Enseignement

Compétences en entreprise : comment l’Université Hassan 1er et la CGEM entendent gagner le pari

Face aux mutations technologiques accélérées et aux exigences d’un marché du travail en perpétuelle évolution, l’Université Hassan 1er et la CGEM Settat-Berrechid ont posé, mardi 30 septembre 2025, les jalons d’une collaboration inédite. Lors d’une table ronde organisée au Centre d’Innovation universitaire, acteurs académiques et opérateurs économiques ont convergé vers une vision commune : transformer radicalement les modalités de formation pour répondre aux défis de la digitalisation, de la transition énergétique et de la compétitivité internationale. Cette rencontre marque un tournant décisif dans l’approche régionale du développement des talents, avec l’ambition de faire de Settat-Berrechid un laboratoire d’innovation pédagogique au service de l’économie nationale.

02 Octobre 2025 À 12:59

Ce mardi 30 septembre 2025, le Centre d’innovation de l’Université Hassan 1er a abrité une activité assez particulière. Gouverneur, universitaires et chef d’entreprises s’y sont donné rendez-vous pour repenser ensemble l’équation fondamentale du développement économique : comment former aujourd’hui les talents qui feront la compétitivité de demain ? Une question d’autant plus cruciale que la région de Settat-Berrechid, avec ses zones industrielles, concentre des entreprises aux besoins en compétences de plus en plus pointues.

L’humain, pierre angulaire de la compétitivité territoriale Mohamed Ali Habouha, gouverneur de la province de Settat, a posé les termes du débat avec une lucidité remarquable. «L’employeur principal aujourd’hui est le secteur privé», a-t-il affirmé, soulignant le basculement paradigmatique qui s’opère dans les économies modernes. Le gouverneur a insisté sur la nécessité d’une «ouverture structurelle» entre université et entreprises, dépassant les collaborations ponctuelles pour instituer un dialogue permanent et agile. La notion d’agilité, fil rouge de cette rencontre, traduit l’impératif d’adaptation continue face aux transformations technologiques. «Sans innovation, nous tournerons en rond», a prévenu Mohamed Ali Habouha, plaidant pour la création de comités d’innovation mixtes associant chercheurs universitaires et représentants d’entreprise.

Une offre de formation diversifiée pour répondre aux mutations économiques Abdellatif Moukrim, président de l’Université Hassan 1er, a détaillé l’arsenal pédagogique déployé par son établissement : 229 filières déclinées en quatre modalités complémentaires, conçues pour répondre aux besoins tant des étudiants que des professionnels en activité. «L’université a démarré la formation continue depuis 2003, initialement destinée aux industriels et acteurs socio-économiques comme l’OCP, l’ONE, SOMACA ou la wilaya de Settat», a-t-il rappelé, mettant l’accent sur «deux décennies d’expertise» dans ce domaine.

L’offre destinée spécifiquement aux salariés et fonctionnaires se décline en trois volets stratégiques. La formation continue, avec ses 98 filières et déjà 1.713 candidats inscrits, offre une flexibilité remarquable. «Nous avons une souplesse au niveau du volume horaire, du déroulement de l’enseignement, avec possibilité de formations à distance, de programmes à la carte, de séminaires et d’ateliers d’actualisation des connaissances», a précisé M. Moukrim. Cette adaptabilité répond directement aux contraintes des professionnels : des cadres administratifs venus perfectionner leur expertise juridique aux dirigeants d’entreprises cherchant à maîtriser les nouvelles normes comptables internationales.

Le dispositif de formation en temps aménagé, comptant 35 filières (8 licences et 27 masters), constitue une innovation particulièrement pertinente pour le monde professionnel. «L’enseignement se déroule en dehors des heures de travail, les week-ends, et s’adresse aux cadres d’entreprises et au staff administratif», a expliqué le président. Cette modalité, qui suit le format LMD (Licence-Master-Doctorat), permet aux professionnels d’obtenir des diplômes reconnus sans interrompre leur activité. La formation en alternance, bien que limitée à trois filières pour l’instant, représente un pont stratégique entre théorie académique et pratique professionnelle. Les stages alternés permettent aux apprenants de maintenir leur lien avec l’entreprise tout en développant de nouvelles compétences.

«Nous disposons de 500 enseignants mobilisables et, le cas échéant, nous pouvons recourir à des compétences extérieures», a affirmé M. Moukrim, mettant en avant la capacité de l’institution à répondre à des demandes pointues. Cette force de frappe académique s’appuie sur 25 ans d’expérience en formation continue et des établissements de renommée comme l’ENCG et la FST, pionniers dans ce domaine depuis 2003.

L’université a également développé trois centres d’excellence et propose 900 sujets de thèses doctorales. «Nous pourrions proposer des sujets qui intéressent directement les entreprises», a suggéré le président, ouvrant la voie à une recherche appliquée au service de l’innovation industrielle. Un site dédié aux inscriptions facilite l’accès à ces formations, témoignant d’une digitalisation des processus administratifs. «Nous sommes à votre disposition pour toutes formations que vous pourriez proposer, même de courte durée», a conclu M. Moukrim, affirmant ainsi une disponibilité totale pour co-construire des parcours sur mesure.

Un investissement de 30 millions de dirhams a été consacré à l’amélioration de l’environnement universitaire, créant des espaces d’apprentissage modernes adaptés aux exigences des professionnels. Cette modernisation des infrastructures, couplée à la diversité de l’offre pédagogique, positionne l’Université Hassan 1er comme un acteur incontournable de la formation tout au long de la vie dans la région.

Les entreprises au cœur de la redéfinition des compétences Karim Lahlou, président de la CGEM Settat-Berrechid, a salué l’engagement des chefs d’entreprises présents, «preuve concrète que l’entreprise est pleinement mobilisée pour accompagner cette mutation». Il a souligné deux dispositifs essentiels : la formation en alternance avec trois filières, permettant aux étudiants d’apprendre directement en entreprise, et le temps aménagé, offrant aux salariés la possibilité d’élever leurs compétences sans freiner l’activité productive.

El Mehdi Daraoui, président de la commission enseignement privé de la CGEM-Settat, a approfondi l’analyse en évoquant le Livre Blanc de la Confédération patronale : «Le développement du capital humain constitue l’une des clés de la réussite du Maroc.» Trois dynamiques majeures transforment le paysage économique : la digitalisation avec l’émergence de l’industrie 4.0, la décarbonation imposant de nouveaux métiers verts, et l’internationalisation exigeant des compétences en logistique avancée et management interculturel.

Au-delà des compétences techniques, les entreprises recherchent désormais des profils dotés de «soft skills» : créativité, adaptabilité, esprit critique. «Il ne suffit plus de maîtriser un savoir-faire technique», a insisté El Mehdi Daraoui, appelant à une refonte profonde des curricula universitaires.

Vers une gouvernance participative de la formation De la discussions jaillit la lumière. Les échanges ont permis ainsi de formuler des propositions concrètes. La CGEM préconise l’établissement d’un cadre de concertation permanent université-entreprises, la co-construction de programmes adaptés aux réalités industrielles régionales, et le lancement de chaires mixtes sur des thématiques stratégiques.

Une plateforme numérique commune pourrait matérialiser cette collaboration, permettant aux entreprises de formuler leurs besoins et aux étudiants de consulter les opportunités disponibles. «Il faut créer une communauté pour donner son avis sur les formations», a suggéré un participant, esquissant les contours d’un écosystème collaboratif innovant. L’engagement s’est voulu immédiat et opérationnel. Une réunion technique est programmée dès la semaine prochaine pour traduire ces intentions en actions concrètes. Karim Lahlou s’est personnellement engagé : «Je serai présent aux réunions techniques pour recueillir ensemble les besoins et mettre en place des socles communs».

Cette initiative dépasse le cadre strictement régional. Elle s’inscrit dans la stratégie nationale du ministère de tutelle et dans le projet de développement institutionnel de l’Université Hassan 1er. La région de Settat-Berrechid, forte de sa dynamique socio-économique, se positionne comme laboratoire d’expérimentation pour un nouveau modèle de partenariat université-entreprise. L’enjeu est de taille : transformer la formation d’un processus linéaire et standardisé en un continuum adaptatif, capable d’anticiper et d’accompagner les mutations économiques.
Copyright Groupe le Matin © 2025