Fête du Trône 2004

Les Marocains fiers de leur marocanité et aspirent rentrer au pays

Dans la nuit du 15 janvier 1972, environ 70 combattants marocains arrivaient à la base aérienne de Kénitra en compagnie de leur épouses vietnamiennes et enfants après avoir passé plus 22 ans au Vietnam où ils ont été transférés par les forces françaises en vue d'appuyer leurs guerres coloniales en Asie.

Le correspondant de la MAP avec les Marocains de Vietnam devant la maison de Boujemâa au Village de Doan Hung au milieu Malika Rochdi. (Photo : www.map.ma)

06 Décembre 2008 À 13:57

Ces Marocains, dernier groupe à regagner la mère-patrie, étaient restés au Vietnam depuis la fin de la première guerre d'Indochine de 1954 en tant que combattants amis après avoir rallié les rangs des forces gouvernementales soit suite à leur détention ou leur enrôlement dans des centres d'initiation et d'endoctrinement révolutionnaire, car certains d'entre eux ont dû basculer, durant la guerre d'Indochine, du côté des rebelles sous le leadership de Ho Chi-Minh.

Trente six ans après, d'autres voix de marocains fiers de leur marocanité et aspirant à regagner leur mère-patrie, émergent des villages vietnamiens situés dans des zones reculées. Il s'agit de dix personnes (7 Hommes et 3 femmes) de mères vietnamiennes et de pères marocains, décédés au Vietnam.

Ces Marocains, dont certains ont eu des entretiens avec la MAP au Village de Doan Hung, près de 150 Km de la capitale, Hanoi, se sont mariés et ont eu des enfants formant une famille de plus de 40 membres.

Ali Ben Mohamed Ben M'jid (50 ans) est le porte-parole de ces marocains, qui ne connaissent du Maroc que le nom, ne parlent pas sa langue et ne connaissent ni ses coutumes ou traditions. Ils portent, toutefois, des noms marocains et sont impatients de rentrer dans leur pays d'origine.

La route de Hanoi vers Doan Hung est difficile et non asphaltée dans plusieurs localités. Elle a été parcourue en 3h40 minutes en voiture en passant par des rizières, des forêts et des habitations éparpillées. Le trajet par cette route constitue un voyage émouvant à travers l'histoire vietnamienne faite de guerres et de sacrifices.

Tout au long du voyage, le téléphone de Malika Rochdi n'a pas cessé de sonner de la part de Ali ou de Boujemaâ Ben Mohamed Ben M'Jid qui voulaient s'assurer de son arrivée. Ils s'apprêtaient avec les membres de leurs familles à recevoir et accueillir pour la première fois dans leur village reculé des visiteurs exceptionnels, des Marocains et cela était pour eux un événement de taille.
«Nous allons arriver et être au rendez-vous, juste un peu de patience», disait Malika Rochdi avec une voix rassurante en vietnamien.

L'itinéraire de Malika Rochdi, née au Vietnam de mère vietnamienne et de père marocain, un ancien combattant, était différent de celui du groupe. Elle a dû, en effet, rentrer au Maroc en 1972 en compagnie de ses parents, à l'âge de 6 ans, alors que les autres sont restés là-bas.

Trente-quatre ans après, Malika Rochdi a regagné le Vietnam, mais en tant que diplomate, nommée en août 2006 à l'ambassade du Royaume à Hanoi.
Elle, qui défend avec acharnement Ali, Boujemaâ Ben Mohamed Ben M'Jid et les dix autres, estime, les larmes aux yeux, qu'elle aurait pu être à leur place si son père était décédé au Vietnam, mais se déclare, cependant, fière d'épouser leur cause, elle qui avait quitté le Vietnam en 1972 avec ceux qui ont regagné la mère-patrie sur le dernier vol.

«Je me considère comme la plus heureuse fonctionnaire diplomate du fait que je représente mon pays dans mon pays, puisque le Vietnam reste aussi mon pays où je suis née et où il y a les origines de ma mère», a-t-elle dit.

Boujemaâ, qui laisse pousser ses moustaches, ce qui est rare au Vietnam, nous attendait à l'entrée de sa modeste cabane au bord de la route. Quelques minutes plus tard, nous étions rejoints par son frère aîné, Ali, accompagné de sa mère et de ses deux enfants, alors que leur frère Abdallah n'a pu venir, à cause de l'éloignement du domaine agricole du thé où il travaille.

Ali, Boujemaâ et Abdallah, qui se présentent comme les trois fils du combattant Mohamed Ben M'jid, décédé au Vietnam, déclarent qu'ils n'ont pas été rapatriés et ajoutent : «Nous sommes Marocains, nous le resterons et nos fils aussi».

Dans leur cas, se trouvent sept autres, les trois frères Koukou Ben Mohamed ben Saïd Ousmail, Bouchaib ben Mohamed Ben Saïd Ousmail et Masoud ben Mohamed ben Said Ousmail, plus Habiba bent Mohamed Benaissa, Tamou bent Mohamed Benaissa, Laila bent Mohamed Ben Bouazza et Hoummane ben Mohamed ben Hoummane Bougrine. A signaler que Laila bent Mohamed ben Bouazza porte le nom de son père adoptif Mohamed ben Bouazza.

C'est là dix cas d'enfants de combattants marocains qui ont passé plusieurs années au Vietnam où ils se sont mariés et ont fondé des familles. A 50 ans, Ali ben Mohamed Ben M'Jid est le plus âgé parmi eux, tandis que Laila Bent Mohamed ben Bouazza (37 ans) est la plus jeune, tous ne disposant pas de documents d'identité ni de photos, qu'ils ont perdus lors de la guerre sanglante notamment à cause des multiples déplacements. Ce qu'ils possèdent, ce sont des souvenirs du père et des récits que la mère continue à relater ainsi que des extraits d'actes de naissance comportant le nom du père, sa nationalité marocaine et leurs noms marocains tels qu'ils étaient choisis par leurs pères et inscrits dans les registres locaux dans un accent vietnamien.

«Nous n'avions aucun contact avec le Maroc jusqu'en 1990, par manque de moyens», confie Ali, expliquant que durant les 15 dernières années, certaines familles vietnamiennes résidentes au Maroc ont commencé à venir au Vietnam pour des visites familiales et nous ont promis d'essayer de retrouver nos racines au Maroc et nous aider à rentrer au pays.

«Bien que ces tentatives n'aient abouti à rien, l'espoir restait vivace chaque fois que quelqu'un venait du Maroc», a-t-il dit, ajoutant que depuis l'ouverture de l'ambassade du Royaume à Hanoï en août 2006, nous avons soumis notre dossier à l'ambassade et nous avons entrepris des contacts avec ses responsables, de même que nous avons saisi les occasions de visites de responsables marocains au Vietnam pour leur en parler.

Quant à l'octogénaire Bac Mui, mère de Boujemâa, Ali et Abdallah, elle ne se souvient d'aucun nom, ville ou quartier pouvant la conduire aux racines de ses enfants. Tout ce dont elle se rappelle, c'est que son mari était le benjamin de la famille et avait trois soeurs.

Relatant l'histoire de sa rencontre et son mariage avec Mohamed ben M'Jid, elle explique à la MAP qu'elle l'avait rencontré dans une coopérative agricole où elle travaillait.

Reprenant son souffle, elle ajoute que Mohamed cherchait une fille pour se marier, soulignant que les étrangers étaient plutôt mal vus, étant pris pour des spoliateurs et des conquérants.

Mais, Mohamed, a-t-elle ajouté d'une voix nostalgique, était un combattant marocain venu aider le peuple vietnamien. «Après 11 ans de mariage dans la joie et la quiétude, nous avons eu nos trois enfants, avant que Mohamed ne meurt en 1969 à l'hôpital central de Ban Yay».

«Nous avons été empêchés d'accompagner les Marocains qui devaient regagner leur pays en 1972, malgré les certificats et attestations que nous possédions et avions présentés», se rappelle-t-elle d'une voix lézardée.

Boujemaâ, le cadet de la famille et père de trois enfants dont la plus petite Mai (5 ans), manifeste son désir de connaître ses origines et de retrouver le pays de ces ancêtres.

«Depuis mon enfance, je me sens étranger et ne cesse d'être pointé du doigt comme étant fils de guerrier et de combattant conquérant», se désole-t-il.
Certes, a-t-il ajouté, les conditions se sont améliorées ces dernières années après l'ouverture opérée par le Vietnam, mais «nous nous trouvons contraints de vivre à l'écart, eu égard à nos origines.

Tout ce que nous souhaitons, c'est que nos enfants retrouvent la mère patrie et commencent une nouvelle vie parmi les leurs».
Même amertume chez son épouse Bach Thi Thanh qui se lamente de la situation de sa famille et dit se sentir rejetée par les siens.

La famille, qui vit dans des conditions pénibles, garde toujours l'espoir de connaître un jour ses origines et retrouver son identité marocaine.

Mme Malika Rochdi affirme que ce dossier est actuellement soumis au ministère des Affaires étrangères, depuis janvier 2007, où il est traité par la Direction des Affaires consulaires. Une commission tripartite a été formée des ministères des Affaires étrangères, de l'Intérieur et de la Justice pour l'examiner et lui trouver une solution.
Copyright Groupe le Matin © 2025