14 Avril 2020 À 13:11
Le Matin: Dans un contexte mondial marqué par la propagation du Coronavirus, quel a été l’impact de cette crise sur le secteur de l’Habitat et de l’Urbanisme ?
Nouzha Bouchareb: Dès la déclaration de la pandémie du Covid 19, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a donné ses Hautes Instructions pour le renforcement des mesures préventives et inédites par les différents départements concernés pour limiter la propagation du virus et atténuer ses effets sanitaires, économiques et sociaux.
Le Souverain a donné ses Hautes Directives au gouvernement pour créer un fonds spécial dédié à la gestion de la pandémie du Coronavirus. Il est réservé d’une part à la prise en charge des dépenses de mise à niveau du dispositif médical et d’autre part au soutien de l’économie à travers un ensemble de mesures proposées par le gouvernement pour préserver les secteurs vulnérables, les emplois et aussi atténuer les répercussions sociales de cette crise.
A cet effet, le gouvernement marocain s’est mobilisé derrière Sa Majesté le Roi Mohammed VI pour mettre en place les dispositions et dispositifs nécessaires pour limiter la transmission du virus au sein de la population et atténuer les effets négatifs sur l’économie et le social. Dans le même élan de solidarité et de responsabilité, le Ministère et ses composantes ont annoncé une contribution à hauteur de 60 millions de DH au Fonds de solidarité de gestion de la pandémie, créé suite aux directives royales.
La propagation du coronavirus et les restrictions à la circulation des personnes, des biens et des services qui l’accompagnent provoquent un peu partout dans le monde des perturbations au niveau des chaines d’approvisionnement, la baisse de l’investissement et de la consommation ainsi que la réduction des activités économiques, voire l’arrêt de certaines d’entre elles.
Le secteur de l’Habitat et de l’Urbanisme se trouve aussi touché par cette crise sanitaire où l’on assiste, suite au confinement et à la limitation de la mobilité, à un arrêt quasi total de l’ensemble de nos programmes sociaux «Villes Sans Bidonvilles», habitat menaçant ruine et mise à niveau urbaine, soit par manque de main-d'œuvre ou de livraison des matières premières qui enregistre actuellement une chute de 70% de la production.
En ce qui concerne le secteur de l’Immobilier, le logement social est entré en mode hibernation, ou presque. Confinement oblige, les visites de biens sont suspendues. Selon Al Omrane, les transactions immobilières ont chuté de 95%. Cette situation est attribuée à plusieurs facteurs : la renonciation à l'achat ou l’annulation des contrats de vente en raison des préoccupations des clients dont les priorités ont changé suite au Covid 19. Nous nous attendons, d’ailleurs, à une nouvelle perception du logement chez l’acquéreur après la pandémie. De nouveaux besoins vont émerger, auxquels nous devons apporter des réponses adaptées.
Quelles sont les mesures prises pour minimiser les impacts liés à cette crise ?
Conformément aux Hautes Orientations de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l'Assiste, toutes les composantes du Ministère ont été mobilisées pour suivre de près l'état des lieux durant cette période et accompagner les fonctionnaires, les usagers et les intervenants publics et privés à prendre les mesures nécessaires pour réduire l'impact social et économique de cette pandémie.
Dès le 14 mars dernier, nous avons pris une panoplies de mesures d’urgence sur le plan sécuritaire pour préserver la santé des fonctionnaires et des visiteurs à travers la réalisation des opérations de contrôle et de stérilisation des locaux, ainsi qu’un suivi continu de l’état de santé du personnel et la limitation des visites.
Suite au confinement et à la réduction de la mobilité, et afin d'assurer une continuité du service public aussi bien à l’échelle centrale que régionale, nous avons adopté le télétravail qui est beaucoup plus performant et opté pour l’accélération du processus de dématérialisation des procédures de gestion.
En matière d'urbanisme, 19 mesures ont été développées au niveau des agences urbaines en vue d’assurer la dématérialisation de leurs services et de répondre aux différentes demandes et attentes des citoyens, partenaires et opérateurs économiques. A ce jour, toutes les Agences urbaines permettent le dépôt des requêtes et des réclamations en ligne, 70% sont en mesure de fournir un service en ligne pour le dépôt et l’obtention des notes de renseignements urbanistiques. En matière de demande des autorisations, plus de 80% permettent l’instruction en ligne des demandes d’autorisation, et plus de 90%, assure un service de consultation en ligne de la réglementation et des documents d’urbanisme homologués. Afin de renforcer la communication, toutes les Agences urbaines ont mis en place des lignes téléphoniques dédiées à l’assistance des citoyens et des sites web, des comptes Facebook, et Twitter en versions mobiles.
Est-ce que les étudiants des établissements relevant de votre ministère suivent normalement les cours ? Est-ce que les examens seront reprogrammés ? Dans quelles conditions ?
Les étudiants suivent normalement les cours. Plus d’un millier d’heures de cours à distance sont dispensés par semaine au profit de plus de 1.500 étudiants. Nos instituts de formation assurent même un suivi permanent des étudiants en mobilité à l’étranger dont le nombre total s’élèvent à 51. Les évaluations intermédiaires, les contrôles et les rendus des Ateliers d’Architecture et de Dessin d’Expressions Plastiques sont programmés normalement, en s’appropriant les plateformes à distance tout en les réadaptant, le cas échéant, à la circonstance. Aussi, les évaluations de fin d’années sont tout à fait à leurs programmations.
Les comités de veille et de suivi instaurés au niveau du ministère et au niveau de chaque établissement réalisent de manière hebdomadaire une évaluation du dispositif d’enseignement distanciel en vue de rattraper, le cas échéant, tout dysfonctionnement qui pourrait entraver la bonne marche du cursus. Le bilan de ces trois semaines est plus que satisfaisant.
Il est à signaler que certaines de nos écoles telles que les écoles d’architecture de Rabat, Marrakech et Tétouan, étaient déjà inscrites dans le processus de dématérialisation avant même la crise sanitaire actuelle et disposaient de moyens pour assurer un enseignement à distance de qualité, auparavant testé dans certains cours ou ateliers.
Par ailleurs, nos établissements de formation seront au rendez-vous pour l’organisation des concours d’accès. A ce juste titre, et tenant compte de cette conjoncture, nous étudions la possibilité de régionaliser les concours d’accès afin de limiter les déplacements et d’éviter les grands rassemblements surtout dans les circonstances actuelles. Les dates exactes des concours d’accès et les critères de sélection seront établis en harmonie avec les recommandations du département de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique.
Au niveau de l’enseignement, cette expérience ne doit pas se limiter à la gestion de cette crise mais doit être développée, améliorée et pérennisée. Elle doit constituer un pas important vers l’amélioration de l’offre pédagogique de nos établissements ainsi que son ouverture vers d'autres formations aussi bien au Maroc qu’à l'étranger.
Le secteur immobilier a connu une chute de l’activité qui sera beaucoup plus accentuée après le coronavirus. Quelles sont les mesures d’urgence que vous avez prévues pour faire face à cette situation ?
Dès le 14 mars dernier, j’ai opté pour la création d’un Comité central de veille pour faire face aux effets de cette crise sanitaire. Ce comité assure le suivi des indicateurs de l’impact du coronavirus sur l’ensemble des activités en rapport avec le secteur et tient des réunions périodiques avec les différents partenaires du secteur du bâtiment et de la construction. Il s’agit de GAO (Groupe Al Omrane), ANRUR (Agence Nationale pour la rénovation urbaine et la réhabilitation des bâtiments menaçant ruine), CNOA (Conseil national de l’Ordre des Architectes), FNPI (Fédération Nationale des Promoteurs Immobiliers), UNPPI (Union Nationale des Petits Promoteurs Immobiliers), ONIGT (Ordre National des Ingénieurs Géomètres Topographes), FMC (Fédération des industries des matériaux de constructions), APC (Association Professionnelle des Cimentiers), FMCI (Fédération Marocaine du Conseil et de l'Ingénierie), FNBTP (Fédération Nationale du Bâtiment et Travaux Publics, FEDEC (Fédération Marocaine d'Essai et de Contrôle).
Nous avons tenu plusieurs réunions, avec l’ensemble des intervenants aussi bien les opérateurs publics que privés du secteur de l’immobilier et de la construction qui ont acté avec notre Ministère la «Déclaration de Solidarité Nationale du secteur du bâtiment et de l’immobilier face à la Covid 19». Dans le cadre de la mise en œuvre de ladite Déclaration, l’ensemble des acteurs s’est engagé à maintenir les emplois en activité dans le secteur, à contribuer au Fonds Spécial de Gestion de la Pandémie Covid 19, à renforcer la sécurité sanitaire et l’hygiène dans les espaces de travail et à participer ensemble pour mettre en place un plan de continuité et de relance.
Par ailleurs, nous avons adressé une circulaire aux présidents des Fédérations professionnelles et Associations du secteur portant sur le renforcement de la sécurité sanitaire et de l’hygiène dans les espaces de travail à travers une liste de mesures et consignes préventives à adopter durant cette période de confinement. Ces préconisations visent la garantie de l’application des mesures de sécurité dictée par les ministères de la Santé et de l’Emploi ainsi que les mesures d’hygiène prescrites dans tous les espaces de travail, avec l’adoption des gestes barrières pour les ouvriers des chantier et les travailleurs d’une manière générale dans le secteur.
Hormis les mesures de sécurité mises en place, nous nous sommes investi dans la mise en place de comités de veille mixtes nous permettant une remontée continue de données et d'indicateurs pour assurer le suivi de l’impact économique financier et social du coronavirus sur le secteur. Il en découle qu’avant la crise sanitaire, le secteur n’a pas connu de chute d’activité. Les volumes de production étaient assez importants avec plus de 158.000 unités à fin 2019 et des mises en chantiers qui ont dépassé les 176.000 unités. Ces performances nous ont permis d’être au rendez-vous pour la réduction du déficit en logements qui a enregistré un peu moins de 400.000 unités cette année.
Toutefois, ces indicateurs seront certainement perturbés au vu de la situation de confinement que connait le pays actuellement. Pour anticiper le retard et participer à la relance, nous avons lancé une réflexion conjointe avec l’ensemble des professionnels du secteur permettant de s’inscrire dans un plan de relance dictant aussi bien les mesures d’urgence, ainsi que celles à court et moyen terme.
Une série des mesures permettant la sauvegarde de la santé des entreprises ont été déjà lancées par la commission de veille économique se rapportant au rééchelonnement des remboursements des échéances de crédits, au moratoire exceptionnel pour le paiement des échéances fiscales sans pénalités, sans oublier les aspects sociaux en rapport avec l’activation d’une aide de 2.000 DH aux personnes déclarés en arrêt d’activité par leurs employeurs auprès de la CNSS. S’y ajoute l’aide prévue pour les personnes travaillant dans l’informel.
D’autres importantes mesures ont été aussi mises en œuvre par notre Ministère au profit des professionnels aussi bien privés que publics et ce à travers l’activation des payements des factures en instance, l’accélération des procédures administratives, la dématérialisation de la certification. Ceci dans un triple objectif d’une part participer au renforcement de leur trésorerie, les aider pour maintenir les postes d’emplois et à mieux préparer la reprise des projets notamment les programmes sociaux.
Il est sans rappeler que hormis le fait que le secteur du bâtiment mobilise un million de poste d’emplois, et représente 6,3 % du PIB, il est considéré comme un des secteurs à fort impact économique totalisant un Chiffre d’affaires d’environ 6,.4 milliards de DH, un encours bancaire d’environ 250 milliards de DH et un montant global des crédits bancaires accordés aux promoteurs immobiliers estimé à environ 120 milliards de DH. Ce secteur est en même temps un secteur productif par excellence. Ceci est démontré non seulement par ses indicateurs macro-économiques, mais aussi par son impact et sa capacité d’entrainement sur toute la chaine de production.
Par conséquent, l’appui de l’Etat au secteur de l’immobilier et de la construction est rentable économiquement, utile socialement et génère des recettes supplémentaires pour les finances publiques avec une productivité supérieure à bien d’autres secteurs économiques.
Avez-vous préparé un plan de relance après le Covid 19 ?
La durée du confinement en relation avec la virulence de la propagation du coronavirus fait qu’il est difficile de mesurer par anticipation les effets de cette situation sur chaque secteur économique et ce que serait le niveau d’impact. Toutefois, nous travaillons d’arrache-pied avec l’ensemble des fédérations concernés GAO, ANRUR, CNOA, FNPI, UNPPI, ONIGT, FMC, APC, FMCI, FNBTP, FEDEC, et le Conseil national des notaires, pour la mise en place d'un plan d’urgence ayant pour priorités la protection de la santé des employés du secteur, la sauvegarde de la santé financière de l'entreprise afin qu'elle soit en mesure de s'inscrire rapidement dans la relance économique du pays dès le déconfinement. Ceci dit, la crise sanitaire actuelle impactera systématiquement le dynamisme instauré par les différents programmes du Ministère, notamment celui en rapport avec le logement social et entrainera certainement d’importants retards qui impacteront les conditions et le cadre de vie des populations. Notre rôle est de mettre en place un plan Marchal de relance pour assurer la résilience du secteur après cette crise et lui permettre un repositionnement immédiat et ce à travers la mise en place des mécanismes innovantes aussi bien sur le plan réglementaire, fiscal que financier. Ce programme de relance se doit d’être un programme cohérent et durable permettant d'assurer la relance économique du secteur mais aussi la stabilité sociale et l'amélioration des conditions de vie des populations les plus vulnérables affectées par la crise sanitaire notamment celles issues du milieu rural.
Justement, quelles sont les mesures d'accompagnement permettant une relance rapide du secteur ?
A mon avis, une des principales mesures permettant de dynamiser la grande promotion immobilière, les PME, ainsi que les coopératives d’habitat étant le lancement de nouveaux programmes de logement, d’ailleurs très attendus par tous les opérateurs, pour présenter une nouvelle offre en logement en adéquation avec les revenus des strates sociales qui éprouveront de plus en plus des difficultés à accéder à un logement décent. Ceci nécessitera la mise en place des mesures de soutien aussi bien à la demande aux ménages qu’aux entreprises, à travers un soutien de leur liquidité par des mesures fiscales et budgétaires. Ces mesures doivent être mises en place rapidement pour assoir un climat de confiance et facilité la relance du secteur.
D’autres mesures incontournables permettant aussi d’encourager l’investisseur, étant la simplification des procédures d’octroi des autorisations et permis d’habiter, la mise en place de nouvelles règles et normes d’urbanisation moins consommatrices du foncier, et l’accès au foncier. Toutes ses mesures participeront à l’amélioration du climat des affaires, à l’encouragement de l’investissement et à la relance économique.
Quels sont les enseignements à tirer de cette situation ?
Cette crise a été imprévisible pour tout le monde. Les actions entreprises par sa Majesté que Dieu l’assiste, la mobilisation nationale, les actions du gouvernement ainsi que l’esprit de solidarité des marocains sont inédits et exceptionnels.
La crise sanitaire vient nous rappeler l’interdépendance des individus et la nécessité d’agir collectivement et solidairement en chaine ou en écosystème et une invitation à renforcer nos liens pour être plus résilients. Il est fort probable que cette crise nous conduise à revoir nos modes de production et de consommation et de s’inscrire dans un nouveau paradigme à travers la relocalisation d'une partie de notre production, la nécessité d’avoir une indépendance numérique, et le renforcement de la recherche et du développement.
La crise sanitaire constitue aussi une étape charnière dans l’agenda climatique et celle du développement durable et nous interpelle à la définition de nouveaux objectifs et de nouvelles cibles permettant une meilleure préservation de nos écosystèmes et un meilleur encadrement des comportements individuels et collectifs pour un développement soutenable. «La question de la durabilité est aujourd’hui plus que jamais remise en cause».
Cette pandémie constitue un bon moyen pour évaluer et corriger nos politiques et nos programmes de l’Aménagement du territoire, de l’Urbanisme et de l’Habitat. L’analyse et le croisement d’indicateurs d’impact du coronavirus sur l’ensemble des composantes territoriales nous permettra de définir les liens de causalité à l’origine de la propagation du virus et d’identifier les solutions permettant d’avoir des espaces urbains propices à la lutte contre la propagations du Covid 19 ou n’importe quel autre virus pour lesquelles la «distanciation sociale» constitue le moyen le plus approprié pour freiner leur propagation. Comme première analyse, les phases de propagation du virus soulignent l’intensité des mobilités de nos sociétés. Ces mobilités peuvent se structurer à des échelles locales mais très souvent elles s’inscrivent dans des échelles plus larges.