Culture

«Io Capitano»: Un film poignant sur la migration africaine en salles nationales

«Io Capitano» ne se limite pas aux images des embarcations en pleine mer, des cadavres flottants, des migrants désespérés implorant de l’aide, l’habituel décompte des morts et des vivants. Il adopte une approche de docu-fiction basée sur les récits de plusieurs migrants.

04 Janvier 2024 À 16:58

«Moi capitaine», le dernier film de Matteo Garrone est projeté actuellement dans les salles marocaines. «Io Capitano», qui a raflé le Lion d’argent du Meilleur réalisateur à la dernière Mostra de Venise, est inspiré d’histoires réelles de migrants africains. En faisant ce film, le cinéaste italien (Gomorra, Dogman) a voulu braquer «sa caméra dans la direction radicalement opposée de celles des médias. Embrasser la perspective et le point de vue de ces personnes pour narrer ce voyage épique, fait de vie et de mort». Pour ce faire, Matteo Garrone s’est imprégné d’histoires humaines. Il a pris le temps de rencontrer ces migrants, d’échanger avec eux et de les voir autrement que des chiffres. «J’ai pris conscience que leurs histoires constituaient sans doute le seul récit épique contemporain possible», affirme le réalisateur italien. «Io Capitano» ne se limite pas aux images des embarcations en pleine mer, des cadavres flottants, des migrants désespérés implorant de l’aide, l’habituel décompte des morts et des vivants. Il adopte une approche de docu-fiction basée sur les récits de plusieurs migrants.

Une immersion dans les histoires des migrants

Pour pouvoir reconstituer fidèlement l’histoire des migrants, Matteo Garrone a plongé dans leur monde. Une étape importante pour le réalisateur qui s’est penché sur une culture et des projets de vies différents de son environnement habituel. «Il m’a fallu pour cela construire une relation de collaboration constante avec tous ces jeunes, filles et garçons, qui ont vécu l’horreur et qui m'ont accompagné dans la construction du film. J’ai longtemps questionné ma légitimité à porter cette histoire, mais celle-ci est la leur. La clé était de pouvoir compter sur eux tant devant que derrière la caméra, afin d’être dans la démarche la plus authentique possible, loin de tout didactisme, en tant que messager discret». Tout a commencé pour Garrone lors d’une visite d’un centre d’accueil de mineurs à Catane (Italie). «J’ai entendu le récit saisissant d’un jeune africain qui, du haut de ses quinze ans, avait conduit un bateau jusqu’aux côtes italiennes, sauvant ainsi la vie de tous ses passagers.» S’en est suivi une longue et difficile étape de recherche et de documentation (deux ans) notamment sur le plan émotionnel. Garrone a rencontré plusieurs personnes qui ont fait le voyage de la mort. Ensemble, ils ont écrit l’histoire de «Moi capitaine» qui met en scène deux Sénégalais en route pour l’Europe.

Un casting minutieusement choisi

Pour trouver ses principaux acteurs, Matteo Garrone a dû chercher entre l’Europe et l’Afrique. Son choix s’est porté sur de très jeunes acteurs sénégalais qui n’étaient jamais sortis de leur pays, mais qui, à l’instar de la majorité de leur génération, rêvaient d’ailleurs : Seydou Sarr (Seydou), Prix du meilleur espoir à la Mostra de Venise 2023, et Moustapha Fall (le cousin). «Il est important, pour moi, que les acteurs soient à l’image de mes personnages», précise le réalisateur. Le casting du film compte également un visage qui représente dignement la figure maternelle très importante dans les sociétés africaines et qui est fortement impacté par les histoires de migration. L’actrice Ndeye Khady Sy, célèbre au Sénégal, a su représenter la maman forte, protectrice et sensible. Le tournage du film s’est déroulé au Sénégal, en Italie et au Maroc. Dans «Moi capitane», on retrouve des paysages du désert marocain, des scènes tournées au sud du pays, dans les environs d’Erfoud et d’autres séquences filmées à Casablanca.

Témoignage de Mamadou Kouassi, consultant au Scénario



«En 2019, j’ai rencontré Matteo Garrone par le biais d’une journaliste qui m’avait invité à une table ronde concernant les conditions de travail des immigrés dans le sud de l’Italie, au sein des exploitations agricoles. Je lui ai parlé de mon voyage migratoire vers l’Italie et elle m’a mis en contact avec Matteo, qui avait pour projet de réaliser un film qui serait au plus proche de la réalité. À partir de mon récit, Matteo et deux autres scénaristes ont commencé à retranscrire la préparation de notre voyage avec mon cousin. J’étais passionné de football, lui voulait aller au Canada pour poursuivre ses études. C’est cet "avant” qui manque à tant de films que Matteo voulait capter. Ils m’ont écouté tout au long de l’écriture et énormément questionné pendant le tournage pour comprendre ce voyage infernal. Notre exigence commune était d’avoir un vrai sens du détail jusqu’à expliquer les codes de langage que nous pouvions avoir durant la traversée afin que le film soit le plus "brut”, le plus réaliste possible. Le cinéma m’a ainsi permis de raconter notre histoire, notre souffrance, notre vie, nos traditions, nos cultures. Il permet de les partager aux générations actuelles et futures, de raconter ce rêve d’une Europe que nous imaginons comme une terre de liberté absolue. Le cinéma devient ainsi la voix des sans-voix. Ce périple m’a laissé de véritables cicatrices : la traversée du désert, les prisons libyennes, mais surtout la déshumanisation des hommes, capables du pire. Aujourd’hui, le film me permet de raconter ma souffrance, mais aussi celle d’autres personnes qui sont mortes dans le désert libyen et lors de la traversée de la mer Méditerranée. C’est aussi et surtout un moyen de toucher les consciences à l’international et engendrer, peut-être, une forme de changement.»

Lecture critique du film

Selon le critique de cinéma Abdelkrim Ouakrim, Matteo Garrone traite dans son film «Moi capitaine» l’immigration clandestine vers l’Europe, avec un style créatif et unique. Le réalisateur a réussi à nous impressionner malgré une thématique répétitive dans le cinéma.

Il a brisé le dur parcours du personnage principal par des scènes poétiques grâce à ses rêves. Pour Ouakrim, le point faible du film est celui où Garrone tentait de faire du personnage de Seydou à la fin un leader qui puise sa force dramatique dans sa faiblesse et non de sa force. «C’est comme si le réalisateur a voulu gagner un large public tout en emportant le personnage dans des chemins difficiles pour lui». Selon Ouakrim, Seydou a bien exprimé grâce à ses traits de visage les scènes où on voit les migrants perdus dans le désert.

Synopsis

Seydou et Moussa, deux jeunes sénégalais de 16 ans, décident de quitter leur terre natale pour rejoindre l’Europe. Mais sur leur chemin, les rêves et les espoirs d’une vie meilleure sont très vite anéantis par les dangers de ce périple. Leur seule arme dans cette odyssée restera leur humanité.
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