Moncef Ben Hayoun
27 Octobre 2025
À 10:05
L’accès à une assurance maladie réduit significativement l’
épargne des
ménages marocains, particulièrement parmi les groupes vulnérables, tels que les familles à faible revenu, les ménages ruraux et ceux dirigés par des femmes.
C’est ce qu’indique un document de travail publié par
Bank Al-Maghrib. Cette étude, menée par Sara Loukili et Patti Fisher, examine la relation entre la couverture d’assurance maladie et le comportement d’épargne des ménages au Maroc, en s’appuyant sur des données représentatives au niveau national issues de l’enquête sur la consommation et les dépenses des ménages.
Une baisse marquée de l’épargne de précaution
L’analyse révèle que les ménages disposant d’une assurance maladie affichent un taux d’épargne inférieur de 24,5 points de pourcentage en moyenne par rapport aux ménages non assurés. Cette différence substantielle soutient l’hypothèse selon laquelle l’assurance maladie pourrait influencer l’épargne de précaution, réduisant le besoin des ménages de maintenir des réserves liquides pour faire face aux chocs financiers, notamment ceux liés à la santé. Ce constat présente un intérêt dans le cadre des réflexions sur la protection sociale et l’inclusion financière. L’effet varie considérablement selon le niveau de revenu. Les ménages du quintile le plus pauvre sont les plus affectés, avec une probabilité d’épargner inférieure de 28 points de pourcentage. Cette proportion diminue progressivement : 9,9 points pour le deuxième quintile, 14,7 points pour le troisième, 14,4 points pour le quatrième, et seulement 5,9 points pour le quintile le plus riche.
Les groupes vulnérables particulièrement concernés
L’étude identifie trois catégories de ménages où l’impact de l’assurance sur l’épargne est le plus prononcé. D’abord, les ménages dirigés par des femmes présentent une baisse de 21,2 points de pourcentage de leur taux d’épargne. Cette réduction modérée pourrait refléter une volatilité de revenus persistante et un accès limité aux outils financiers. Ensuite, pour les ménages ruraux, la baisse de l’épargne est plus marquée, atteignant 22,2 points de pourcentage. Cela confirme que l’assurance offre une protection financière dans les zones où l’accès aux soins de santé est limité et les coûts sont élevés. Enfin, les ménages en situation de contrainte de liquidité, avec un accès limité au crédit formel, notamment les travailleurs indépendants, affichent la plus forte baisse : 45,7 points de pourcentage.
Un système de santé en pleine transformation, mais...
Selon l’étude, le Maroc a profondément restructuré son système d’assurance maladie au cours de la dernière décennie, visant une couverture santé universelle. Selon les données les plus récentes des Comptes nationaux de la santé, le système couvre environ 85% de la population en décembre 2022, contre moins de 25% en 2006. Malgré cette expansion significative de la couverture, les dépenses de santé à la charge des ménages demeurent considérablement élevées, représentant toujours une part substantielle des dépenses de santé totales. En 2022, les ménages marocains ont dépensé environ 31 milliards de dirhams (soit près de 3,2 milliards de dollars) de leur poche en 2022, soit approximativement 848 DH par habitant
annuellement. Ces paiements directs représentaient 38% des dépenses de santé totales, bien au-dessus du seuil de 25% recommandé par l’
Organisation mondiale de la santé (OMS). À titre de comparaison, cette proportion dépasse la moyenne régionale MENA (Moyen-Orient/Afrique du Nord – 26%), celle des pays à revenu intermédiaire supérieur (31,7%) et la moyenne mondiale (17,2%).
Des effets différenciés sur les dépenses des ménages
Au-delà de la réduction de l’épargne, l’assurance maladie influence la manière dont les ménages répartissent leurs budgets. L’étude révèle que dans le quintile le plus pauvre, l’assurance maladie est associée à une augmentation statistiquement significative des dépenses de santé. Cela suggère que plutôt que de réduire les dépenses de santé totales, l’assurance permet aux ménages mal desservis d’accéder aux soins. En revanche, les quintiles supérieurs montrent une augmentation atténuée ou négative des dépenses de santé, ce qui indique que l’assurance sert davantage d’outil de protection financière que de facilitateur d’accès. De manière importante, les résultats montrent également des augmentations des dépenses d’éducation dans les quatrième et cinquième quintiles, suggérant que l’assurance facilite une réallocation productive du budget parmi les ménages les plus aisés. La composition des dépenses varie considérablement selon le revenu. La part des dépenses alimentaires diminue régulièrement avec l’augmentation du revenu. Les ménages à faible revenu consacrent une fraction plus importante de leur budget à l’alimentation et au logement, tandis que les ménages à revenu élevé allouent relativement plus aux transports, à l’éducation et à la santé. Le taux d’épargne augmente également avec le revenu : les ménages du décile le plus bas épargnent en moyenne 17% de leur revenu, contre plus de 30% pour ceux des deux déciles supérieurs.
Implications pour les politiques publiques
Les chercheurs soulignent que ces résultats ont des implications importantes pour les politiques de protection sociale et d’inclusion financière au Maroc. La réduction de l’épargne de précaution suggère que l’assurance maladie remplit effectivement son rôle de protection contre les risques sanitaires. Cependant, la persistance d’un niveau élevé de dépenses directes indique que des lacunes importantes subsistent dans la couverture, avec des co-paiements élevés et des services limités qui continuent d’obliger les ménages à s’appuyer sur l’épargne personnelle. L’étude souligne que la réduction de l’épargne de précaution reste partielle : tant que la couverture d’assurance est perçue comme incomplète ou que l’accès aux soins reste limité par des barrières systémiques, les ménages continuent de maintenir une épargne de précaution significative. Cela explique pourquoi, malgré l’expansion de la couverture, les dépenses directes des ménages demeurent élevées à 38%. À l’inverse, des régimes d’assurance crédibles et complets pourraient progressivement réduire le besoin de telles épargnes, libérant des ressources pour la consommation, l’éducation ou l’investissement. Les auteurs appellent à des recherches longitudinales futures pour différencier les réponses comportementales à court terme des changements durables dans les habitudes d’épargne. Des analyses désagrégées par profession, région géographique et composition du ménage seront essentielles pour comprendre l’hétérogénéité des impacts. Cette recherche, précisent les auteurs, contribue à une meilleure compréhension de la manière dont l’élargissement de la couverture santé influence les décisions financières des ménages dans le contexte d’un pays en développement comme le Maroc, et ouvre plusieurs pistes pour des recherches futures sur les liens entre protection sociale et comportement économique des ménages.