Une toile tout en faisceaux énergetiques

Les milliards du ballon rond

Nous sommes loin, très loin de l'époque où la quasi-totalité des clubs nationaux de football devraient se débrouiller de toutes leurs ressources financières.

19 Décembre 2007 À 14:32

Une époque où seuls les dirigeants et quelques sympathisants devraient mettre la main à la poche pour faire tourner le club. La période des vaches «très» maigres, pendant laquelle le sport national numéro 1 vivait seulement d'amour (des dirigeants et des supporters), d'eau fraîche et, dans les meilleurs des cas, des largesses de certains parrains hautement placés, est révolue.

De l'amateurisme pur et dur, au parrainage, au sponsoring, jusqu'au football dit «d'élite», beaucoup d'eau a coulé sous les ponts et bien des étapes ont été franchies. L'arrivée de la télévision (SNRT et ART), des gros sponsors ainsi que le lancement de la mise à niveau du football national à partir de la saison 2005-2006 ont considérablement augmenté les sources de financement des différents clubs dont certains tournent actuellement à coup de milliards.

Que vaut le football national? Quelles sont les ressources financières des clubs et comment arrivent-ils à faire face à toutes leurs dépenses? Le Matin Economie a essayé de vous apporter des éléments de réponses. Recettes sponsoring, transferts des joueurs, subventions de la Fédération, dotations des municipalités, recettes des matchs des écoles de formations, cotisations des adhérents et primes des compétitions africaines et arabes…, les ressources diffèrent d'un club à l'autre selon sa catégorie, son histoire, son palmarès et son public.

Pour le Wydad de Casablanca par exemple, l'un des plus grands clubs nationaux, le budget prévisionnel de la saison en cours s'élève à 35 millions de DH, contre 22 millions pour la saison précédente. Le budget de la saison 2005/2006 s'était établi à 14 millions de DH.
Selon Hicham Mellakh, responsable marketing et communication au club casablancais, les recettes du sponsoring représentent l'essentiel de ce budget, soit environ 45%.

Pour cette saison, les différents sponsors du Wydad ont rapporté à la trésorerie du club plus de 9 millions de DH. Il s'agit notamment d'Ingelec (plus de 4 millions de DH), Kia (2 millions de DH), Coca Cola (1,5 million de DH), Chaâbi Liliskane (1 million de DH), Ibis (1 million de DH). D'autres négociations sont en cours pour un autre sponsor qui rapporterait 1,5 million de DH. Les sponsors du club pour les rencontres qui relèvent de la coupe arabe ainsi que les panneaux publicitaires dans le stade, quant à eux, rapportent quelque 4 millions de DH.

Les recettes des sponsors sont suivies des entrées du stade qui avoisinent les 15%, selon les saisons. Mais ces rentrées sont très difficiles à maîtriser, explique Mellakh, surtout que les clubs casablancais ont été contraints, ces dernières saisons, de jouer loin de leurs terrains pour différentes raisons (indisponibilité de la pelouse ou raisons disciplinaires).

Les subventions du Groupement national de football d'élite (GNFE), issues du partage des droits de retransmission télévisuelle et le sponsoring de Maroc Télécom, ne pèsent pas lourd dans les budgets des grands clubs. Totalisant un forfait de 2 millions de DH, elles représentent seulement 10 à 15% du budget global du Wydad. «Les redevances de la retransmission sont parmi les plus bas. Dans d'autres pays, ces droits représentent entre 40 et 60% des budgets des clubs», indique le responsable marketing du Wydad. Et d'ajouter: «Cela nous pose un vrai problème.

Cette subvention n'est pas équitable. Les grands clubs, qui attirent les télévisions et les sponsors, sont lésés puisqu'ils sont mis sur le même pied d'égalité avec les petits clubs et reçoivent le même montant». «Même si nous sommes perdants dans ce partage puisque nous avons plus de charges que les petits clubs, il faut quand même jouer la solidarité avec les autres clubs pour le développement du football national», estime le président d'un autre grand club de la place.

L'école de formation du club draine 10% du budget, les cotisations des adhérents 3% alors que la subvention du Conseil de la ville est 2%, soit 1 million de DH en 2005-2006. Cette dotation a été revue à la baisse la saison précédente pour s'établir à seulement 500.000 DH. Pour plusieurs dirigeants des clubs nationaux, les autorités locales ne s'impliquent pas assez dans le sport. En Tunisie par exemple, les subventions des municipalités pour un club peuvent atteindre jusqu'à 8 millions de dirhams.

Finalement, les résultats exceptionnels (transferts de joueurs, récompenses des championnats, coupes et différentes compétitions arabes et africaines) bouclent le budget et comblent le déficit.
Pour le responsable marketing et communication du Wydad, les charges sont aussi claires que brèves. Il s'agit des salaires des joueurs qui engloutissent 80% du budget, le reste (20% du budget) couvre les autres charges, notamment les frais des déplacements et les salaires du personnel administratif et la maintenance.

L'achat des joueurs fait partie des charges exceptionnelles et cela est équilibré, soit par les ventes d'autres joueurs du club soit par les résultats sportifs (championnat, coupe du Trône, compétitions africaines ou arabes). «Parfois, c'est le président qui met la main à la poche pour combler un trou», indique Mellakh.
Pour le Raja de Casablanca, l'autre fleuron du football national, le budget prévisionnel pour la saison en cours est estimé à 37 millions de DH.
Lors des deux dernières saisons, le club a réalisé des résultats financiers positifs. Chose qui peut étonner plus d'un, vu que les clubs ont toujours crié à l'insuffisance des ressources financières.

Les produits du club pour la saison 2006-2007 se sont élevés à 34,6 millions de DH, contre 45,4 millions de DH pour la saison 2005-2006 (Un record).
Pour les Diables Verts, ce sont les transferts des joueurs qui arrivent en tête des ressources financières avec 53%, soit 18,65 millions de DH, pour la saison 2006-2007. Et dire la place que doit occuper la formation dans le budget des clubs.
Les recettes de sponsoring (Siera, Coca Cola, Hyundai, Koutoubia…) se sont chiffrées à près de 8 millions de DH, soit 23% du total produits. Les subventions et dons reçus et les recettes de matchs n'ont représenté que 10 et 4%. «Le fait d'être privé de jouer dans notre terrain nous coûte très cher.

Le manque à gagner pour la saison précédente s'établi à 2,5 millions de DH», explique Abdallah Ghannam, président du club.
Les charges du Raja, quant à elles, se sont établies à 27,5 millions de DH pour la saison 2006-2007, contre 41,7 millions la saison précédente (un record aussi).
Pour le Raja aussi, l'essentiel des dépenses est destiné aux salaires des joueurs dont le montant se chiffre à 10,6 millions de DH, soit près de 40% des dépenses. «Les salaires des joueurs n'étaient pas très lourds la saison dernière étant donné que les résultats de l'équipe étaient très moyens. Les primes de matchs étaient allégées. Mais quand les résultats sont positifs, les salaires sont plus consistants», explique Ghannam.

Les charges externes et les achats de matières et fournitures totalisent près de 50% des dépenses avec respectivement 32% (8,6 millions de DH) et 17% (4,6 millions de DH). Des budgets à coup de milliards ne sont pas seulement l'apanage des grands clubs tels que le Wydad ou le Raja qui, eux, bénéficient d'une longue histoire, d'un palmarès prestigieux et d'un large public aux quatre coins du Royaume et même à l'étranger.
Le Difaâ Hassani El Jadidi (DHJ), à l'image des clubs qui se contentent généralement d'animer le championnat, fait également partie des clubs dont le budget dépasse le milliard, de centimes bien sûr (10 millions de DH).

En effet, le budget prévisionnel de la formation doukkalie pour la saison en cours s'élève, selon Toumi, président du club, à 12 millions de DH, contre 9 millions pour la saison 2006-2007 et 6 millions de DH pour la saison 2005-2006.
La subvention de la Fédération (2 millions de DH) arrive en tête des recettes, suivie de celles de la municipalité (1,5 million de DH), la Province (1,4 million de DH) et la commune de Moulay Abdellah (500.000 DH). Les recettes des sponsors (Prodec, Fitco) s'élèvent à 1,1 million de DH. Arrivent également les recettes du terrain qui tournent autour de 600.000 DH et les transferts des joueurs.

Pour Toumi, l'arrivée de la télévision représente une révolution dans le financement des clubs de football au Maroc, surtout ceux qui ne bénéficient pas d'un grand public ni d'un grand palmarès à même de les aider à attirer beaucoup de sponsors. Outre les 2 millions de DH annuels de la Fédération pour les droits de la retransmission des matchs, cette dernière encourage les sponsors à débourser de l'argent pour les clubs. «Avant l'arrivée de la télé, le budget du club ne dépassait pas les 2 millions de DH dans le meilleur des cas», indique Toumi.
Le projet de la mise à niveau du football national a également boosté les budgets des clubs et jouera un rôle très important dans le développement du football national.

De son côté, le Fath Union Sport de Rabat (FUS), un club du bas du tableau et qui joue souvent le maintien, a disposé la saison dernière d'une enveloppe budgétaire de 8 millions de DH. Une fois encore, le sponsoring joue un rôle très important. Le budget a été porté cette saison à 12 millions de DH, après la prise en charge directe de la section football par la Caisse de dépôt et de gestion (CDG). «Le budget ne dépassait pas les 5 millions de DH avant la saison 2005-2006, date du lancement de la mise à niveau du football», souligne Larbi El Oufir, ex-président du club et actuel secrétaire général du comité directeur. La CDG supporte environ 80% du budget du Fath. Les recettes d'autres petits sponsors ainsi que les divers ressources contribuent à hauteur de 10% chacune.

Les recettes des matches restent très insignifiantes. Etablies à 150.000 DH, les subventions des autorités locales restent très en deçà des attentes, indique El Oufir. «Les autorités doivent fournir aux clubs les infrastructures et aussi investir dans des opérations commerciales, des centres commerciaux par exemple, pour assurer aux clubs des recettes pérennes», suggère-t-il. 70% des dépenses du club vont à l'équipe première. Les deux tiers de cette enveloppe sont destinés aux différentes rémunérations des joueurs, aux déplacements et à l'organisation des matchs.
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La charrette avant les bœufs

«S'il vous plaît, ne donnez pas beaucoup de chiffres», «Mais, qu'est-ce que vous allez faire avec tous ces chiffres ?», «J'ai oublié ce chiffre, je vous le donnerai après»: Visiblement, certains de nos dirigeants ont des problèmes avec les chiffres… et la transparence. Les montants relatifs au budget sont fournis au compte-gouttes; et dès que l'on aborde les détails des montants, les visages se referment, les sourires s'éclipsent et les interlocuteurs deviennent plus expéditifs, voire agacés pour certains.

Selon le président d'un club, le football national vit un problème de dirigeants. «Il faut d'abord professionnaliser les dirigeants avant de professionnaliser les clubs», souligne-t-il. «La plupart des dirigeants n'ont pas beaucoup d'expériences dans le domaine financier alors qu'ils sont amenés à gérer des sommes colossales. De grandes compétences en management sont de rigueur pour gérer tout cet argent», estime-t-il.

Pour un membre de la Fédération qui a bien roulé sa bosse dans la gestion des clubs, «malgré l'importance de son rôle dans le développement du football national, la mise à niveau a son défaut: la charrette a été mise avant les bœufs, étant donné que les dirigeants n'ont pas été bien préparés à ce changement radical».
En effet, dès son lancement, la mise à niveau a été très critiquée, voire déformée («bâtardisée» selon l'expression de notre interlocuteur) par certains dirigeants dont la transparence dérangeait et qui ont tout fait pour mettre les bâtons dans les roues.
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GNFE 2

Les équipes du Groupement national du football d'élite 2 s'en sortent tant bien que mal. «Il s'agit de serrer la ceinture», souligne Abdelhak Rizkallah (connu sous le nom de Mandoza), figure emblématique du Racing athlétique club de Casablanca (RAC).
Pour la saison en cours, le budget du RAC est estimé entre 1,5 million et 1,8 million de DH. Idem pour la saison dernière. «Les budgets de presque tous les clubs du GNFE 2 se valent», souligne Mandoza.

Les sources de financement du RAC, qui sont également presque pareilles pour toutes les équipes, sont la subvention du GNFE (550.000 DH en deux tranches), le Conseil de la ville (300.000 DH), le Conseil préfectoral (entre 40.000 et 100.000 DH), le Conseil régional (30.000 DH) et parfois quelques transferts de joueurs. Les recettes des matchs sont quasi-nulles.
Les dépenses, elles, sont interminables, avance Mandoza. 30 à 40% sont destinés aux primes des matchs, 25% aux salaires des joueurs, 25% aux frais des déplacements.

Restent également les salaires des ouvriers, les frais d'entretien, les salaires des entraîneurs, du préparateur physique et des gardiens.
«Le club tournait, il y a cinq ans, à seulement un budget situé entre 100.000 et 300.000 DH.
Et avant la création du GNF, il n'y avait pas le sou», raconte Mandoza. Et d'estimer: «Pour qu'un club de deuxième division soit à l'aise, il lui faut une enveloppe budgétaire de 3 millions de DH».
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