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A Rome, les jeux de chemise du premier pensionnaire

Faire "copier" une chemise bon marché par les meilleurs tailleurs de Rome : un défi en forme de pied-de-nez à la globalisation et à l'uniformisation du vêtement lancé par Pascal Gautrand, premier pensionnaire "Mode" de la prestigieuse Villa Médicis de Rome.

Mettre une chemise Zara de ce type pour l'oral à la Villa Médicis, devenue une sorte de «porte-bonheur». (Photo : cgi.ebay.fr)

09 Janvier 2009 À 10:47

"Aujourd'hui des enseignes bon marché comme Zara ou H&M, après avoir visionné les défilés des grands noms de la couture, sont capables en deux semaines de réinterpréter ces collections et de les rendre accessibles à tous, dans tous les pays du monde", explique à l'AFP Pascal Gautrand, 34 ans.

"Ce système, parfaitement rodé, mise tout sur le visuel et le marketing, et rend complètement invisible le travail d'élaboration du vêtement", déplore-t-il depuis son atelier-appartement aux immenses fenêtres qui s'ouvrent sur les jardins de l'Académie de France à Rome.

Arrivé en octobre (pour un an) à la Villa où il côtoie 16 pensionnaires -des compositeurs, des plasticiens et même un cuisinier- Pascal Gautrand est le tout premier représentant de la catégorie "design de mode".

Pour montrer que le vêtement a aussi une "âme" et surtout une histoire, le jeune designer a proposé à une quinzaine d'ateliers de Rome spécialisés dans le sur mesure de reproduire une banale chemise d'homme rayée achetée chez Zara.

"J'ai voulu renverser le processus et prendre une chemise qui peut être considérée comme la copie d'un modèle plus cher, pour en faire un original à confier à des artisans qui vont chacun à leur manière le reproduire", indique-t-il.

Une à une, les chemises - discrètement estampillées "Rome" là où habituellement viennent se poser les initiales du client - arrivent sur le bureau de Pascal Gautrand qui a hâte de voir "les différences dans les couleurs, les finitions, le savoir-faire".

Détail raffiné, une des chemises a par exemple été livrée avec un col et des manchettes de rechange, pour un client qui ne veut rien laisser au hasard et à l'usure.

A partir du 1er février, les précieuses chemises seront réunies pour une exposition dans une galerie située non loin de la célèbre place d'Espagne, un événement qui s'inscrit dans le calendrier de la semaine de la haute-couture romaine.

Pascal Gautrand, free-lance depuis dix ans et qui se plaît à mêler graphisme, vidéo et photo à ses créations, a complété son travail avec des petits films où une quinzaine d'hommes relatent une anecdote avec une de leurs chemises.

"Ma propre anecdote, c'est que j'avais prévu de mettre une chemise Zara de ce type pour l'oral du concours à la Villa Médicis. Le matin même je passe au pressing la récupérer: elle n'étais pas prête! Alors je suis tout simplement allé acheter la même!", s'amuse-t-il.

Après cette petite aventure personnelle qui "illustre parfaitement" son étude de la fabrication "à la chaîne" de vêtements tous identiques, la fameuse chemise Zara est devenue une sorte de "porte-bonheur".

"La globalisation et la production de vêtements en série ont fait que la mode a perdu ses particularités, par exemple géographiques", déplore le designer.

"Dans l'art contemporain, on propose des œuvres pour leur apparence mais aussi pour une idée qu'ils véhiculent. C'est exactement ce que la mode a perdu", résume-t-il.
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