17 Novembre 2021 À 17:31
Le Matin : Vous souvenez-vous de votre première sélection avec l’équipe nationale du Maroc ?r>Rachid Azzouzi : Oui, c’était un entraîneur allemand à l’époque (Werner Olk, ndlr). Ils m’ont écrit en décembre 1991 et le match était prévu en janvier 1992. C’était mon tout premier match avec l’équipe nationale A. Je pense qu’on a joué contre l’Algérie, dans un derby nord-africain.
Je dois vous demander votre avis sur l’équipe nationale actuelle. Ils ont joué contre le Soudan et la Guinée. Ils sont déjà qualifiés pour le barrage africain de qualification à la Coupe du monde. Que pensez-vous de cette jeune équipe ? Peut-elle jouer les premiers rôles à la CAN et peut-être se qualifier en Coupe du monde pour la deuxième édition consécutive ?r>Je l’espère. La situation est très bonne. On a de jeunes joueurs avec beaucoup de talent, mais aussi des joueurs expérimentés. Si la situation n’était pas aussi bonne, on ne serait pas premiers de notre groupe. Après, vous avez le match barrage où vous devez être en bonne forme et puis avoir un peu de chance aussi. Mais je pense que l’équipe est bonne et j’espère qu’ils pourront se qualifier pour la Coupe du monde au Qatar en 2022. Pour la CAN, le Maroc a toujours été un pays qui peut jouer les premiers rôles dans ce tournoi. C’est vrai qu’on ne l’a pas gagné beaucoup dans notre histoire, mais je pense qu’on peut le faire.
Cette époque est vraiment très différente de la vôtre. Il y avait beaucoup plus de joueurs formés au Maroc. C’était difficile pour vous, étant donné votre double culture ?r>Oui. Mais vous savez que la vie est toujours difficile. J’ai eu beaucoup de chance de grandir dans ce contexte-là. J’étais aussi très fier de recevoir ma convocation et jouer avec le Maroc. Je ne regarde pas les problèmes ou les difficultés, mais plutôt la chance. Je parlais arabe à la maison avec mes parents, donc ce n’était pas très difficile. À l’époque, ça parlait beaucoup français et j’avais appris un peu le français à l’école, mais je n’étais pas très fort. Je parlais arabe et tout le monde me comprenait. J’étais le gars qui venait d’Allemagne et personne n’était vraiment sûr de la manière avec laquelle on devait me parler. Mais moi, j’étais un grand fan de l’équipe nationale de 1986, Timoumi, Dolmy… Tous ces joueurs étaient des idoles. Donc, quand j’ai joué avec Bouderbala et Badou Ezaki, j’étais très fier de côtoyer mes idoles.
Pourquoi n’y a-t-il pas beaucoup de joueurs marocains qui jouent en Bundesliga et qui, par conséquent, peuvent être convoqués en équipe nationale ?r>Je pense que les Marocains quand ils émigrent, ils vont en France, parce qu’ils parlent la langue, en Espagne ou au Portugal pour la proximité. Ils vont aussi en Belgique et aux Pays-Bas. Il y a beaucoup de personnes dans ces pays, plus de générations et donc plus de chances de voir des joueurs apparaître et faire une bonne carrière. Je pense aussi qu’en Allemagne, c’est difficile pour les gens qui grandissent ici de devenir de grands joueurs. Je pense que lors des dix dernières années, c’est devenu plus facile. Mais à l’époque, c’était plus difficile de grandir et de franchir un cap. Mais je pense qu’il y a beaucoup de jeunes joueurs en Allemagne. C’est vrai qu’ils ont besoin de franchir le pas et jouer en Bundesliga pour jouer avec l’équipe nationale, même si c’est en U21 ou en U17. Je pense que ce n’est pas facile, parce que beaucoup grandissent en Allemagne sans avoir de lien direct avec le pays d’origine. On a eu des joueurs comme Karim Bellarabi. Pour lui, il aurait été mieux de jouer avec le Maroc qu’avec l’Allemagne. Ce sont des joueurs avec qui il faut parler, expliquer et démontrer pourquoi le Maroc est le bon choix de carrière internationale.
Revenons pour parler de vous. Vous avez été manager général de Greuther Fürth quand le club a réussi à monter en Bundesliga en 2012. Mais vous aviez quitté le club tout juste après. Puis, la saison passée, Greuther Fürth remporte la deuxième Liga et remonte en Bundesliga, et là, vous devenez le premier Marocain à diriger un club de Bundesliga. Quelle est la différence entre les deux périodes ?r>J’ai changé en 2012, parce que j’avais besoin de grandir en termes de personnalité et même de faire des erreurs. J’étais à Fürth depuis 13 ans et je connaissais tout et tout le monde. Tout était bien, mais ce n’était pas le bon moment pour rester en Bundesliga pour moi. J’avais besoin d’une autre expérience et je voulais un nouveau challenge pour grandir, avec les bons et les mauvais côtés. Je pense que c’est la manière de bien gérer une carrière. Pour être bon, on ne peut pas tout bien faire tout le temps. On a aussi besoin de faire des erreurs et il faut apprendre. Ce n’est pas de la magie, mais plutôt savoir où on se trouve et les choses qu’on peut améliorer, s’entourer de personnes qui peuvent aider à mieux faire les choses. Je pense que c’est la bonne manière pour réussir.
On connaît le Bayern Munich, Augsbourg – où jouait Amsif –. Mais on ne connaît pas beaucoup Grether Fürth. Que pourriez-vous nous dire à propos de ce club ? Pourquoi est-ce un club si spécial ?r>Ce qui est spécial c’est qu’on a gagné 3 championnats d’Allemagne, mais c’était il y a très longtemps. On a une grande tradition. Greuther Fürth et le FC Nuremberg composaient à eux deux l’équipe nationale d’Allemagne. Dans les 30 ou 40 dernières années, des clubs sont montés et se sont fait des noms sur la scène allemande, comme le Bayern, Dortmund, Schalke et Hambourg, même si ces deux derniers jouent actuellement en D2, ils ont un énorme potentiel. Il y a aussi les Hoffenheim, Wolfsburg, Leverusen… Ils ont beaucoup d’argent, parce qu’ils ont des investisseurs comme Volkswagen ou Bayer… À Fürth, on a un club qui connaît son identité. On ne veut pas être quelque chose qu’on n’est pas. On est un jeune club avec beaucoup d’histoire et du futur. On est professionnels, mais on vit comme dans une famille. On sait ce qu’on a et ce qu’on peut faire. On ne parle pas beaucoup de nous-mêmes, mais on travaille beaucoup et les gens de l’extérieur le savent. Je sais que ce n’est pas très bon pour la promotion du club, peut-être qu’il vaudrait mieux sortir et parler de ce qu’on fait. Mais dans l’industrie du football actuel, les gens connaissent notre club et nous sommes maintenant depuis 23 ans dans la Ligue professionnelle, surtout en D2, mais deux fois en Bundesliga, avec un tout petit budget. Tout ça avec une identité et une philosophie claires. On a de jeunes joueurs, dont un qui est international avec l’Allemagne (David Raum) et qui joue maintenant à Hoffenheim. Je pense que c’est notre identité. Les gens savent que c’est un bon club si on veut grandir, et on peut soit monter en Bundesliga soit aller dans un club qui joue en Bundesliga.
Malheureusement, Greuther Fürth est bon dernier en Bundesliga. Mais quel est le principal objectif, parce que souvent les gens ont du mal à admettre qu’il vaudrait mieux revenir en D2, pour remonter et être plus fort ?r>C’est le cas pour notre club. Nous ne sommes pas le club ou la ville qui pense que jouer la Bundesliga est quelque chose de normal. On va se battre et ne pas baisser les bras. Une situation comme la nôtre est difficile, comme après la défaite face à Francfort. On doit toujours se relever. Notre club connaît son identité et on sait qu’on est sérieux, on ne prend pas de l’argent de n’importe qui, on travaille pour l’obtenir.
Le contexte actuel avec la pandémie du coronavirus voit beaucoup de grands clubs se plaindre, car ils ont de gros salaires, de grosses dépenses. Qu’en est-il de Greuther Fürth ? Est-ce plus facile de gérer un club avec un petit budget dans le contexte actuel ?r>Je ne peux pas parler à la place des grands clubs. Mais c’était très dur et c’était tout nouveau pour nous et pour le monde entier. Cette pandémie est nouvelle et on est naturellement déçus. On a diminué notre budget. Normalement, on tourne autour de 4 millions d’euros par an, mais avec la pandémie, c’était beaucoup moins. Même avec ces réductions, on a réussi à monter en Bundesliga. Finalement, on a démontré que l’argent n’était pas tout dans le football et c’était très bien pour nous.
C’est une grande fierté d’avoir un Marocain à la tête d’un club en Bundesliga. Avez-vous été contacté par la FRMF, afin d’exploiter votre expérience et votre savoir-faire au profit du football marocain ?r>Oui, je suis en contact toujours avec Mustapha Hadji et Noureddine Naybet, avec lesquels j’ai partagé des moments merveilleux de ma carrière. Des fois, on parle au téléphone. Mais je n’ai jamais été en contact direct avec la Fédération. Ça ne me dérange pas. S’ils ont une question ou un conseil à me demander, ça me ferait plaisir. Mais je ne vais jamais dire «je suis manager en Bundesliga, je sais tout sur tout». L’Allemagne et le Maroc sont très différents. S’ils veulent me contacter, cela me ferait très plaisir. Je ne vais pas pleurer ou parler mal des gens parce qu’ils ne m’appellent pas. Ils ont leur projet et leur façon de faire et ça me va.