Le pionnier du cinéma marocain Mohamed Osfour a tiré sa révérence il y a bientôt trois ans. Aujourd'hui, les festivaliers à Marrakech lui rendent un émouvant hommage pour son immense et audacieuse contribution à la naissance du cinéma marocain qui fête ces 50 années d'existence, à l'occasion de cette 8ème édition du Festival international du film de Marrakech (FIFM).
Mohamed Osfour, considéré comme le père du cinéma marocain, avec des moyens modestes.(Photo : www.maghrebarts.ma)
MAP
19 Novembre 2008
À 11:01
"C'est la disparition d'un homme exceptionnel, un patriote, un grand personnage qui a voué entièrement sa vie au 7e art", c'est en ces termes que le critique cinématographique, Ahmed Fertat, faisait l'oraison funèbre de ce cinéaste autodidacte, décédé le 17 décembre 2005 à Casablanca.
Un témoignage émouvant qui en dit long sur la stature de ce cinéaste de génie à qui d'ailleurs il avait consacré, il y a quelques années, tout un livre intitulé 'Une passion nommée Cinéma'.
Un livre qui retrace la vie et le fabuleux destin de Mohamed Osfour, le père sans conteste du cinéma marocain puisqu'il en a jeté les premiers jalons avant même l'indépendance du pays, donnant des années après l'envie de faire du cinéma à toute une génération de cinéastes marocains comme Hamid Bennani, Ahmed Bouanani ou encore Mohamed Reggab.
Il est -toutes proportions gardées- pour le cinéma marocain ce que les frères lumière représentent pour le 7ème art. Il était 'l'homme orchestre' puisqu'il faisait pratiquement tout de bout en bout de la chaîne de la production cinématographique. Tour à tour et à la fois, scénariste, producteur, acteur, éclairagiste et réalisateur. Et, chose inédite et impensable de nos jours, il faisait lui-même la projection de ses films.
Des films tournés avec sa première caméra, une Pathé-baby 9 mm dont il a fait l'acquisition à l'âge de 14 ans chez un brocanteur. Son site de prédilection pour le tournage, la forêt de Sidi Abderrahmane, qui servira de toile de fond pour ses premiers opus, entre autres, ‘Ibn al Ghaba' (l'enfant de la jungle), 'Robin des Bois' ou encore 'Joha'.
Quant aux projections, Osfour les donnait dans son atelier de mécanique de Derb Bouchentouf, derrière le cinéma Kawakib.
Car Mohamed Osfour était aussi mécanicien et aussi dans une vie antérieure, vendeur de journaux ambulant. Un petit métier qui va l'aider pour beaucoup à sortir des abysses de l'analphabétisme et surtout, surtout, à voir avec une grande jubilation son premier film au cinéma. Un film, certes, muet, mais qui va animer au fond de lui une passion qui ne le quittera plus jamais même dans ses moments de dépit faute de reconnaissance et de soutien dans les années 70 et 80 à la production cinématographique.
Des décennies au cours desquelles il cesse de faire des films sans pour autant abandonner le cinéma puisque les cinéastes internationaux qui venaient planter leurs caméras dans les décors du pays faisaient appel à ses services en tant que technicien, notamment Orson Welles dans son chef-d'oeuvre æ'Othello'' tourné en 1952.
Grâce à lui, le cinéma a fait son entrée dans les quartiers populaires à une époque où la fréquentation des salles obscures était l'apanage d'une certaine élite, les colons.
A ses débuts, Mohamed Osfour, comme le rappelle avec amusement et non moins admiration son biographe, ira jusqu'à utiliser la dynamo de sa bicyclette pour alimenter sa caméra, un jour de panne électrique. Preuve que le bricolage n'avait pas de secrets pour Mohamed Osfour qui mettra un peu plus tard ce don inné de la débrouillardise à profit pour concevoir les premiers effets spéciaux du cinéma marocain.
Il tourne à un âge précoce et avec des moyens précaires plusieurs courts-métrages dans lesquels il campe parfois le rôle principal et qui sont souvent des films d'action comparables aux aventures de Tarzan, qui est d'ailleurs son surnom et le premier film qu'il a eu l'occasion de voir dans son enfance. Et après le baptême nécessaire des courts, Mohamed Osfour passe à la vitesse supérieure.
En 1958, il sort son premier long-métrage du cinéma marocain, 'l'enfant maudit' (Al Ibn Al Aâq). Le premier long-métrage dans le répertoire du cinéma marocain. Il récidive en 1970 en réalisant 'le trésor infernal', un film où l'on est d'emblée impressionné par le nombre imposant des figurants qui exprime à l'évidence la fascination de Mohamed Osfour pour les super productions hollywoodiennes.
Fait remarquable : Mohamed Osfour, patriote comme il était a, outre ses œuvres cinématographiques, énormément contribué à la médiatisation de la lutte nationale pour l'indépendance puisque certains de ses reportages sur des événements tragiques de répression de la résistance ont servi aux nationalistes pour plaider leur cause dans les instances internationales. Il a aussi immortalisé le retour de l'exil du Père de la Nation, feu S.M. Mohammed V.
Mohamed Osfour a rendu l'âme à Casablanca, sa ville d'adoption où 72 ans plutôt, exactement en 1933, il élut domicile à l'âge de 6 ans en compagnie de sa famille venue de la région de Abda-Doukkala. Et c'est d'ailleurs en hommage à ce grand magicien de la pellicule que les trophées décernés par le Festival du Film Francophone à sa naissance en juillet 2003 à Safi ont été baptisés par les organisateurs en son nom, 'Osfour d'or'.
Aujourd'hui, le cinéma marocain fête ses cinquante ans à un moment où il a le vent en poupe. Le film marocain, longtemps boudé, renoue avec le succès et le public. Dans cette célébration, Mohamed Osfour est une figure incontournable et un personnage de cinéma voué à l'immortalité.
Mais au-delà de l'hommage, il s'agit aujourd'hui de revisiter son oeuvre et d'en prendre tout le soin nécessaire pour la préserver de la déperdition comme il fut le cas pour 'l'orphelin', un long-métrage du défunt dont la copie a disparu à jamais.
Les responsables de la chose culturelle, les critiques, les chercheurs se doivent tous de faire ce travail de mémoire. Et les cinéastes de la nouvelle vague doivent aussi s'inspirer du parcours et de l'immense inventivité de ce cinéaste hors pair et en avance sur son temps qui est, avec des moyens rudimentaires, parvenu quand même à faire un vrai cinéma.