Culture

FIFM 2025 : entre audace cinématographique et émotions universelles

La 22e édition du Festival international du film de Marrakech s’est clôturée en célébrant la créativité et le talent des cinéastes du monde entier. De Promis le ciel couronné d’or à Straight Circle salué pour sa mise en scène, cette édition a mis en lumière des œuvres poignantes et des performances exceptionnelles, confirmant Marrakech comme un carrefour majeur du cinéma contemporain.

Ph. Saouri

07 Décembre 2025 À 12:00

La 22e édition du Festival international du film de Marrakech s’est clôturée dans une atmosphère à la fois solennelle et vibrante, saluant l’audace et la créativité des cinéastes présents. Le palmarès, dévoilé lors d’une cérémonie très attendue, reflète la diversité et la profondeur des œuvres présentées cette année.

L’Étoile d’Or : Promis le ciel

L’Étoile d’Or a été décernée à Promis le ciel, de la franco-tunisienne Erige Sehiri, un film qui a immédiatement séduit le jury par sa justesse émotionnelle et sa puissance narrative. L’histoire suit trois femmes recueillant la petite Kenza, rescapée d’un naufrage, abordant avec subtilité le racisme, l’exil et la solidarité féminine.

La réalisatrice et l’actrice Aïssa Maïga ont déclaré que «ce projet a vu naître une étoile», en référence à Deborah Lobe Naney, qui se retrouvait pour la première fois devant une caméra de cinéma pour incarner son histoire. Dès les premiers jours de tournage, Maïga et Erige ont reconnu chez Deborah une force et une présence exceptionnelles. Son rôle, celui d’une femme voulant traverser la Méditerranée confrontée aux épreuves de l’exil, est interprété avec une intensité saisissante, capable de transmettre au spectateur toutes les nuances de la peur, de la souffrance et de l’espérance. Cette performance remarquable lui a valu le trophée de la meilleure interprétation féminine.

Prix de la Mise en scène : Straight Circle

Le Prix de la Mise en scène a été attribué à Oscar Hudson pour Straight Circle, où deux soldats ennemis se retrouvent isolés dans un désert, confrontés à l’absurdité de la guerre et aux contradictions de la condition humaine, le tout teinté d’un humour noir poétique.

Le jury a salué l’œuvre pour son audace et sa générosité : «Ce prix nous a impressionnés par son assurance, par la créativité sans borne et par l’audace de son geste artistique. Mais plus encore, il nous a communiqué sa joie débordante de faire du cinéma. Hudson transforme le chaos et le sacré de la collaboration cinématographique en une expérience vertigineuse et profondément humaine pour les spectateurs. Nous le remercions pour sa générosité et son talent, si inspirants.»

Hakim Belabbès, réalisateur marocain et membre du jury, a souligné la virtuosité du réalisateur : «Sa mise en scène parvient à transmettre la joie du cinéma et rappelle pourquoi nous faisons ce métier. Chaque plan devient un théâtre d’émotions et de tensions, allant bien au-delà des dialogues, où l’esthétique et la profondeur psychologique se conjuguent pour sublimer l’isolement des personnages.»

Les autres membres du jury ont également salué l’inventivité formelle et la puissance narrative du film, mettant en lumière la capacité de Hudson à transformer un récit minimaliste en une expérience sensorielle et émotionnelle complète. La performance des frères Elliot et Luke Tittensor dans ce film a été distinguée par une mention spéciale, confirmant leur subtilité et leur présence renforçant la tension et la poésie du film.

Prix du Jury ex æquo

Le Prix du Jury du FIFM 2025 a été remis ex æquo à My Father and Qaddafi de Jihan K et à Memory de Vladlena Sandu. My Father and Qaddafi revisite le destin tragique du père de la réalisatrice disparu sous le régime de Kadhafi, mêlant souvenirs familiaux et archives historiques pour créer un récit à la fois intime et universel sur la mémoire et la justice. Memory plonge le spectateur dans l’enfance de Vladlena en Tchétchénie, oscillant entre traumatisme et résilience, explorant le poids de l’histoire et la transmission des blessures à travers les générations.

Meilleure interprétation masculine : Ṣọpẹ́ Dìrísù

La meilleure interprétation masculine a été attribuée à Ṣọpẹ́ Dìrísù pour son rôle dans My Father’s Shadow d’Akinola Davies Jr. L’acteur nigérian-britannique a su capter l’intensité des conflits intérieurs et historiques de son personnage, offrant une prestation qui a profondément marqué les esprits.

Le jeu d’acteur de Dìrísù repose sur l’empathie : la capacité à ressentir la douleur, la joie et toutes les subtilités intermédiaires vécues par le personnage. Il incarne Folarin, un père absent qui retrouve ses enfants le temps d’une journée à Lagos. À travers cette rencontre brève mais intense, le film explore non seulement les tensions familiales, mais aussi les répercussions personnelles et sociales qui résonneront bien au-delà de cette journée.

Cette édition confirme Marrakech comme un lieu où le cinéma se réinvente, où engagement et émotion se mêlent à la découverte de nouveaux talents. Entre œuvres poétiques et récits chargés d’histoire, le public et les professionnels ont pu apprécier un cinéma qui dépasse les frontières et touche à l’universel.

Questions à Erige Sehiri, réalisatrice et productrice de «Promis le ciel»

Que pouvez-vous nous dire sur la distinction que vous avez reçue au Festival de Marrakech ?

J’étais très impatiente de découvrir le résultat et, en même temps, un peu émue. Ce n’était pas de la peur, simplement cette tension qui accompagne tout le travail accompli. Quand on travaille avec acharnement et que toute une équipe s’investit à vos côtés, recevoir une telle reconnaissance donne une force supplémentaire. Cela m’encourage à poursuivre, à envisager de nouveaux projets, à honorer mon pays et toutes les personnes qui ont collaboré avec moi.



Votre film a remporté deux prix, dont celui de la meilleure interprétation féminine. Comment avez-vous vécu cette reconnaissance au milieu des autres films et des autres réalisateurs présents au Festival ?

C’est un moment de grande joie. Participer à un Festival de cette envergure et voir son travail apprécié parmi tant d’autres œuvres de qualité est très gratifiant. Cela conforte également la portée universelle de notre récit et le message que nous souhaitons transmettre.

Vous avez dédié votre prix à une personne engagée pour les droits humains en Tunisie. Pouvez-vous nous expliquer ce geste et ce qu’il représente pour vous ?

J’ai voulu dédier ce prix à Saâdia Mosbah, militante pour les droits humains en Tunisie, actuellement incarcérée. Ce geste est important pour moi afin que l’on se souvienne de ce qui se passe là-bas. Le Festival, la reconnaissance, tout cela est merveilleux, mais notre film parle de l’humain, et l’humain ne doit jamais être oublié.

Questions à Jihan K., réalisatrice de «My Father and Qaddafi»

Que pouvez-vous nous dire à propos du Prix que vous avez reçu au FIFM ?

Pour moi, ce Prix est avant tout dédié à mon père, à ma famille, à ma mère, et à tous ceux qui se sont battus pour la Libye et pour la justice.



Réaliser un film sur sa propre histoire, et plus particulièrement sur le destin de ses parents, n’est pas chose facile. Comment s’est déroulé ce travail ?

Ce film m’a demandé neuf années de travail, mais peut-être devrais-je dire qu’il a mobilisé toute ma vie. J’ai observé ma mère avec attention ; elle m’a protégée et m’a transmis la joie malgré les épreuves. Même après tout ce que nous avons traversé, je peux aujourd’hui dire que ma joie de vivre et mon amour pour l’humanité restent intacts. Ce film n’est pas seulement un hommage à mon père, c’est aussi un acte pour préserver cette humanité et cette résilience.

L’idée de raconter votre propre histoire n’a donc pas été évidente ?

Non, ce n’était pas évident. Mais à un moment donné, il est devenu clair que je n’avais pas le choix. Il fallait assumer cette responsabilité. En tant qu’adulte, il m’incombait de décider ce que je voulais faire de mon identité et de mon avenir avec la Libye. C’est exactement ce que j’ai tenté d’exprimer à travers ce film.

Que diriez-vous aux spectateurs pour les inciter à voir votre film ?

Lorsque j’avais six ans, mon père a disparu. Il était ministre des Affaires étrangères et a été kidnappé par le régime de Kadhafi. Pendant 19 ans, ma mère s’est battue pour retrouver son corps, qui n’a été identifié qu’en 2012. Ce film raconte cette quête, ce chemin pour retrouver mon identité et honorer mes parents. C’est un hommage, mais aussi un voyage universel sur la mémoire, la justice et la résilience humaine.

Déclaration de Oscar Hudson, réalisateur de «Straight Circle»

«C’est toujours incroyable de voir son travail reconnu, et c’est encore plus gratifiant lorsque le jury est composé de réalisateurs que j’estime profondément. Le jury du Festival de Marrakech contient des figures que j’admire, et le fait qu’ils reconnaissent mon film lui confère une valeur particulière. On ne fait pas de films pour gagner des Prix, mais c’est agréable quand cela arrive.



Cela m’encourage à poursuivre et à envisager de nouveaux projets. Je vais faire d’autres films, mais je dois d’abord me concentrer sur l’écriture d’un scénario. Mes idées viennent de grandes lignes politiques et d’histoires sociales. Mes études d’anthropologie influencent mes choix et nourrissent ma réflexion sur l’humain et sur la société que je cherche à représenter à l’écran.

Après ce film, j’ai pour ambition de continuer à créer un cinéma saisissant et marquant, capable de surprendre et de toucher le public, tout en restant fidèle aux histoires racontées.»

Ateliers de l'Atlas : lauréats de l'édition 2025

Le Festival international du film de Marrakech a clôturé la 8ᵉ édition des Ateliers de l’Atlas, son événement destiné aux professionnels marocains, arabes et africains, qui s’est déroulé du 30 novembre au 4 décembre à Marrakech.

Cette 8ᵉ édition a réuni 350 professionnels internationaux autour d’une sélection de 28 projets et films, portés par une nouvelle génération de cinéastes marocains, arabes et africains. Les 17 projets en développement et les 11 films en tournage ou en postproduction issus de 12 pays, ainsi que les 11 participants à Atlas Station et certains professionnels marocains, ont tous bénéficié d’un accompagnement en amont ou pendant le Festival. Plus de 185 sessions ont été organisées cette année, dont 90 consultations individuelles.

Ce programme sur-mesure a réuni 35 experts et consultants sur des thématiques telles que l’écriture de scénario, le développement de personnage, la direction photo, la production, les VFX, le montage, la musique ou encore la distribution.

Le Marché de coproduction des Ateliers de l’Atlas a orchestré, cette année, plus de 525 rendez-vous individuels avec les réalisateurs et producteurs sélectionnés – un chiffre record depuis la création des Ateliers.

Pour cette 8ᵉ édition, les Ateliers de l’Atlas ont distribué huit Prix représentant une dotation globale de 120.000 euros.

Le jury des Prix Atlas à la Postproduction, composé de Beatrice Fiorentino (programmatrice – Settimana Internazionale della Critica), Martin Gondre (vendeur international – «Best Friend Forever») et Hania Mroue (distributrice, fondatrice et directrice – Metropolis Cinema), a récompensé les films :

• «Don’t Let The Sun Go Up On Me» – Asmae El Moudir (Maroc), produit par Asmae El Moudir (Maroc) et Emma Lepers (France), Prix doté de 20.000 euros.

• «La Más Dulce» – Laïla Marrakchi (Maroc), produit par Juliette Schrameck (France), Saïd Hamich Benlarbi (Maroc) et Adrià Monès Murians (Espagne), Prix doté de 20.000 euros.

• «Goma Enough Is Enough» (Goma Trop C’est Trop) – Elisé Sawasawa (RDC), produit par Marianne Dumoulin et Jacques Bidou (France) et Christian Bitwaiki (RDC), Prix doté de 10.000 euros.

• «Safe Exit» – Mohammed Hammad (Égypte), produit par Khouloud Saad et Mohammed Hammad (Égypte), Prix doté de 10.000 euros.

Le jury des 4 Prix Atlas au Développement, composé de Karim Aitouna (producteur – Haut les Mains Productions), Ama Ampadu (responsable de la production et du développement – BFI Filmmaking Fund) et Olivier Père (directeur général – Arte France), a récompensé les projets :

• «Chapa 100» – Ique Langa (Mozambique), produit par Sousa Domingos (Mozambique), Prix doté de 30.000 euros.

• «Les Dieux délinquants» – Boubacar Sangaré (Burkina Faso), produit par Boubacar Sangaré (Burkina Faso) et Madeline Robert (France), Prix doté de 20.000 euros.

• «A Childhood» – Scandar Copti (Palestine), produit par Jiries Copti et Tony Copti (Palestine), Prix doté de 5.000 euros.

• «Vanda» – Kamy Lara (Angola), produit par Fernanda Polacow (Portugal), Prix doté de 5.000 euros.

En huit éditions, les Ateliers de l’Atlas ont accompagné 179 projets et films, dont 68 marocains. Ces dernières années, plusieurs films soutenus par les Ateliers de l’Atlas ont été sélectionnés et primés dans les plus grands festivals internationaux, confirmant ainsi leur rôle d’incubateur et de plateforme incontournable de la région.
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