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Le musée Sakharov tire la sonnette d'alarme à Moscou

C'est l'un des rares lieux de contestation et de mémoire du goulag à Moscou. Mais faute de moyens, le musée Andreï Sakharov, qui poursuit à sa manière le combat du célèbre dissident soviétique, menace de fermer ses portes.

Une exposition consacrée à l'art anticlérical au musée Sakharov à Moscou en 2003. Photos : www.avmaroc.com/ www.russianconcept.com

16 Novembre 2007 À 15:46

"La situation est dramatique. A partir du 1er janvier, le musée va devoir réduire ou stopper ses activités et licencier une grande partie de son personnel", se désespère son directeur, Iouri Samodourov.

Devant l'indifférence générale en Russie, où les dissidents n'ont plus guère la cote depuis le retour en force des anciens du KGB, M. Samodourov a demandé de l'aide aux pays de l'UE, au Parlement européen, sans résultat.

Jusqu'ici, le musée dépendait pour l'essentiel de donateurs étrangers.

"Mais l'intérêt de l'Occident pour les problèmes de la Russie diminuant, ce soutien se réduit aussi. A l'heure actuelle, pour 2008, nous espérons 50.000 dollars de la Fondation Sakharov aux Etats-Unis", loin du budget annuel de 340.000 dollars (230.000 euros), relève M. Samodourov.

Le musée propose une exposition permanente sur le Prix Nobel de la Paix, contraint à l'exil intérieur à Gorki (400 km à l'est de Moscou) de 1980 à 1986, sur le goulag et sur les répressions politiques en URSS.

Co-inventeur de la bombe à hydrogène soviétique, Andreï Sakharov (1921-1989) changea brutalement de destin et s'engagea dans la défense des droits de l'Homme à la fin des années 60. Poursuivi, harcelé par le KGB, il ne sera réhabilité qu'en 1986 au début de la perestroïka.

L'exposition reprend nombre de réflexions politiques et philosophiques de ce visionnaire, certains diront cet idéaliste, dont le combat reste toujours actuel en Russie après les espoirs déçus de l'ère Eltsine et les reculs démocratiques sous Vladimir Poutine.

Fidèle à son engagement, le musée Sakharov "résiste" en critiquant dans ses expositions le "système Poutine", la situation en Tchétchénie ou le fondamentalisme religieux, ce qui lui a valu menaces et intimidations comme en témoignent des impacts de balles sur les fenêtres de son bureau.

Tout ne plaît pas, loin de là, telle l'exposition "Attention, religion" qui provoqua un tollé avec une pièce superposant le Christ et Coca Cola. "Les provocations, ce n'est pas la vocation du musée", estime Svetlana Gannouchkina, militante respectée des droits de l'Homme et membre du comité de direction du musée.

"Mais ce musée est nécessaire, il faut entretenir la mémoire d'Andreï Sakharov, faire vivre ses principes. Il y a des sujets très importants en Russie dont il faut parler tels les violations des droits dans les prisons, les abus du FSB (ex-KGB) qui ne se gêne plus", ajoute-t-elle.

Pour le directeur du musée, le président Poutine, lui-même ancien officier du KGB, "fait tout ce que Sakharov n'aurait jamais soutenu, il a instauré une parodie de démocratie".

Dans un tel contexte, M. Samodourov n'attend rien de l'Etat. "Je serais heureux de compter parmi nos donateurs une personnalité connue, cela encouragerait d'autres à donner. Mais les gens ont peur ou ne sont pas intéressés", regrette-t-il en revanche.

A Gorki, redevenu Nijni Novgorod en 1991, un modeste musée a été aménagé dans l'appartement où M. Sakharov vécut reclus avec sa femme pendant six ans, sous la surveillance constante du KGB.

La vieille table-bureau rafistolée par Sakharov, le téléphone installé au dernier jour de l'exil pour que Gorbatchev puisse lui annoncer en personne qu'il était libre... le décor est planté.

Mais avec un million de roubles (30.000 euros) de budget annuel, financé par la ville, le musée vivote.

"Aucun président n'est jamais venu ici", déplore la directrice Lioubov Potapova. Andreï Sakharov reste méconnu en Russie. "Les jeunes devraient en savoir plus sur lui et sur l'époque soviétique pour ne pas reproduire les erreurs du passé", ajoute-t-elle.
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