Culture

Mehdi Qotbi : « La culture d’un pays est un combat à mener et une richesse qu’il faut sauver en temps de crise »

En cette période de confinement sanitaire, Mehdi Qotbi ne perd pas son temps. Entre ses heures de travail dans son atelier de peinture et la gestion de la Fondation Nationale des Musées, en tant que président, Mehdi Qotbi ne cesse de penser à l’univers des arts et de la culture qu’il rêve de voir en plein rayonnement. Cette période de méditation lui a donné beaucoup d’idées pour un appel à la redynamisation de ce secteur vital. Car, il est tout à fait conscient du poids et de la valeur de l’art et de la culture dans une société, puis du rôle qu’ils ont pu jouer au cours de cette période de confinement qui fut bien gérée par l’Etat marocain. Preuve en est la lettre que vient d’ adresser le président de l’Institut du Monde Arabe, Jack Lang, à Mehdi Qotbi le rendant aussi fier de son Maroc que plein de dynamisme pour se lancer dans d’autres aventures artistiques et culturelles.

12 Mai 2020 À 19:23

Le Matin : Comment vivez-vous cette période de confinement sanitaire où toutes les activités artistiques et culturelles se sont arrêtées, notamment celles de la Fondation Nationale des Musées ?

Mehdi Qotbi : Je vis cette période de confinement avec beaucoup de sérénité. C’est un moment propice à la réflexion, à la création et surtout à une remise en question de nos priorités. Cette crise a permis de réaliser l’importance de la culture dans notre quotidien et le rôle de tous ces artistes, partout dans le monde, qui ont adouci ce confinement par la musique, la photo, la peinture et l’écriture… La lumière vient de l'art et des artistes. Imaginez un instant notre quotidien sans musique, sans livres, sans films, sans art… Ce serait probablement le noir. Si les manifestations culturelles et artistiques sont en pause dans l’ensemble des musées sous la tutelle de la Fondation Nationale des Musées, nous avons cependant intensifié notre activité au niveau du digital pour offrir la culture et l’art au sein des foyers et maintenir un lien étroit avec les Marocains durant cette période. Nous poursuivons, aussi, nos efforts avec l’ensemble des collaborateurs en nous réunissant via vidéoconférence pour préparer, ensemble, un retour à la normale et pour organiser, après la pandémie, d’autres grandes expositions d’artistes marocains et internationaux.

Quels sont les changements qui se sont opérés pour la gestion des activités de la Fondation Nationale des Musées en ce moment exceptionnel ?

A la FNM, notre levier est la culture. Elle motive toutes nos actions au quotidien. En ces moments exceptionnels, nous avons misé sur le numérique en lançant des initiatives complètement digitales sur nos réseaux sociaux, avec entre autres le hashtag #lemuséeàlamaison par lequel nous partageons des expositions virtuelles et des visites guidées de nos grands rendez-vous artistiques. Un musée virtuel a été crée à cet effet (www.fnm.viste360.ma) pour rendre l’art accessible à tous les Marocains et favoriser l’échange et le dialogue avec eux sur nos réseaux sociaux. Nous partageons, aussi, durant le mois de Ramadan, des objets de notre patrimoine culturel et religieux.

Avec l’aide du Centre Cinématographique Marocain et de cinéastes marocains, nous avons lancé #lecinémaàlamaison et nous proposons de revoir, chaque week-end, des films d’hier et d’aujourd’hui pour célébrer également le cinéma national. Toutes ces actions permettent de s’évader, de faire vivre la culture, la douceur et le partage dans des moments d’angoisse et d’incertitude.

Beaucoup d'artistes se sont retrouvés sans activité au lendemain de l'annonce du confinement ? Y a-t-il des initiatives pour les aider à dépasser cette crise ?

Lors de la seconde guerre mondiale, un ministre britannique s’était présenté à Winston Churchill pour lui demander de couper le budget alloué à la culture, afin de supporter les dépenses de la guerre. Churchill avait tout naturellement répondu : « Mais alors, pourquoi nous battons-nous ? ». Ce qui sous-entend que la culture d’un pays est un combat à mener et qu’il est primordial de la sauver en temps de crise. Pour éviter l’effondrement de notre secteur et maintenir les structures culturelles, il est important de soutenir à la fois la création, les équipes mobilisées dans les secteurs culturels et surtout d’appuyer le patrimoine artistique national. C’est un appel que je lance à tous ceux qui ont des responsabilités en relation avec ce domaine. Nos artistes ont plus que jamais besoin de nous et nous avons besoin d’eux ; car c’est eux qui nourrissent l’âme de la population, ils sont l’identité culturelle de ce pays, les gardiens de l’imaginaire de toute une société et ils sont la locomotive émotionnelle d’une nation. C’est pourquoi la Fondation Nationale des Musées contribue à l’élan de solidarité nationale pour soutenir nos artistes plasticiens, en débloquant un budget de 6 millions de dirhams en leur faveur en cette période difficile.

M. Jack Lang vous a adressé, récemment, une lettre où il rend hommage au Maroc pour les initiatives qu'il a prises pour lutter contre la propagation du Covid-19. Quelle a été votre impression à la lecture de ces louanges ?

C’est toujours avec plaisir qu’on reçoit des louanges, surtout lorsqu’elles saluent toute une Nation et les efforts d’anticipation conduits par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l’Assiste. Je suis fier, en tant que citoyen marocain, de voir que les actions menées par les forces vives de la Nation et l’élan de solidarité à travers le pays soient érigés en modèle de gestion de crise dans le monde entier. Cela me réjouit, énormément, et m’émeut de la part d’un grand monsieur de culture comme Jack Lang.

Jack Lang vous a, aussi, invité à travailler la main dans la main pour d'éventuels projets artistiques. Avez-vous une idée de ce que vous pouvez faire ensemble ?

Cette crise, que personne n’avait prédite, indique très clairement que le monde va changer. Il faut revoir nos priorités et dessiner, pour tous, un avenir juste et sûr. Avec Jack Lang, avec qui nous collaborons depuis longtemps, nous allons encore travailler ensemble à accorder une plus grande place à la culture et à l’art dans nos sociétés respectives. L’art et la culture font non seulement rêver un peuple, mais le poussent aussi à se poser des questions sur sa situation quotidienne, sur son environnement, sur son patrimoine et sur son Histoire.

Peut-on prévoir, dans ce sens, un nouveau modèle culturel ?

Le Maroc a beaucoup à apporter sur la scène culturelle mondiale. Il faut saisir cet élan et cette dynamique optimiste pour ouvrir la voie à de nouvelles perspectives et de nouvelles idées afin de définir, in fine, un nouveau modèle culturel et créatif.

Quel est votre message à adresser aux Marocains pour lutter contre la propagation du Covid-19 ?

Il faut continuer de respecter les mesures prises par le gouvernement depuis deux mois, c’est le plus grand service que nous pouvons rendre à tous ceux qui se trouvent dans les premiers rangs, qui œuvrent jour et nuit pour nous protéger, mais aussi à nous-mêmes. Restons patients et mobilisons nos efforts pour sortir sereinement de cette pandémie. En attendant de se retrouver autour de l’art qui nous unit, j’adresse mes pensées à chacun et chacune.


Biographie

Figure emblématique de la scène artistique et culturelle nationale et internationale, Mehdi Qotbi fut passionné par le dessin et la peinture depuis son jeune âge. Il passe par plusieurs cursus des Beaux Arts, aussi bien au Maroc qu’en France, couronnés par ses cours à l'École Supérieure des beaux-arts de Paris. Depuis, il n’a cessé sa quête créative qui l’a mené à exposé dans de prestigieux événements plastiques, un peu partout dans le monde, où ses œuvres ont toujours été bien appréciées par les professionnels et le large public. Bien plus, son parcours est parsemé de collaboration avec de grands intellectuels tels Léopold Sédar Senghor, Octavio Paz, ou encore Michel Butor, entre autres. Cette odyssée lui a valu de nombreuses distinctions et décorations. Il a également été décoré par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, comme officier de l'Ordre du Trône en 2000 et chevalier de la Légion d'honneur par Jacques Chirac, la même année.  Puis, Officier de la Légion d'honneur, par Nicolas Sarkozy en 2008, commandeur des Arts et Lettres Frédéric Mittérrand en 2009, commandeur de l'Ordre du Mérite National de la République de Hongrie et Commandeur de la légion d'honneur par François Hollande en 2015; puis par le Roi d’Espagne Felipe, en 2018, en tant que Commandeur de l’Ordre du Mérite Civil. Il est, aussi, membre du Conseil Consultatif des Droits de l'Homme dans son pays natal où il vit depuis 2006. En 2011, il fut nommé président de la Fondation Nationale des Musées qu’il mène avec un bras de fer et beaucoup d’enthousiasme.

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