31 Mars 2022 À 16:16
Adopter un style de vie sain en faisant attention à son alimentation et à sa santé est dans l’air du temps. C'est pourquoi de plus en plus d’influenceurs surfent sur la vague et partagent quotidiennement des conseils en alimentation et en nutrition pour motiver leurs communautés de followers à adopter un mode de vie sain. À l’approche du mois de Ramadan, la cadence s’accélère. Depuis quelques semaines, les conseils nutritionnels pullulent en effet sur les réseaux sociaux. Tout le monde s’y met… même des enfants.
Or en matière de nutrition, il faut être très prudent lorsqu’on décide d’appliquer des recommandations que l’on trouve sur Internet. En croyant bien faire, on risque de mettre sa santé en danger. «Il est difficile de donner des conseils en nutrition adaptés sans avoir de notion sur les nutriments, le métabolisme, les propriétés de chaque famille alimentaire… Je ne suis pas vraiment au fait de ce que colportent des influenceurs, ni de leur formation de base, mais j’espère que les internautes font preuve de bon sens et qu’ils ont bien conscience que la nutrition reste une science et que par conséquent ils doivent choisir avec prudence leur source d’information», déclare au «Matin» Dr Valérie Alighieri, médecin généraliste, gériatre et nutritionniste. Cette dernière insiste surtout sur le fait que les conseils nutritionnels doivent toujours être adaptés à l’état de santé et au mode de vie de la personne concernée par ces conseils. «Chaque personne a ses propres besoins en termes de nutrition et il est probable qu’un conseil inadapté aura des conséquences sur sa santé. Pour des informations fiables en nutrition, il faut se rendre sur des sites bien référencés qui sont en général des sites scientifiques. Je pense cependant qu’il sera compliqué de trouver des informations d’ordre médical sur le jeûne du ramadan», poursuit la nutritionniste.
Pr Jaâfar Heikel, médecin épidémiologiste nutritionniste et président du Collège national des médecins nutritionnistes, abonde dans le même sens. Il affirme également que cette pratique pourrait avoir un impact très grave sur la santé. «Dans tous les domaines et particulièrement dans le domaine de la santé, les personnes doivent rester honnêtes et parler selon les compétences qu’elles ont réellement surtout quand il s’agit de publication sur Internet. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Que ce soit durant la période de la pandémie Covid-19 ou maintenant à l’approche du mois de Ramadan, on constate que de plus en plus de personnes s’improvisent experts sur les réseaux sociaux et donnent différents conseils aux internautes. Des conseils alimentaires et nutritionnels, dont elles ne font même pas la différence, et qui vont induire en erreur la population», déplore le médecin. Ce dernier explique que les conseils sur Internet peuvent parfois être dangereux surtout en matière de nutrition. «Il s’agit d’une discipline transversale, extrêmement importante, qui concerne beaucoup de maladie aussi bien dans leur prévention que dans leur prise en charge et la gestion de leurs complications. Il faut rester prudent et se diriger vers de vrais experts qui ont assez de connaissances scientifiques. Le Maroc compte de nombreux diététiciens et médecins nutritionnistes qui ont la compétence nécessaire pour gérer ce genre de problématique et à qui il faut se fier pour demander conseil», recommande Pr Heikel.
*********************r>Questions à la nutritionniste
Valérie Alighieri : «Le mois de Ramadan est une bonne occasion de faire le ménage dans ses choix alimentaires»
Le Matin : La table du ftour est souvent garnie de mets sucrés et gras. Quel impact peut avoir la consommation d'une grande quantité de ce type de nourriture après une journée de jeûne, sur notre santé ?
Dr Valérie Alighieri : En effet, les ménagères accordent beaucoup d’importance aux préparatifs du Ramadan et dépensent beaucoup d’énergie pour stocker des petits mets traditionnels tels que briwates, pastilla, nems, chabakia, sellou, msemen. Malheureusement, tous ces aliments sont très gras et certains aussi très sucrés et par conséquent très caloriques. Ils ne devraient pas être quotidiennement présents sur les tables ramadanesques. N’oublions pas que nous avons un mode de vie très sédentaire contrairement aux anciennes générations et que les traditions culinaires du Ramadan ne sont peut-être plus très adaptées.
La journée de jeûne entraine, entre autres, une baisse de sécrétion d’insuline en l’absence d’apport alimentaire. Le corps va aller puiser dans les réserves pour maintenir la glycémie et produire de l’énergie nécessaire à l’organisme. À la rupture du jeûne, la reprise de l’alimentation provoque une augmentation de la glycémie d’autant plus importante que les plats sont glucidiques et gras. Au niveau métabolique, les excès dans un même repas sont toujours néfastes, et ce d’autant plus si ce repas suit une journée de jeûne.
Ainsi, la consommation excessive de plats riches à la rupture du jeûne provoque une variation plus importante de la glycémie. Je souligne ce propos surtout pour les patients diabétiques de type 2 qui décident de jeûner malgré leur maladie : leurs repas doivent être sains et équilibrés et je conseille une surveillance attentive de la glycémie avec une éventuelle adaptation du traitement médicamenteux. Attention également aux personnes au taux de cholestérol ou de triglycérides élevé !
Ces aliments excessivement gras et sucrés vont également entraîner des désordres digestifs et un inconfort gastrique gras, car ils sont plus longs à digérer. Ils peuvent entraîner douleurs et nausées, mais aussi des troubles au niveau intestinal à cause de la fermentation responsable de ballonnements et de flatulences.
Quels sont alors les aliments à privilégier ?
Pendant cette période, il serait préférable de consommer des aliments sains et de bonne valeur nutritionnelle. Le mois de Ramadan est une bonne occasion de faire le ménage dans vos choix alimentaires. Ce mois pourrait vous permettre de reposer le tube digestif. Mangez léger, mais qualitatif !
Les repas devront apporter des sucres lents sous forme de légumes secs qu’on consomme dans la harira, de pâtes de pain complet, de riz pour subvenir aux besoins énergétiques de la journée. Les légumes et fruits souvent oubliés sur la table du ftour permettent de maintenir un bon apport en vitamines, fibres et eau.r>On gardera aussi une consommation suffisante d’aliments protéiques de qualité et maigres de préférence. Privilégiez les viandes blanches aux rouges, les poissons blancs ou encore les œufs et les produits laitiers maigres. À noter que le lait et les yaourts sont en même temps source de protéines, de calcium, mais aussi d’eau.
Enfin, l’hydratation est essentielle et à ne pas négliger. L’eau doit être préférée aux jus qui ne sont pas conseillés en nutrition.
Quels autres conseils pouvez-vous donner aux jeûneurs pour passer un Ramadan en bonne santé ?
Il s'agit de privilégier la qualité à la quantité. Le ftour étant aux alentours de 19h, il est possible de ne faire qu’un seul repas léger complet et équilibré à la rupture puis un deuxième repas au shour. Pensez à préserver les heures de sommeil, faire une sieste si c’est possible, tout en gardant une activité physique légère minimale.
Pour le rythme des repas, il reste à la convenance du jeûneur, certains préféreront plusieurs petits repas, d’autres un seul repas complet puis un en-cas. Il doit aussi être choisi en fonction du mode de vie, de l’âge, de l’état de santé... Il ne faut pas hésiter à prendre l’avis de votre médecin qui peut vous conseiller si vous rencontrez des difficultés pendant le jeûne.