17 Avril 2020 À 13:11
Le Matin : Quel état des lieux pour le marché automobile en cette période de crise due au Covid-19 ?
Adil Bennani : Le secteur est à l’arrêt total. En réanimation. Intubé (rire). Au mois de mars, le marché a chuté de plus de 61%, même si nous avions travaillé de manière normale pendant deux grosses semaines. Dès l’annonce de l’état d’urgence sanitaire et le confinement obligatoire, les gens n’étaient plus dans des dispositions qui leur permettent de penser aux véhicules. Une situation qui a fortement impacté la fin du mois. Deux à trois semaines après, le choc émotionnel du confinement absorbé, les clients ne pensaient plus à l’approvisionnement alimentaire d’urgence, mais plutôt à la manière de gérer leur quotidien vital. La mobilité ne figure plus sur la liste de leurs priorités et, par conséquent, les visites des showrooms et l’acquisition de véhicules ne sont plus à l’ordre du jour. Face à cette situation, les importateurs/distributeurs se sont organisés chacun à sa manière, mais grosso modo, avec une démarche quasi similaire. Les showrooms sont pratiquement fermés, mais les professionnels se sont arrangés pour continuer d’assurer leurs services. Globalement, l’activité véhicules neufs n’est plus qu’à 5 à 10% de la normale. De leur côté, les ateliers n’assurent que 20 à 25% de leur service habituel.
Que comptez-vous faire en cas de prolongement du confinement ?
Le scénario le plus probable sur lequel nous avons travaillé et où nous sommes, globalement, tous alignés, c’est que le confinement perdura jusqu’à fin Ramadan (fin mai). Après, il y aura une reprise progressive du business, avec un déconfinement progressif. Même si le déconfinement a lieu plus tôt, c’est-à-dire à partir de la semaine prochaine, il ne faut pas se faire d’illusion. Ce n’est pas demain, ou la semaine prochaine, que nos showrooms seront pleins. Nous serons au mois de Ramadan, connu par sa dynamique particulière. Nous travaillerons donc à régime très réduit, aussi bien dans les showrooms que dans les ateliers. Ceci dit, la probabilité que le confinement prenne fin la semaine prochaine est relativement faible, et nous pensons que la vraie reprise aura lieu en juin. Le mois de mai sera donc blanc et même juin et les mois qui suivent, seront de petits mois, avec une activité qui ne dépasserait probablement pas 30 à 40% de la normale.
Quelles sont les mesures prises par les membres de l’Aivam en ce qui concerne la crise ?
Les membres de l’Aivam ont démontré que c’est en période de doute et de difficulté qu’il faut rester unis et partager les connaissances et les solutions potentielles. Notre ligne directrice pour le secteur est d’abord le maintien de l’emploi. Nous ne sommes pas du tout dans une configuration à envoyer nos collaborateurs en congés sans solde. Et ce n’est pas le cas de toutes les entreprises ou de tous les secteurs d’activité. Je pense qu’à ce niveau, la distribution automobile donne l’exemple. Nous sommes dans une configuration de solidarité. Beaucoup de nos membres, si ce n’est tous, ont contribué au Fonds spécial Covid-19, certains avec de grosses sommes. Nous avons également été très responsables et citoyens en payant nos impôts, de grosses sommes, le 30 mars alors que le législateur nous donnait la possibilité de les reporter jusqu’à la fin du confinement. Nous l’avons fait parce que nous avons estimé que l’État a besoin de ressources en cette période.
Comment les professionnels ont-ils accueilli la note de l’Administration des douanes, leur demandant la réduction des importations ?
Déjà, de par la baisse drastique de la demande, nous aurons trois mois blancs. Sachant également que nous avons constitué beaucoup de stock en prévision de l’Auto Expo, prévu initialement en juin prochain, mais reporté pour l’année prochaine. Je pense que les réserves dépassent la moyenne, ce qui nous permet donc de réduire la cadence d’une manière sérieuse, et ce, jusqu’à la fin de l’année. Nous avons été approchés par l’Administration des douanes et nous avons fourni nos plans, qui démontrent clairement que les commandes ont été drastiquement révisées à la baisse, compte tenu des circonstances. Il n’y a donc pas à s’inquiéter à ce sujet.
La crise économique va sûrement durer jusqu’à la fin de l’année. âÂÂQuelles sont vos prévisions pour le marché automobile en 2020 ?
Nous nous orientons vers une régression de 50 à 55% par rapport à 2019. Les ventes s’établiront autour de 90.000 à 110.000 unités au maximum.
Cette baisse aura-t-elle des répercussions sur le business modèle des importateurs en général ?
Tout dépendra de 2021. Je pense qu’un trimestre blanc et une baisse de 50% sont surmontables. Mais si la crise perdure et que nous réalisons une année 2021 en demi-teinte, avec une autre baisse de moitié, là, la situation serait insupportable et nous serions donc obligés de prendre des mesures de restructuration afin de pouvoir ajuster nos structures à une demande qui aurait chuté de moitié. À présent, nous prenons sur nous, vu que nous avions réalisé de bonnes performances les dernières années. 2020 sera particulièrement mauvaise et nous prions pour que cette situation difficile soit dépassée le plus vite possible. Sachant que même après le déconfinement, les choses ne redeviendront plus comme avant, en tout cas pour un certain temps. Une chose est claire. 2021 n’équivaudra pas à 2019. L’économie mondiale saigne beaucoup et il faudra quelques années pour qu’elle cicatrise. Je n'entrevois donc pas de retour à la normale avant 2022 ou 2023.
Vous n’êtes pas un peu pessimiste ?
J’espère me tromper.
Quels sont les enseignements à tirer de cette crise ?
Cette crise nous imposera de voir les choses différemment, de travailler différemment, d’innover davantage et de chercher au fin fond de nous les ressources qu’il faut pour s’adapter à un contexte qui sera différent. Je pense que le génie marocain a démontré par le passé sa capacité à s’adapter, et nous nous adapterons, j’espère, avec un minimum de casse. Autre grand enseignement de cette crise : aucune situation n'est garantie et il faut être extrêmement agile dans les périodes difficiles. Nous ne sommes plus dans le management à six mois ou un an ou plus. Nous rentrons dans du management à l’heure. Il faut donc que les équipes soient bien forgées pour des situations pareilles. Heureusement, au Maroc, nous avons plus de capacité à nous adapter rapidement que beaucoup d’autres pays normalisés, structurés, organisés… Et ça, c’est un avantage. Ce qui est également certain, c’est qu’il faut toujours avoir dans son sac deux ou trois scénarios prêts en cas de changement de situation.r>