05 Octobre 2021 À 18:54
«La levée des restrictions était nécessaire, scientifiquement parlant, surtout qu'on est passés à une moyenne de 800 à 1.000 cas par jour», affirme d'emblée le Pr Abdelfettah Chakib. Le spécialiste des maladies infectieuses et tropicales estime qu'il «vaut mieux lever progressivement les mesures de restriction pour s'acheminer ensuite vers une levée définitive de ces mesures, dans un mois si on ne se retrouve pas confrontés à un nouveau variant, que de se retrouver avec une recrudescence des nouveaux cas», surtout avec la rentrée scolaire, d'une part, et la reprise de certaines activités de l'autre.
L'invité de L'Info en Face indique que malgré les avancées enregistrées au niveau de la vaccination anti-Covid des catégories les plus vulnérables, à savoir la vaccination de plus de 85% de la population âgée de plus de 65, pour la tranche d'âge des moins 24 ans, ce taux est à peine de 50%, chose qui pose problème. «Les jeunes sont de plus en plus contaminés, en plus des personnes âgées et celles souffrant de maladies chroniques qui arrivent en réanimation», souligne-t-il, ajoutant que les plus jeunes constituent la population mobile qui se rend dans les cités universitaires, les amphis, les lycées et les collèges. D'où l'importance de rester vigilant en cas de recrudescence des cas.
La troisième dose nécessaire pour renforcer l’immunité
S'agissant du choix des catégories cibles pour l'administration d'une troisième dose du vaccin, le Pr Abdelfettah Chakib explique que pour certains vaccins, il faut une dose de rappel, alors que d'autres nécessitent de refaire plusieurs rappels. «Un rappel est motivé scientifiquement, soit par une inefficacité immédiate du vaccin, ce qui n'est pas le cas du vaccin anti-Covid, soit par la chute des anticorps qui protègent la personne». En effet, l'expert précise que les études scientifiques à ce sujet ont démontré une chute des anticorps protecteurs, plus chez les immunodéprimés, les sujets âgés et les hémodialysés que chez les autres personnes, et ce quel que soit le type de vaccin administré.
«Dans certains pays comme la Suisse et le Canada, le choix d'administrer la troisième dose a été destiné, en premier lieu, aux immunodéprimés. Au Canada, on a recommandé à l'ensemble de cette catégorie de faire le vaccin, alors qu'en Suisse, ils ont décidé de définir un seuil d'anticorps Spike pour savoir si la personne a besoin de recevoir cette troisième dose. Le but étant de faire face à cette baisse de la protection», fait-il savoir. Et de signaler que cette deuxième démarche s'avère compliquée et onéreuse. Selon lui, l'approche retenue pour le Maroc serait similaire à celle adoptée pour l'administration de la première dose, à savoir en commençant par les personnes âgées, ensuite les hémodialysés et les immunodéprimés.
«Maintenant qu’on commence à voir que les effets de la troisième dose sont similaires à ceux des deux premières, il n’y a pas de raison pour ne pas le faire et se protéger contre les formes graves du virus», déclare le Pr Abdelfettah Chakib, tout en insistant sur la nécessité de faire la distinction entre la protection individuelle et la protection collective. «La protection collective dépend de beaucoup de facteurs, dont certains sont maîtrisés et d’autres non tels que l’émergence de nouveaux variants, et c’est ce qui a posé problème après l’apparition du variant Delta», rappelle l'invité de L'Info en Face.
Par ailleurs, l’expert note que l’immunité induite par la maladie est toujours plus importante que celle induite par les vaccins. Car quand la personne tombe malade, le corps prend son temps pour bien connaître le virus, qui, lui, sollicite tous les types d’immunité, et par conséquent la personne va garder des anticorps plus «protecteurs» que ceux générés par les vaccins. «Alors que la maladie donne une immunité de 100%, le vaccin donne une immunité de 80%», affirme-t-il, ajoutant que si une personne reçoit les deux doses du vaccin et tombe malade, elle n’a pas besoin d’une troisième dose immédiatement, car son immunité est déjà renforcée.
Mixage des vaccins, pas toujours efficace, selon le Pr Chakib
Concernant l’interchangeabilité des vaccins, le spécialiste des maladies infectieuses et tropicales explique que la crainte, au début de la pandémie, était liée aux effets secondaires des vaccins, chose qui n’est plus d’actualité après que les études aient prouvé que l'administration d'une deuxième ou une troisième dose d’un autre vaccin est non seulement efficace, mais que cette démarche renforce également l’immunité. Toutefois, le Pr Abdelfettah Chakib relève qu’il n’y pas de consensus autour de cette question : «Aujourd'hui, il y a des études qui approuvent cette démarche, alors que d’autres soulignent qu’il faut faire attention, en fonction du type de vaccin administré. Mais en se basant sur les chiffres dont on dispose sur les vaccins, si on fait la troisième dose avec le vaccin à ARN messager pour une personne qui a reçu deux doses de Sinopharm, par exemple, c’est parce que le premier est peut-être plus efficace». C’est d’ailleurs ce qui a motivé la décision de la France, indique l’expert, notant la nécessité de la généralisation de la vaccination pour renforcer la protection individuelle contre les formes graves et contribuer à la protection collective, en évitant la pression des systèmes de santé. «Je pense que la chose la plus importante pour diminuer la circulation du virus est le maintien des mesures barrières, et ce même après la vaccination», souligne l'invité de L'Info en Face. Et d’ajouter que si le pass vaccinal est imposé dans certains pays, c’est justement parce que les gens ne respectent pas les mesures barrières.
Immunité muqueuse, une piste pour vaincre la pandémie
Le spécialiste évoque enfin certaines pistes explorées à l’international autour de l’immunité muqueuse pour vaincre la pandémie de la Covid-19. On sait que l'infection au virus se fait par voie aérienne supérieure, autrement dit par voie nasale ou buccale, pour rejoindre les poumons. Les cellules des muqueuses nasales et respiratoires constituent donc la porte d'entrée de ce coronavirus dans l'organisme. L'intérêt de stimuler une immunité des muqueuses est donc toute simple : diminuer la charge virale et ainsi lutter plus efficacement contre la contamination. Pour le professeur Abdelfettah Chakib, si on arrive un jour à obtenir un vaccin qui développe une immunité muqueuse, on pourra développer une immunité collective et vaincre le virus. «Ce type de vaccin va permettre d’augmenter l’immunité locale et empêcher le virus de se multiplier dans le nez et, par conséquent, on pourra arrêter les contaminations et s’acheminer vers une immunité collective», a-t-il conclu.