Yousra Amrani
18 Septembre 2025
À 16:00
Depuis plus de deux mois et demi, les
prix du poulet ne sont pas redescendus en dessous de 20 dirhams le kilogramme. Le pic a été atteint en août et confirmé encore la semaine dernière, avec un kilogramme de
poulet vivant vendu à 25 dirhams sur le
marché de gros de Rabat. Selon les experts, cette flambée résulte d’une combinaison de facteurs : la forte demande liée à la
saison estivale et aux fêtes qui s’étalent désormais jusqu’en septembre, la mortalité élevée des poussins due aux
vagues de chaleur, des déséquilibres dans la chaîne d’approvisionnement, ainsi qu’un manque de politiques publiques efficaces.
Abderrahmane Ryadi, secrétaire général adjoint de
l’Association nationale des producteurs de viandes de volailles au Maroc, confirme que cette hausse était attendue, même si elle s’est aggravée sous l’effet de plusieurs éléments conjoncturels. «Cette augmentation des prix découle d’un déséquilibre entre une demande croissante et une offre limitée, accentuée par la hausse des prix de la viande rouge, qui pousse de nombreux consommateurs à se tourner vers le poulet», explique-t-il.
Une offre en recul et des producteurs découragés
Face à cette tension sur la demande, l’offre s’est contractée. En cause, la diminution du
nombre d’éleveurs, découragés par les fluctuations brutales des prix. Beaucoup, incapables de supporter des pertes répétées, ont fini par jeter l’éponge. « Contrairement aux pays développés, où de grands opérateurs contrôlent l’ensemble de la chaîne, de l’élevage à la distribution, le secteur marocain
demeure extrêmement fragmenté. Chaque acteur agit de manière isolée, sans véritable coordination, ce qui entraîne de sérieux dysfonctionnements et des périodes marquées par des flambées excessives des prix. À cela s’ajoute un autre problème majeur : l’assèchement progressif des puits. Or, l’eau est indispensable pour refroidir les espaces d’élevage, mais le gouvernement interdit désormais l’aménagement de nouveaux forages, compliquant davantage la situation des producteurs», souligne M. Ryadi.
Pour pallier ces dysfonctionnements, ce professionnel estime désormais urgent de mettre en place une stratégie claire sur deux ou trois ans, capable d’anticiper les besoins du marché. «L’État doit accompagner le secteur, mais les producteurs ont aussi la responsabilité de s’organiser et de s’autoréguler», ajoute-t-il.
Une crise enracinée dans une décennie de déséquilibres
Les récentes
fluctuations des prix ne sont que la partie visible d’un problème bien plus profond. Depuis près d’une décennie, la filière avicole traverse des turbulences structurelles. La
pandémie de Covid-19 a amplifié ces difficultés, fragilisant davantage les petits et moyens éleveurs, qui constituent l’ossature de la production nationale. «Beaucoup ont été acculés par l’endettement et contraints de quitter le marché», déplore M. Ryadi.
Les intrants, un poids supplémentaire
À cette crise structurelle s’ajoute celle des intrants. Le
prix des aliments pour volailles, qui a presque doublé, reste une charge insoutenable pour les éleveurs. Bien que les prix se soient stabilisés ces trois derniers mois, la qualité est jugée en baisse. «Nombre d’éleveurs, déjà étranglés par des
coûts faramineux, ont dû contracter des dettes auprès des fournisseurs, allant jusqu’à hypothéquer leurs biens. Aujourd’hui, beaucoup sont dans l’incapacité de redémarrer sans un appui direct de l’État», souligne encore M. Ryadi.
Une restructuration devenue incontournable
Pour les professionnels, il est impératif d’engager une restructuration en profondeur du secteur. «Une refonte globale est indispensable pour prémunir la filière contre les fluctuations internationales et ses propres faiblesses structurelles», insiste M. Ryadi. Cette nouvelle
flambée des prix constitue un
signal d’alarme : sans modernisation, sans soutien aux petits producteurs et sans meilleure régulation du marché, l’avenir de la filière avicole reste menacé. Or, il s’agit d’un secteur clé pour la sécurité alimentaire du Maroc et pour le
pouvoir d’achat des citoyens. Les défis sont immenses, mais leur résolution est désormais incontournable pour assurer la stabilité et la pérennité de la production avicole nationale.