fait que renforcer la crise. Même la consommation qui constitue le moteur par excellence de la croissance se trouve grippée. On a l’impression que le gouvernement actuel passe son temps à se justifier. Pourquoi n’agit-il pas ?

❹ Sur un volet qui a toujours été votre champ de prédilection, où en sont la PME et la PMI dans cette perspective ?
Évidemment la première victime de la crise est la PME, tout le monde lui tourne le dos (les banquiers préfèrent la sécurité), les gros clients (publics et privés) allongent les délais de paiement, les fournisseurs exigent le paiement cash et les salariés ne veulent rien comprendre.
Sous certains cieux qui comprennent l’importance de la PME et son efficacité en matière d’adaptation au changement et sa flexibilité, on a mis en place des politiques audacieuses pour la sauver et assurer sa pérennité (le cas des USA, de la France...).
Chez nous, la PME est toujours considérée comme une vache à traire (les taux d’intérêt les plus élevés, les charges sociales...), aucun soutien à l’export et aucun soutien financier. Alors que l’emploi de demain ne peut être créé que par la PME qui s’implante dans les petits villages et qui assure le meilleur rempart contre la misère et la marginalité. Le gouvernement actuel n’a aucune stratégie claire pour la création de l’entreprise, le développement de la PME et le renforcement de la classe moyenne. Même le texte sur les délais des paiements qui a mis 10 ans pour voir le jour est sorti handicapé et tout le monde, y compris la direction des impôts cherche à l’amender. On ne peut pas développer une stratégie dédiée aux PME par des personnes qui n’ont jamais piloté une PME avec toute la complexité que cela comporte.
La PME est victime de l’invasion de notre marché par des produits bas de gamme en provenance (légalement ou illégalement), de la chine, de la Turquie, de l’Égypte...
L’avenir du Maroc est forcement lié à sa capacité à encourager l’entrepreneuriat et à valoriser l’innovation et la recherche

❺ S’il fallait tracer des lignes de démarcation par rapport à l’actualité, quelles seraient les priorités à déterminer pour l’année 2013 ?
Prendre le taureau par les cornes et activer les réformes qui fâchent aussi bien les pauvres que les riches (Caisse de compensation, fiscalité, Caisse de retraite, lutte efficace contre toute sorte de monopoles et de l’économie de rente, de la contrebande et l’informel), revisiter les accords de libre-échange qui ont été mal négociés, encourager la production nationale et la consommation des produits de chez nous, créer un département ministériel dédié aux PME et à la classe moyenne, encourager uniquement les secteurs productifs qui valorisent les matières premières marocaines (pêches, phosphates, agro-industrie). Ce n’est qu’ainsi que notre économie pourra retrouver le chemin de la croissance et assurer le bien-être à tous les Marocains là où ils se trouvent.

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