Valoriser la littérature, un combat quotidien : des éditeurs invités par l’Université Internationale de Rabat dans le cadre du Kitab Connect Festival témoignent des défis de leur métier et de leur engagement pour une édition de qualité.
Phs: Saouri
Nadia Ouiddar
15 Février 2025
À 09:37
L’édition est bien plus qu’un simple processus de publication. C’est une aventure humaine et créative où l’auteur et l’éditeur unissent leurs forces pour donner vie à un livre. Au cœur de cette dynamique se trouve une relation de confiance et de collaboration. Lors d’une Rencontre organisée sur le thème «Le métier de l’éditeur et la relation éditeur-auteur» dans le cadre du premier Kitab Connect Festival tenu du 13 au 14 février courant à l’Université Internationale de Rabat (UIR), plusieurs voix se sont élevées pour partager leur vision de ce métier fondamental, souvent mal compris, mais important pour la diffusion des idées et des histoires. À travers les témoignages d’Élisabeth Daldoul, éditrice franco-tunisienne, Laurent Cauwet, écrivain et éditeur français, Kenza Sefrioui, critique littéraire et éditrice, des perspectives riches sur les défis de l’édition et de la valorisation de la littérature ont émergé.
Cela peut concerner une idée floue, un sentiment mal exprimé ou une structure confuse qui nécessite d’être affinée pour donner toute sa portée au texte. Un autre point essentiel pour Élisabeth est la dimension humaine du travail éditorial. Ce n’est pas seulement un travail de correction ou de réécriture, mais bien un travail de «révélation», où l’auteur, à travers l’accompagnement, se découvre parfois lui-même dans ce qu’il veut transmettre. L’éditeur n’est pas un rival, mais un partenaire d’écriture, un guide qui sait aider sans jamais s’immiscer dans la création de l’auteur. L’éditeur, en tant que «premier lecteur extérieur», a le rôle de clarifier ce qui pourrait être flou pour un lecteur non initié au texte.
Un compagnonnage littéraire à l’échelle marocaine
Pour Kenza Sefrioui, cofondatrice de «En toute lettres», maison d’édition spécialisée dans l’essai journalistique, l’édition au Maroc est bien plus qu’une simple activité commerciale. C’est un enjeu de justice culturelle et citoyenne. Elle plaide pour un écosystème d’édition local fort et autonome, capable de valoriser la production intellectuelle marocaine sans avoir à passer par un pays tiers. Kenza Sefrioui souligne l’importance de donner aux auteurs marocains la possibilité de publier et d’être reconnus localement. Elle déplore le fait que de nombreux auteurs se tournent vers l’étranger pour trouver une reconnaissance. L’éditrice estime que les livres publiés à l’étranger sont souvent trop chers et difficiles à trouver, ce qui limite l’accès à la culture et à la connaissance pour de nombreux Marocains. Pour Kenza, l’édition est un vecteur essentiel de dialogue citoyen. Elle considère que le travail éditorial doit être vu comme une médiation entre les auteurs, les chercheurs et le public, permettant de confronter les idées, d’enrichir le débat public et de donner aux auteurs l’opportunité de porter des voix souvent ignorées.
Le métier d’éditeur : un combat pour la création et la diversité
Pour Laurent Cauwet, éditeur français, le métier est avant tout un engagement passionné dans un secteur en crise. L’enjeu principal réside dans la nature même du travail éditorial, qui ne se limite pas à la simple publication d’un manuscrit. Il s’agit d’un véritable accompagnement littéraire, où l’éditeur se fait le partenaire de l’auteur dans un processus de création et de réflexion. L’éditeur littéraire établit un rapport dynamique avec l’auteur, basé sur le dialogue et la remise en question. Chaque livre publié est une «hypothèse à discuter», une étape dans un cheminement créatif où l’expérimentation et la prise de risque sont essentielles. L’édition de poésie est une «démarche sans filet», où l’auteur doit faire face à la crainte de l’échec tout en poursuivant un chemin d’expérimentation. C’est dans cette tension, entre audace et fragilité, que se situe le véritable rôle de l’éditeur : être un guide et un support dans la création d’une œuvre qui fait sens.
Ce processus est souvent un combat silencieux, mais essentiel, pour faire exister des voix nouvelles, souvent marginalisées. Laurent Cauwet dénonce les paradoxes et les dysfonctionnements du système de financement de la culture. Pour lui, le fait d’accorder des subventions importantes ne garantit en rien la diffusion des œuvres soutenues. Il déplore un certain «rassurisme» et un «calmisme» institutionnels, qui, selon lui, desservent les intérêts des auteurs et des lecteurs. L’éditeur met aussi en lumière une double censure qui s’exerce sur les auteurs et les éditeurs. Les auteurs pratiqueraient une forme d’autocensure pour adapter leur écriture aux normes et aux attentes du marché, tandis que les éditeurs s’autocensureraient de peur de perdre de l’argent en publiant des œuvres trop expérimentales ou critiques.