Culture

Rencontre avec l'actrice malienne Moulidy Diarra au FICAK

Membre du Jury du court métrage de la 25e édition du Festival international du cinéma africain de Khouribga (FICAK), l’actrice malienne Moulidy Diarra, en plus de son grand talent de comédienne, milite pour que le cinéma de son pays et celui du continent africain occupent la place qu’ils méritent sur l’échiquier international. Dans cet entretien, elle nous livre son point de vue sur le septième art de manière générale, mais aussi sur le rôle des femmes et des jeunes dans le développement du cinéma africain et son émancipation.

23 Juillet 2025 À 09:50

Le Matin : Vous avez été invitée à plusieurs reprises au FICAK, en tant qu’actrice et figure emblématique du cinéma malien. On sait que ce Festival a une place particulière dans votre cœur. Cette fois-ci, vous allez y prendre part en tant que membre du jury courts métrages. Qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur cette désignation ?

Moulidy Diarra : C’est toujours un honneur et une grande émotion pour moi d’être invitée au Festival international du cinéma africain de Khouribga, un événement qui me tient particulièrement à cœur. J’y ai participé à plusieurs reprises, en tant qu’artiste, et chaque édition m’a laissé des souvenirs inoubliables, des échanges riches, des rencontres passionnantes et une célébration vibrante du talent africain dans toute sa diversité.

Cette fois-ci, ma désignation en tant que membre du jury pour les courts métrages représente pour moi une reconnaissance, mais aussi une responsabilité. Être membre d’un jury, c’est porter un regard attentif, juste et bienveillant sur le travail des jeunes créateurs qui osent, expérimentent et racontent nos réalités avec force et sensibilité. C’est aussi une manière de rendre hommage à la nouvelle génération et de l’encourager à continuer de faire entendre sa voix à travers le cinéma.

Je reçois cette mission avec beaucoup de fierté, mais aussi d’humilité. Le court métrage est un format exigeant, souvent audacieux, et c’est un véritable vivier de créativité. J’ai hâte de découvrir les œuvres sélectionnées, d’échanger avec mes collègues du jury, et surtout de me laisser surprendre.

Ce Festival est une plateforme essentielle pour notre cinéma africain. Il permet de mettre en lumière nos récits, nos cultures et nos talents, et je suis profondément honorée d’y contribuer cette année dans ce rôle particulier.



Pour certains, le court métrage est considéré comme un lieu d’expérimentation, d’apprentissage et de formation, alors que d’autres estiment qu’il s’agit d’un genre à part entière, nécessitant un savoir-faire et des compétences tout à fait particulières. Compte tenu de sa nature et de votre expérience cinématographique, qu’est-ce que vous pouvez nous dire à cet égard ?

C’est une question très pertinente, et elle touche à l’essence même de ce qu’est le court métrage dans le paysage cinématographique.Effectivement, certains le voient comme un laboratoire, un espace d’expérimentation et d’apprentissage, notamment pour les jeunes réalisateurs qui y font souvent leurs premiers pas. Et c’est vrai qu’il permet d’essayer des choses, de prendre des risques formels ou narratifs, d’affirmer une vision sans forcément subir les contraintes d’un long métrage, qu’elles soient budgétaires, techniques ou même institutionnelles.

Mais en ce qui me concerne, et avec l’expérience que j’ai accumulée dans le milieu du cinéma, je suis fermement convaincue que le court métrage est un genre à part entière, avec ses propres règles, exigences et langages. Il ne s’agit pas d’un «film en miniature», mais bien d’un format singulier qui demande une maîtrise précise de l’écriture, du rythme, de la mise en scène et du montage. En peu de temps, il faut capter l’attention, développer une émotion, construire un univers, parfois même raconter une vie entière. Cela demande un véritable savoir-faire, et c’est loin d’être un exercice facile.

D’ailleurs, certains des plus grands cinéastes ont trouvé dans le court métrage un terrain d’expression à part entière, et non un simple tremplin. Ce format peut être extrêmement puissant, percutant, poétique ou radical. Il a une liberté que le long métrage perd parfois.

En tant que membre du jury cette année, je serai donc très attentive à cette singularité du format, à sa capacité à émouvoir, surprendre ou interroger en quelques minutes seulement. Et je garderai à l’esprit qu’un bon court métrage n’est pas un «extrait de film», mais une œuvre complète, aboutie et pensée comme telle.

Vous avez joué les premiers rôles dans plusieurs films maliens et africains. Quelle est la différence entre interpréter un rôle dans un court métrage et un rôle dans un long métrage ?

Interpréter un rôle dans un court métrage et un autre dans un long métrage présente plusieurs différences, même si les exigences fondamentales du métier d’acteur, comme l’authenticité, la concentration et l’engagement, restent les mêmes. Voici quelques distinctions clés :Tout d’abord, la durée et le développement du personnage. Dans un court métrage, le temps est limité (souvent entre 5 et 30 minutes), donc l’acteur doit rapidement installer son personnage. Il faut aller à l’essentiel, exprimer beaucoup en peu de temps. Dans un long métrage, il y a plus de temps pour développer en profondeur le personnage, son évolution, ses conflits intérieurs, et ses relations avec les autres. L’interprétation peut être plus nuancée et progressive.

Ensuite, le rythme de tournage. Celui du court métrage est souvent plus rapide, concentré sur quelques jours. Cela demande une grande préparation en amont, car il y a peu de marge pour reprendre ou ajuster. Le tournage d’un long métrage s’étale sur plusieurs semaines, parfois des mois. Cela permet de mieux explorer le personnage, mais demande aussi une endurance et une cohérence sur la durée.

Autre point, l’impact émotionnel et l’intensité. Dans un court métrage, il faut souvent transmettre une émotion forte ou un message en peu de scènes. L’intensité est souvent concentrée, presque théâtrale parfois. Dans un long métrage, l’intensité peut être plus diffuse, avec des pics émotionnels répartis. Cela permet de construire une tension plus lente, parfois plus réaliste.

En ce qui concerne les conditions de tournage, les budgets des courts métrages sont généralement modestes, ce qui signifie moins de prises, de matériel ou de confort. L’acteur doit s’adapter à des conditions souvent plus contraignantes. Les longs métrages sont souvent mieux financés, avec une équipe plus large, plus de temps et de moyens. Cela permet une approche plus «luxueuse» du jeu d’acteur.

Enfin, la visibilité et la diffusion. Les courts métrages sont souvent destinés aux festivals ou à des plateformes en ligne. Cela peut offrir une belle vitrine pour se faire remarquer, surtout dans un rôle marquant. Le long métrage, lui, a une portée plus large (cinémas, télévision, streaming), avec un potentiel de notoriété plus important pour un acteur.

En résumé, jouer dans un court métrage, c’est un exercice de précision, d’intensité et de concision. Le long métrage permet un travail plus étendu, plus nuancé, mais demande aussi une grande régularité. Un bon acteur doit savoir s’adapter aux deux formats, car chacun offre des défis uniques.

Malgré ses spécificités, le court métrage reste quelque peu en marge, en termes de financement et de distribution. Pensez-vous que le court métrage est condamné à subir cette déplorable situation ou y a-t-il d’autres alternatives pour pallier cet état de fait ?

Votre question soulève un enjeu réel du paysage cinématographique contemporain. Malgré ses spécificités artistiques et narratives, le court métrage reste souvent relégué à une position marginale, tant sur le plan du financement que de la distribution. Les financements publics, bien que présents, sont limités, et les circuits de diffusion traditionnels (salles de cinéma, télévision) lui sont peu accessibles. En dehors des festivals, rares sont les occasions pour le grand public de découvrir ces œuvres pourtant riches en audace et en créativité.

Cependant, le court métrage n’est pas condamné à cette marginalisation. Plusieurs alternatives existent pour revaloriser ce format.

Les plateformes numériques (YouTube, Arte.tv, Short of the Week, etc.) permettent aujourd’hui une diffusion mondiale, gratuite ou monétisée. Cela favorise une meilleure visibilité, sans les contraintes des circuits classiques.

Les Festivals spécialisés jouent un rôle essentiel en offrant une vitrine professionnelle et médiatique aux créations courtes, et servent parfois de tremplin pour les jeunes cinéastes.

L’intégration dans les programmes éducatifs et culturels constitue une autre piste. Les courts métrages sont de plus en plus utilisés dans les écoles, les cinémathèques ou les médiathèques comme outils pédagogiques.

Il y a également la coproduction et les initiatives collectives, avec des projets soutenus par des collectifs de réalisateurs ou via des campagnes de financement participatif.

Enfin, les formats hybrides et transmédias (web-séries, expériences interactives, réalité virtuelle...) offrent au court métrage de nouveaux horizons artistiques et économiques.

En conclusion, le court métrage doit réinventer ses modes de production et de diffusion pour survivre et rayonner. À une époque où les formats courts sont valorisés sur les réseaux sociaux et où le numérique bouleverse les règles du jeu, ce format a plus que jamais une carte à jouer. À condition, bien sûr, qu’il soit soutenu par une volonté politique, professionnelle et citoyenne.

Vous êtes la directrice du Festival international du film des femmes du Mali (FIFFEM) et vous avez déclaré que le Festival s’est assigné pour mission d’offrir une plateforme dynamique et inclusive, propice à la mise en lumière du talent, de la diversité et de la créativité des femmes dans le cinéma. Parlez-nous un peu du rôle des femmes dans le développement du cinéma africain et quels sont les obstacles qui peuvent entraver leur ambition ?

Le rôle des femmes dans le développement du cinéma africain est fondamental, bien que souvent sous-estimé. Depuis les débuts du cinéma sur le continent, des pionnières ont contribué à poser les bases d’un regard féminin, engagé et novateur dans un univers largement dominé par les hommes. Aujourd’hui, de nombreuses réalisatrices, scénaristes, productrices, actrices et techniciennes africaines portent des récits puissants, enracinés dans nos réalités locales, tout en s’inscrivant dans les enjeux globaux.

Les femmes dans le cinéma africain apportent une voix singulière, souvent empreinte d’une profonde sensibilité sociale. Elles osent aborder des thématiques encore taboues : les violences faites aux femmes, les conflits identitaires, les luttes sociales, les résistances culturelles... Elles participent à la construction d’un imaginaire plus juste et plus inclusif, dans lequel les femmes ne sont plus seulement représentées, mais aussi représentantes de leur propre histoire.

Cependant, leur parcours est semé d’embûches. Les obstacles sont nombreux :

• L’accès au financement : les femmes cinéastes rencontrent davantage de difficultés à mobiliser des ressources, tant au niveau local qu’international.

• Le manque de formation et d’opportunités : les écoles de cinéma sont rares, et les formations techniques souvent peu accessibles aux femmes.

• Le poids des normes sociales : dans plusieurs sociétés, les attentes socioculturelles freinent leur liberté de s’exprimer, de voyager ou de travailler dans un secteur encore perçu comme masculin.

• La sous-représentation dans les sphères décisionnelles : peu de femmes dirigent des structures de production ou de diffusion.

C’est face à ces défis que le FIFFEM s’est donné pour mission d’être un espace de visibilité, de formation, de rencontre et de plaidoyer. Nous croyons fermement qu’en leur offrant une plateforme dynamique et inclusive, nous contribuons non seulement à renforcer leur place dans l’industrie, mais aussi à enrichir la diversité des regards qui façonnent notre continent.

En mettant en lumière le talent et la résilience des femmes cinéastes, nous faisons plus que promouvoir l’égalité. Nous faisons avancer le cinéma africain tout entier.
Copyright Groupe le Matin © 2025