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Accueil next Pourquoi les créances en souffrance ont grimpé en 2013

Budget 2014 : Mythes et réalité

L’opposition porte sa bataille sur le projet de budget 2014 à la Chambre des conseillers voulant, sinon le faire tomber coûte que coûte, du moins le discréditer ainsi que l’équipe qui l’a conçu et qui le défend. Ses arguments semblent solides, car ils portent, dans un langage savant appuyé par des experts, sur des thèmes éminemment techniques, tels que la liquidité de l’économie et le déficit courant et sur des sujets hautement sensibles pour les Marocains, à savoir les dangers que fait peser le gouvernement Benkirane II sur le pouvoir d’achat des plus démunis. Le surréalisme bien de chez nous est que ceux qui le critiquent sont ceux censés l’avoir élaboré ! Entre surenchères et enjeux réels, cet article tente d’apporter un modeste éclairage.

Budget 2014 : Mythes et réalité
Nabil Adel

De réunions en conférences de presse, de tables rondes en entretiens accordés aux médias, rien ne semble arrêter l’opposition, visiblement décidée à lutter de toutes ses forces contre ce budget qu’elle qualifie de «dangereux» et du «pire de l’histoire du Maroc». Si les meneurs savent pertinemment que leurs chances de faire tomber le PLF sont extrêmement faibles, en raison de la majorité confortable dont dispose le gouvernement, l’objet de leurs manœuvres, comme dans tout jeu similaire entre majorité et opposition, est d’infliger un maximum de peine à l’exécutif, d’écorner son image et d’entacher sa popularité. L’approche utilisée, pour ce faire, est simple et consiste à véhiculer deux idées : l’incompétence de l’équipe gouvernementale dans la gestion de la chose économique et l’impopularité et le danger de ses décisions sur le pouvoir d’achat des Marocains. De la pure politique, quoi !

Mais au-delà de ces joutes, somme toute légitimes entre partis visant à gouverner, les mises en garde de l’opposition sont-elles justifiées ? Le budget 2014 est-il si dangereux pour l’économie nationale qu’elle veut bien nous en convaincre ? Les mesures qu’il contient constituent-elles une menace pour la croissance, l’emploi, les équilibres macroéconomiques et le pouvoir d’achat des Marocains ? Et plus généralement, où nous mène la politique économique du gouvernement Benkirane ?

Avant de répondre à ces questions, rappelons que les critiques les plus ardentes émanent du parti dont l’un des ministres supervisait le département des Finances lors de l’élaboration du budget. De même que le parti qui a porté le projet devant la représentation nationale était dans l’opposition quelques semaines auparavant et avait fustigé pendant deux ans les choix économiques du gouvernement, dont il vient de défendre des finances dans la continuité de ce qu’il critiquait !

Nous sommes là face à l’une des grandes tares du débat économique dans notre pays, à savoir l’absence de cohérence idéologique. L’observateur a beaucoup de mal à trouver une logique quelconque à une opposition regroupant du nationaliste de droite et du socialiste de gauche qui veulent s’allier contre une équipe aux commandes constituée du communiste, de l’islamiste et du notable. Qui défend les intérêts de qui ? Contre qui ? Et puis surtout quels intérêts ?

S’agissant du fond, les principales critiques ont porté sur la remise en cause du niveau de croissance économique contenu dans le projet de budget, les risques qu’encourt l’économie du fait de l’aggravation des déficits jumeaux (budget et balance des paiements), la persistance d’un taux élevé de chômage et enfin les mesures portant atteinte au pouvoir d’achat des Marocains. Autant dire qu’on demande au gouvernement «le mouton à cinq pattes», tant les quatre points reprochés sont impossibles à réaliser simultanément, car il s’agit du fameux carré magique bien connu des économistes. En effet, une croissance élevée est certes synonyme de taux de chômage faible (loi d’Okun), mais également d’une d’inflation importante (Courbe de Phillips). De même qu’une amélioration du pouvoir d’achat suppose une hausse des salaires et une augmentation des dépenses publiques (notamment celles de la compensation), ce qui mine la croissance, l’emploi et affecte négativement les équilibres macroéconomiques. Et c’est là où la cohérence idéologique d’un parti entre en jeu. Ne pouvant pas réaliser tous les objectifs, les gouvernants opèrent des choix, les défendent et essayent d’en convaincre les électeurs, mais ne peuvent en aucun cas demander la chose et son contraire. Sinon, cela devient de la surenchère.
Le carré magique est une représentation graphique, élaborée par l’économiste Nichols Kaldor (1908-1986), des quatre grands objectifs de la politique économique conjoncturelle d’un pays, à savoir :
n la croissance de la production nationale,
n le plein emploi,
n l’équilibre des échanges extérieurs,
n la maîtrise de l’inflation.
Ces quatre objectifs sont pratiquement impossibles à atteindre en même sur une longue période, d’où le nom «carré magique».

S’agissant des risques que fait peser l’aggravation des déficits jumeaux sur notre économie, la mise en garde de l’opposition est certes justifiée dans son objet, mais ne l’est pas dans son ampleur, car si leur résorption est une priorité, comparer la situation actuelle à celle ayant précédé l’application du programme d’ajustement structurel relève de l’exagération. Et pour cause, au début de la décennie 80 le Maroc fut victime de la conjonction de plusieurs évènements malencontreux (les grosses dépenses publiques dans les années 70, le deuxième contrechoc pétrolier, la chute des prix du phosphate, la sécheresse du début des années 80 et l’instabilité politique qui s’en est suivie et l’insuffisante diversification de l’économie). Par ailleurs si le PAS (programme d’ajustement structurel) a été vécu comme une atteinte à l’indépendance de notre décision économique, il fut à l’origine de l’essentiel des actions de redressement de l’économie dont nous jouissons aujourd’hui. Donc un peu de nuance !

Ceci étant, les réformes de fond doivent être entreprises et celles déjà entamées doivent être accélérées pour réduire les boulets pesant sur nos dépenses publiques (compensation et retraite) et sur notre balance commerciale (réduction du poids de la facture pétrolière par une transition énergétique et une diversification de l’économie du pays).

En outre, là où les critiques sont également justifiées, c’est que cette loi de Finances ne marque pas la rupture attendue pour notre économie, tant elle s’inscrit dans une continuité prudente et stérile, même si on peut noter quelques motifs de satisfaction, tels que les efforts de maîtrise des dépenses publiques et de préservation des avoirs extérieurs.

En effet, le train des réformes structurelles est lent, notamment sur les grands dossiers de nature à libérer la croissance comme la fiscalité, l’enseignement et le capital humain, l’accès efficient au financement, l’assouplissement du marché de l’emploi et la réduction du coût du travail, la modernisation de l’administration et la création d’une base industrielle et agricole solides. Ceci sans oublier les dossiers de la compensation, de la fiscalité et des retraites. Un autre sujet sur lequel nous régressons manifestement est la moralisation de la vie publique et l’amélioration du climat des affaires. Sur ce dernier point, nous avons encore beaucoup de travail à faire et notre régression dans le dernier classement international de la corruption sonne comme un sérieux rappel de notre échec à ce niveau. Il ne sert, en effet, à rien de parler d’État stratège qui mène des politiques volontaristes de grands projets d’infrastructures et pilote d’ambitieux plans de développement dans tous les secteurs, si ce même État ne remplit pas sa fonction minimaliste d’amélioration de l’environnement économique de ses entreprises. En d’autres termes, nous ne pouvons pas prétendre réaliser le «plus» si nous ne réussissons pas le «moins». Notre manque d’attractivité en termes d’investissements étrangers est la parfaite illustration de cette lacune. En 2012, nous n’avons drainé que 3,6 MM$ de capitaux, soit 0,2% du montant global des IDE dans le monde.
Faute d’entreprendre ces réformes, l’économie marocaine devrait réaliser pour l’année 2014 un niveau de croissance aux alentours de 4,5%, ce qui n’est pas mauvais dans la conjoncture actuelle, mais reste en deçà de nos réelles capacités et nous ratons donc une année de plus pour jeter les bases d’une véritable émergence. 

Par Nabil Adel

M. Adel est cadre dirigeant d’assurances, consultant
et professeur d’économie, de stratégie et de finance.
[email protected]
www.nabiladel74.wordpress.com

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