Fadwa Misk
26 Décembre 2025
À 16:25
Parmi les tout premiers galeristes à s’être installés à Casablanca,
Hassan Sefrioui a également siégé dans de nombreux
jurys de concours artistiques et participé au comité de sélection de la participation marocaine à la Biennale de Venise. Un parcours qui lui permet de porter un regard à la fois critique et informé sur l’évolution du marché de l’art et du public de l’art contemporain au Maroc.
Selon Hassan Sefrioui, les vingt dernières années ont été marquées par une véritable structuration des
métiers de l’art. À ses débuts, de nombreux acteurs aujourd’hui incontournables n’existaient pas encore. Il a fallu
l’ouverture progressive de galeries dans plusieurs villes du Royaume, l’émergence de commissaires d’exposition indépendants, la stabilisation du rôle des marchands d’art, mais aussi l’implication du ministère de la Culture et de sa direction des Arts. Aujourd’hui, estime-t-il, tous les éléments sont réunis pour permettre au marché de l’art marocain de se structurer durablement.
Le rapport du public marocain à l’art a connu deux évolutions majeures. La première est liée aux initiatives des régions et des villes visant à
rendre l’art accessible dans l’espace public. Des événements comme le festival de Casablanca dans les années 2000,
la Biennale de Marrakech ou encore certaines manifestations à Rabat ont permis un accès gratuit à l’art contemporain, favorisant la rencontre avec des publics jusque-là éloignés des galeries.
La seconde transformation est venue avec
l’essor des réseaux sociaux et la digitalisation, notamment dans le champ de la photographie. Ces outils ont permis à davantage d’artistes d’explorer de nouveaux formats et de toucher un public élargi. Aujourd’hui, le public de l’art contemporain se compose principalement de deux catégories : des jeunes – étudiants en art et artistes en devenir – et un public plus âgé, souvent acquéreur, disposant de davantage de temps et de moyens pour se documenter. L’enjeu actuel, selon Sefrioui, est d’
attirer les trentenaires, actifs professionnellement mais encore peu sensibles à l’art.
Art vs artisanat
Pourquoi le Maroc valorise-t-il autant son patrimoine matériel tout en laissant les arts plastiques en marge ? Pour Hassan Sefrioui, la question est plus nuancée. L’art marocain est historiquement lié à l’artisanat et au savoir-faire. Ce n’est qu’à partir des années 1960, avec
l’École de Casablanca portée notamment par
Farid Belkahia, Mohamed Melehi et Mohamed Chabaa, qu’un lien fort s’est établi entre art moderne et artisanat. Ce rapprochement a permis au public de se reconnaître dans une création artistique enracinée dans des formes et des signes familiers.
La question d
e l’élitisme de l’art reste centrale. Pour Hassan Sefrioui, l’art doit être présent dans les musées afin d’être accessible au plus grand nombre, tout en permettant aux artistes de vivre de leur travail. En tant que galeriste, il a toujours œuvré pour qu’au moins une œuvre de chaque artiste soit intégrée à une institution muséale, publique ou privée.
Si, à ses débuts, les
galeries attiraient peu de visiteurs et suscitaient une certaine incompréhension, les réseaux sociaux ont largement contribué à la démocratisation de l’art. Toutefois, il souligne un manque important : celui de l’édition d’art. L’absence d’ateliers capables de produire à grande échelle freine une démocratisation réelle, pourtant essentielle pour toucher un public plus large.
L’éducation artistique
Pour Hassan Sefrioui, l’éducation à l’art passe d’abord par l’espace public. Les festivals et événements organisés par les régions, les villes et les wilayas sont essentiels pour lever la crainte que peut inspirer l’art contemporain. Des initiatives comme la Biennale de Marrakech ont démontré l’impact positif d’un art exposé hors des murs traditionnels des galeries et des musées.
L’Éducation nationale a également un rôle clé à jouer. Si tous les enfants n’ont pas les mêmes prédispositions artistiques, chacun devrait recevoir une base culturelle solide, aussi bien en artisanat qu’en art moderne et contemporain. «Connaître les origines de l’aïta, les étapes de fabrication du zellige ou les techniques de la céramique participe à la transmission d’un patrimoine menacé, notamment à l’ère de l’intelligence artificielle et de l’appropriation culturelle», souligne le galeriste.
Concernant l’art contemporain, «les artistes ont toujours été des militants, porteurs de causes sociales, environnementales ou politiques. Ils peuvent de ce fait contribuer à l’éducation des enfants, en développant l’esprit critique», explique Sefrioui qui pense qu’une cellule de réflexion dédiée à l’intégration de ces thématiques dans les programmes scolaires serait plus que nécessaire.
Par ailleurs, son engagement comme parrain de l’émission Dream Artist, diffusée sur 2M, s’inscrit dans cette volonté de démocratisation et de pédagogie. L’émission, qui a reçu près de 900 candidatures lors de sa première saison, touche un public très large et contribue à démystifier l’image élitiste de l’art contemporain. «C’est une émission certes télévisuelle mais dans laquelle on a voulu insuffler un langage et un lexique artistique pour participer à cette éducation à l’art pour le grand public», explique le galeriste.
Rayonner par l’art
L’art raconte les enjeux d’une société à un moment donné. Hassan Sefrioui compare souvent le rôle de l’artiste à celui d’un anthropologue. À l’image des peintures rupestres, les œuvres contemporaines marocaines témoignent de leur contexte socio-politique. Les créations des années 1960, marquées par un climat de restriction des libertés, diffèrent profondément de celles d’aujourd’hui, où les artistes explorent des thèmes tels que le football, l’esprit d’équipe ou la cohésion sociale.
Pour le galeriste, même si l’art ne bénéficie pas de la popularité du sport, il peut néanmoins jouer un rôle majeur dans l’image que le Maroc souhaite projeter à l’international. La participation du Royaume à des événements comme la Biennale de Venise, où le Maroc sera représenté par l’artiste Amina Agueznay, accompagnée de la curatrice Meriem Berrada, témoigne d’une volonté politique nouvelle.
Le principal frein au rayonnement international de l’art marocain reste la difficulté d’exporter les œuvres sans autorisation administrative. Si la protection du patrimoine est indispensable, cette contrainte pénalise particulièrement les artistes en début de carrière. Des actions sont en cours, notamment via la Fédération des industries culturelles et créatives, pour assouplir ces procédures. Concernant les foires internationales, un soutien plafonné du ministère de la Culture existe, bien que les coûts restent élevés. À l’avenir, une implication accrue des institutions privées n’est pas à exclure.
Hassan Sefrioui rappelle que le Maroc demeure toutefois une exception dans le monde arabe : chaque année depuis l’indépendance, une nouvelle génération d’artistes émerge. Si seuls quelques-uns parviennent à faire carrière, il est essentiel de leur offrir un environnement solide, crédible et durable, leur permettant de créer et de vivre dignement de leur art.