Dans l'antre secret suisse Jean Paul Barbier-Mueller
Il a réuni la plus belle collection privée au monde d'arts primitifs, mais Jean Paul Barbier-Mueller, chasseur d'absolu, estime n'avoir, à 78 ans, "rien érigé qui soit à l'épreuve des siècles".
Le collectionneur suisse, Jean Paul Barbier-Mueller : «J'ai horreur des objets en cage». (Photo : www.connaissancedesarts.com)
AFP
12 Juin 2008
À 08:51
Difficile à croire, quand il nous mène dans les méandres de son antre secret à Genève, fabuleuse caverne où transitent les trésors qu'il expose dans le monde entier. "J'ai horreur des objets en cage", sourit-il.
Ici, boucliers océaniens, masques-reliquaires Fang du Gabon, poteaux des Iles Salomon, sculptures funéraires de Madagascar, voisinent avec les terres cuites africaines bientôt exposées au Luxembourg.
Déjà, sa collection d'antiquités se déploie au musée genevois d'Art et d'Histoire. A Barcelone, son Eldorado précolombien. A Paris, ses fleurons de l'art africain. A Chantilly, ses précieux ouvrages de poésie de la Renaissance. Son jardin secret.
"Je voulais être poète, mais je n'ai aucun génie, dit-il avec humour. Alors, j'ai axé ma facilité dans d'autres domaines", montrant le fameux masque téké (République Populaire du Congo) ayant appartenu au peintre André Derain.
Il y a là aussi les plus beaux masques baoulé (Côte d'Ivoire), un admirable siège songye (Zaïre). On imagine sans peine ses innombrables déplacements de Mexico à Bornéo, en passant par Abidjan, pour étudier les oeuvres, leur environnement, les photographier.
"Ce qui frappe chez lui, relève Jean-Louis Prat, ancien directeur de la Fondation Maeght, c'est sa disponibilité, son extrême gentillesse, si bien que certains le croient mondain. C'est tout le contraire. Il montre une force de travail, une persévérance stupéfiantes. Il veut et réussit à tout magnifier".
Qu'une œuvre capte son regard, il la ferre. "Disons plutôt que c'est l'oeuvre qui me poursuit, corrige Jean Paul Barbier-Mueller. Comme vous hante la jeune fille rencontrée dans une soirée".
Ainsi, séduit par Monique Mueller, qui n'a pas 20 ans, il la conquiert avec une carte au nom de "Ladislas Bromsky, espion". "Il sortait vraiment du lot", dit-elle en riant.
Elle était la fille unique de Josef Mueller, collectionneur de peintures, puis d'arts primitifs, un homme plutôt taiseux ("nous avons échangé 300 mots en 25 ans"), qui attendait d'un futur gendre qu'il fît ses preuves.
A 22 ans, Jean Paul Barbier quitte donc le barreau pour la banque. Emploi moins poétique, mais mieux loti. Trois ans plus tard, il épouse Monique, se propulse dans les affaires, comme dans les courses de stock-car ("j'ai été champion de Suisse"). Crée une société de gestion immobilière qui asseoit sa fortune.
Elle ne l'attendait pas au berceau. De son enfance, il garde le souvenir de parents qui s'entredéchirent, d'un beau-père "haïssable", qui l'oblige à quitter la maison, un soir de Noël, en pleine tempête de neige. Il n'a que 13 ans.
"J'ai vécu chez mon père, dentiste, musicien, passionné de biologie, au point d'élever des truites dans l'unique baignoire. Pendant la guerre, ma chambre était parfois occupée par des résistants français. Mon père leur avait fait traverser la frontière au péril de sa vie et me faisait signer des faux papiers de ma belle écriture".
Jeune homme, il collectionne les livres anciens, les antiquités. Puis les arts des pays non-occidentaux, au contact de Josef Mueller, dont il épurera la collection avec sa femme Monique et l'étendra magnifiquement à 7.000 chefs d'oeuvre.
Il ouvre un musée à Genève (1977), un autre à Barcelone (1997), fait don à la France de 500 pièces (2001), provenant notamment de l'Insulinde, rappelle Stéphane Martin, Président du Musée du Quai Branly, qui voit en lui un "honnête homme", un "érudit" de la Renaissance.
Aujourd'hui, Jean Paul Barbier-Mueller achève la rédaction de son dictionnaire biographique des poètes français du XVIe siècle.
"Ce sera, dit-il modestement, ma seule oeuvre à l'épreuve du temps".