Nadia Ouiddar
19 Juillet 2025
À 15:00
Le
Musée Mohammed VI (MMVI) d’art moderne et contemporain à Rabat accueille, jusqu’au 25 novembre 2025, une exposition exceptionnelle réunissant deux maîtres de la photographie du XXe siècle :
Marc Riboud et
Bruno Barbey. Cette rétrospective inédite au Maroc célèbre l’amitié, le dialogue visuel et la quête esthétique de deux membres emblématiques de l’agence Magnum Photos.
Pour la première fois dans le Royaume, les œuvres de Marc Riboud (1923-2016) et de Bruno Barbey (1941-2020) sont présentées ensemble dans un parcours sensible et chronologique, mettant en lumière deux trajectoires singulières, unies par une même passion pour l’image et l’humain. Tous deux ont été témoins des bouleversements majeurs du XXe siècle – du Vietnam à Mai 68, de la Chine maoïste à la Pologne post-communiste – et ont su, chacun à sa manière, capter la beauté du monde dans son tumulte comme dans ses silences. Malgré une vingtaine d’années d’écart, ils partageaient une amitié profonde, une sensibilité commune pour les formes, la lumière, et un regard empreint d’humanité.
Un hommage à une complicité photographique
«Quelle belle exposition... Quand on voit la rencontre de deux très grands photographes mondialement connus, c’est une vraie émotion», confie
Mehdi Qotbi, président de la
Fondation nationale des musées. «Bruno Barbey, je l’ai connu à Marrakech. Il avait le Maroc dans la peau. On avait d’ailleurs imaginé cette exposition de son vivant. Aujourd’hui, elle prend vie grâce à son épouse, sa fille et une formidable équipe.»
L’exposition est aussi une affaire de transmission.
Caroline Thiénot Barbey, épouse du photographe, était présente au vernissage avec leur fille Aurélie. «Cette exposition est un moment très important pour nous. Bruno est né à Berrechid, il a quitté le Maroc à 12 ans pour aller étudier à Paris, et il n’y est revenu qu’en 1970, après notre rencontre. C’est donc sa première grande exposition ici, au Maroc», explique-t-elle.
Aurélie Barbey a conçu la scénographie comme un dialogue entre les deux œuvres. «Dès le début, avec l’équipe, on s’est dit qu’une salle consacrée au Maroc devait être le cœur de l’exposition. Cela permettait de faire se rencontrer les regards, plutôt que de juxtaposer deux univers.»
Selon la famille Barbey, il s’agit d’une rétrospective globale, assez chronologique, qui retrace le début de leurs carrières respectives. On y découvre les premiers reportages de Bruno Barbey, ses voyages, ses images en noir et blanc avant de plonger dans son plaisir croissant pour la couleur. On perçoit son amour pour la lumière et sa patience à composer des clichés d’une précision quasi picturale.
L’un de ses apports majeurs à la photographie fut justement son usage pionnier de la couleur dans le reportage. Il fut parmi les premiers à s’y consacrer avec exigence, porté par une passion qu’il tenait sans doute de son enfance au Maroc. Il utilisait des pellicules Kodachrome, qu’il faisait développer en Suisse, avec une précision extrême – une erreur d’un quart de diaphragme pouvait être fatale. Cette rigueur technique a nourri un style reconnaissable, fondé sur les contrastes, la géométrie et une recherche constante de beauté, même dans les zones de conflit. Il s’y attachait toujours à révéler la dignité des êtres, fidèle à l’esprit des lieux qu’il photographiait.
Pour Bruno Barbey, la ville de Fès fut un point d’ancrage dans sa redécouverte du Maroc. «Il est revenu pendant des années, il prenait le temps de s’imprégner, de photographier lentement. Ce n’était pas un voleur d’images. Il a rencontré les gens, les lieux», témoigne Caroline Barbey. Marc Riboud, quant à lui, fut séduit par les ruelles de la médina. «Il a aimé se promener dans les rues anciennes, et ce travail en noir et blanc qu’il a réalisé sur Fès est présenté en miroir avec les clichés en couleur de Bruno», précise Catherine Riboud, épouse du défunt photographe. Elle a exprimé sa profonde satisfaction à voir se concrétiser cette exposition au Maroc, fruit d’un patient travail de mémoire, mené en partenariat avec le musée Guimet – désormais dépositaire du fonds Riboud – et soutenu par Lorène Durret, directrice de l’Association Les Amis de Marc Riboud.
«L’exposition retrace fidèlement le parcours de Marc Riboud, depuis ses débuts en France jusqu’à son voyage en Orient en 1955, qui l’a conduit en Inde et en Chine. Il est retourné à de nombreuses reprises en Chine jusque dans les années 2000. À près de 80 ans, il y réalisait encore des clichés d’une modernité saisissante. Les deux photographes se retrouvent dans une grande salle consacrée au Maroc», ajoute Lorène Durret.Une fraternité artistique
en miroir
À travers cette exposition, c’est bien plus qu’un simple dialogue d’images qui se déploie : c’est une conversation intime entre deux regards complices, deux sensibilités profondément humaines, réunies par une passion commune pour la photographie. Le Maroc, fil rouge de cette rencontre visuelle, apparaît à la fois comme un ancrage affectif et une source d’inspiration inépuisable. Bruno Barbey y retrouve les couleurs et la lumière de ses origines, tandis que Marc Riboud en capte la poésie discrète du quotidien, en noir et blanc. Leurs œuvres, mêlées avec délicatesse, restituent un Maroc vivant et multiple, entre présence silencieuse et éclat vibrant. En rendant hommage à leurs parcours croisés, «Marc Riboud & Bruno Barbey : regards croisés» célèbre une fraternité artistique rare, une mémoire visuelle partagée, dont les échos continuent de résonner bien au-delà des images.