L'arowana, le poisson le plus cher, enfièvre l'Asie
Retirant avec précaution l'épais tissu noir qui recouvre son aquarium, Erfin Hongdoyo dévoile son trésor : un poisson arowana rouge de 40 cm de long.
AFP
04 Mars 2008
À 08:52
Ce Sino-Indonésien habitant Jakarta est l'heureux possesseur d'un Scleropages formosus (scléropage d'Asie), poisson d'eau douce quasiment éteint à l'état sauvage.
Surtout connu sous le nom d'arowana "super red", cet animal au corps ondulant ne se trouve plus que dans certaines rivières de Bornéo. Son élevage strictement réglementé se borne à l'Indonésie, la Malaisie et Singapour.
"Il ressemble à un dragon", affirme M. Hongdoyo, en confiant qu'il refuserait de vendre sa créature 25 millions de roupies (2.800 dollars). Le "poisson-dragon" rouge est devenu l'objet des spéculations les plus extravagantes, certains spécimens dépassant les 55.000 dollars (36.000 euros).
Dimanche s'est conclue à Jakarta une foire-concours consacrée aux arowanas, surtout les rouges, les plus prisés. Un poisson a été acheté 180 millions de roupies (20.000 dollars, 13.100 euros), un autre 200 millions (22.100 dollars, 14.500 euros).
Les éleveurs que l'AFP a rencontrés sur place constatent unanimement une hausse de la demande en Chine, au Japon, à Taïwan mais aussi en Inde.
Pour beaucoup de Chinois, posséder un arowana est l'assurance de bénéficier des pouvoirs mythiques du dragon: santé, chance, foyer soudé, affaires florissantes. D'autres souhaitent exposer dans leur salon ce symbole de luxe, à l'instar d'une toile de maître.
La fièvre a stimulé la création de fermes piscicoles spécialisées, parfois cotées en bourse et gérées par des millionnaires.
"La concurrence augmente", souligne Jap Khiat Bun, P.-D.G. de CV Maju Aquarium. "Il y a maintenant plus de 200 éleveurs à Pontianak (Bornéo), ils détournent l'eau de la rivière directement vers leurs bassins".
Produire des arowanas est pourtant difficile. Il faut s'enregistrer au CITES, la convention sur le commerce des espèces menacées d'extinction. Chaque poisson vendu avec un certificat doit être de deuxième génération ou plus. Une puce électronique obligatoire permet de l'identifier.
L'arowana suscite logiquement "une très forte contrebande", selon Chris Shepherd, de l'ONG de défense de la vie animale Traffic. "Les marges sont très élevées, il y a beaucoup de prises illégales", explique-t-il. "Les populations déclinent rapidement et je ne vois aucun signe de ralentissement du commerce".
"Il n'y en a quasiment plus (en milieu naturel)", confirme Laurent Pouyaud, généticien à l'Institut de recherche pour le développement (IRD). "Son aire de distribution (à Bornéo) couvre moins de 100 hectares".
L'arowana, capable de sauter à 1,5 m de haut, se capture facilement. "Il a les yeux qui brillent près de la surface et s'attrape à l'épuisette", indique M. Pouyaud.
Les critères de qualité suprême d'un arowana sont subtils. Ses yeux doivent être orientés vers le haut, puisque le prédateur est censé être à l'affut d'un insecte. Ses deux barbillons doivent être parallèles, ses nageoires bien déployées.
Quelques bêtes exceptionnelles présentent sur le dessus une large rangée d'écailles bien alignées. Le poisson est alors déclaré "I Thiaw Long". Son prix est multiplié par deux.
Comme les chevaux de course, des arowanas gagnent une réputation internationale, dit Stephen Suryaatmadja, président du Club Arowana Indonésie.
Le "grand champion Singapour 2007" a été baptisé Oscar de la Hoya, du nom du célèbre boxeur américain. Son propriétaire s'est vu offrir le prix d'une Mercedes, il a refusé.
La folie de l'arowana n'a aucune limite. Des faussaires injectent une hormone dans des sauterelles données en pâture aux poissons pour les colorer en rouge. De rares arowanas albinos (platinum) ont dépassé en valeur des super red.
Le poisson est associé au prestige et au pouvoir : selon M. Suryaatmadja, le Président indonésien Susilo Bambang Yudhoyono vient d'acheter un super red. L'ex-dictateur Suharto en possédait un appelé "arowana pensant".