Hommage ému à Alfonsin, père de sa démocratie moderne
Les Argentins se pressaient par milliers mercredi au Congrès pour rendre un ultime hommage ému à Raul Alfonsin, premier Président élu démocratiquement après la sanglante dictature militaire des années 1976-1983, au début de trois jours de deuil national.
Mgr Justo Laguna bénit l'ancienne demeure du Président argentin (1983-1989) Raul Alfonsin, au Salon Bleu du Congrès de Buenos Aires. (Photo : AFP)
AFP
02 Avril 2009
À 13:34
Marchant lentement, souvent en larmes, une fleur ou un portrait de lui à la main, ils faisaient plus d'1 km de queue, pour arriver jusqu'au cercueil flanqué de deux soldats en tenue d'apparat. Le lendemain, les funérailles auront lieu au cimetière de La Recoleta où est enterrée Evita Peron.
"Je suis là car avec lui j'ai voté pour la première fois : Alfonsin c'est le retour de la démocratie, c'est l'espoir", déclare Nair Felgueras, 47 ans, venu de Caseros, dans la province de Buenos Aires.
Laura Escobar, 37 ans, tient contre elle un ouvrage de l'ancien président dédicacé : "Démocratie et consensus". "Je n'ai pas milité, je l'ai admiré", dit-elle. "A 12 ans j'enregistrais ses discours, je ne comprenais pas tout, mais j'aimais les écouter".
Des centaines de milliers d'Argentins étaient descendus dans la rue pendant ces jours mémorables de 1983 pour entendre Alfonsin réciter de mémoire, inlassablement, le préambule de la constitution reconquise.
Les jeunes couples allaient l'écouter avec leurs enfants, qu'ils portaient sur leurs épaules pour qu'ils puissent mieux voir et entendre la voix de la démocratie.
"Il n'y a personne comme lui de nos jours", murmure Blanca Lombardo, 49 ans, ancienne militante radicale, les larmes aux yeux.
Alfonsin souffrait d'un cancer du poumon avec des métastases osseuses et avait été considérablement affaibli par une broncho-pneumonie diagnostiquée en fin de semaine dernière.
Il restera comme le président du "Nuremberg argentin", le procès en 1985 des juntes militaires argentines, en référence au procès de nazis après la Seconde guerre mondiale.
Le monde avait alors appris, stupéfait, la cruauté des crimes de la junte militaire argentine: quelque 30.000 personnes ont été torturées puis exécutées clandestinement, selon les organisations de défense des droits de l'Homme.
Le général Jorge Videla et l'ancien amiral Emilio Massera, principaux responsables de la répression, avaient alors été condamnés à la prison à vie.
Mais c'est aussi, et sans doute avant tout, l'homme honnête que les Argentins saluaient mercredi.
Ils venaient d'apprendre que l'ancien Président donnait depuis des années la moitié de sa pension à la sécurité sociale des retraités de sa ville natale, Chascomus.
"Il ne l'aurait jamais dit, il était comme ça", dit José Elias Greco, 77 ans, venu lui-même de Chascomus. "L'appartement dans lequel il habitait avait appartenu à ses parents : il a vécu modestement".
Raul Alfonsin n'a jamais été impliqué dans des affaires de corruption, contrairement à de nombreux autres responsables civils ou militaires de son pays.
"Il a été le Président le plus honnête, sans doute avec (Arturo) Illia" (1963-1966), affirme German Navitta, 39 ans, en marchant vers le Congrès.
Raul Alfonsin est aussi l'homme de la paix avec le Chili, qui a mis fin au différend sur le canal de Beagle, à l'extrême sud du pays.
Il a donné au Mercosur, le marché commun de l'Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l'Uruguay, son impulsion en signant avec son homologue brésilien José Sarney un accord sur l'industrie automobile.
"Il avait un immense courage", a déclaré M. Sarney (1985-90). De son côté, l'ancien chef de l'Etat chilien Patricio Aylwin a exprimé "sa peine", ajoutant : "c'était un homme dont j'espérais qu'il vivrait davantage".