18 Mai 2022 À 20:11
Le Matin : Quels sont selon vous les aspects saillants de la coopération culturelle entre le Maroc et l’Italie ?
Armando Barucco : Le partenariat bilatéral entre l'Italie et le Maroc traverse une phase extrêmement positive, marquée par un nouvel élan de coopération, comme souligné par la récente visite à Marrakech du ministre italien des Affaires étrangères, M. Di Maio. La rencontre avec le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita a été l'occasion pour mettre en évidence l'état exceptionnel de la coopération dans tous les secteurs : les consultations politiques et sécuritaires, l'économie – avec des échanges à leur plus haut niveau depuis 2014 et un tissu d'entreprises actives dans tous les secteurs –, la culture, avec de nombreuses activités de haute facture en préparation…r>La force de cette coopération trouve son fondement dans une histoire millénaire d'échanges et de traditions. L'appartenance commune à une identité méditerranéenne se traduit aujourd'hui par la présence de grandes communautés historiques de compatriotes dans les deux pays. La communauté marocaine est la plus importante des communautés non européennes en Italie. Plus de 400.000 personnes, auxquelles il faut ajouter les binationaux.
Cet échange culturel dense se traduit également par des relations très étroites entre les deux systèmes universitaires : plus de 150 accords pour faciliter la mobilité internationale des chercheurs et des étudiants, et pour la reconnaissance mutuelle des qualifications, des milliers d’étudiantes et étudiant marocaines et marocains, des milliers de bourses d’études offertes par l’État italien, par les régions et par nombreuses Fondations et Institutions publiques et privées. À l'occasion de la Fête nationale italienne du 2 juin, je souhaite aujourd'hui mettre l'accent sur la culture. Partager avec vos lecteurs ce que nous faisons pour renforcer la coopération culturelle entre l'Italie et le Maroc. Naturellement, en contact étroit avec les institutions marocaines concernées, en premier lieu le ministère de la Jeunesse, de la culture et de la communication.
Comment les institutions italiennes collaborent-elles pour promouvoir la langue et la culture italiennes au Maroc ? Parlez-nous de vos activités ?
Un grand nombre d'institutions italiennes sont présentes au Maroc : l'ambassade, l'Institut culturel italien, le consulat général à Casablanca, mais aussi la Société Dante Alighieri, la Chambre de commerce de Casablanca et un large réseau d'associations de compatriotes. Nous sommes une équipe intégrée avec un objectif commun : amener la grande culture italienne au Maroc, pour le bénéfice de nos compatriotes et d'un public d'amis marocains toujours plus nombreux. En parlant de culture, je ne peux que remercier la directrice de l'Institut, Carmela Callea, et son personnel pour le travail qu'ils accomplissent dans tous les champs de notre activité.
Dans les mois à venir, nous évoquerons les principaux points de l'imaginaire culturel lié à l'Italie, en premier lieu le cinéma, la musique et la littérature. Pour le cinéma, avec l’Institut culturel italien et la Fondation Hiba on a déjà commencé le festival «Il Nuovo Cinema Italiano Di Rai Cinema», des rendez-vous du jeudi (2 à 3 fois par mois) au cinéma «La Renaissance» à Rabat avec les productions italiennes les plus récentes. La première projection a été dédiée au film «Ennio» de Giuseppe Tornatore : un documentaire-chef d’œuvre sur Ennio Morricone, sans doute le plus grand compositeur de musique pour cinéma. Des thèmes que nous reprendrons à l'automne avec un grand Festival consacré au cinéma méditerranéen, en collaboration avec «La Renaissance» et l'École supérieure des arts visuels de Marrakech. Et c’est parce que nous vouons le plus grand respect au public marocain que nous avons décidé d’amener seulement des productions récentes et de grande qualité.
Nous souhaitons vivement que la culture italienne soit présente dans tout le pays. C'est pourquoi nous avons aussi programmé des initiatives de grand niveau à Fès, à l’occasion du Festival des musiques sacrées du monde, et à Essaouira. S’agissant de la musique, nous ferons la part belle à l'opéra. À l'occasion de la Fête nationale italienne, nous avons imaginé, avec les amis de la Fondation Ténor pour la culture, de l'Orchestre philharmonique du Maroc et du Teatro Massimo de Palerme, trois représentations de «Norma» de Vincenzo Bellini les 2, 4 et 6 juin au Théâtre Mohammed V de Rabat. Les grands théâtres italiens d’opéra reviennent au Maroc avec un regard particulier en perspective sur ce que nous serons en mesure de réaliser dans le futur au Grand Théâtre de Rabat.r>Outre l'opéra, il y a eu aussi des concerts. Rabat (15 mai) et Marrakech (17-18 mai) ont abrité avec très grand succès le concert «4 Éléments». Un concert de piano accompagné d'un spectacle de vidéoprojection. Nous avons fait appel à une grande pianiste italo-coréenne et réalisé l'initiative avec les amis de l'ambassade de la République de Corée, de la Fondation Ténor pour la culture, du Théâtre Mohammed V et de la Fondation «Ali Zaoua». Je suis particulièrement heureux de pouvoir réaliser un tel événement avec la Fondation «Ali Zaoua», qui fait un travail extraordinaire au quotidien.
Enfin, la littérature... Nous prévoyons ainsi de participer au Salon international de l'édition et du livre de Rabat. Là aussi, grâce à l'Institut, nous aurons une présence importante de maisons d'édition et de grands écrivains italiens. Après la pause estivale, nous reprendrons notre activité. Nous voulons une présence italienne permanente et régulière à tous les principaux festivals et événements culturels du Maroc. Il y a aussi beaucoup de choses que nous voulons faire pour favoriser la collaboration avec les musées italiens et marocains, grâce à nos amis de la Fondation nationale des musées.
La culture, la civilisation et l’histoire de l’Italie sont parmi les plus fascinantes au monde. Pensez-vous qu’elles sont connues et appréciées à leur juste valeur au Maroc ?
Le patrimoine musical et artistique de notre pays est un patrimoine de l'humanité à proprement parler : il représente la synthèse de courants et de traditions d’un territoire qui, à travers son histoire, a eu un impact décisif sur la culture mondiale. Pas seulement avec Rome et la latinité, mais aussi avec l’invention de la modernité pendant la Renaissance, la réflexion sur la dignité humaine et les droits de l’Homme de Cesare Beccaria, la création de l’opéra, qui brise définitivement la distinction artificielle entre culture haute et culture populaire, la synthèse entre les arts et le progrès technologique du futurisme, etc. Ce que nous voulons faire, c'est offrir progressivement au public marocain la plus large fenêtre possible sur la richesse culturelle de l'Italie.
Comment le renforcement de la coopération culturelle peut-il être au service de la coopération tout court entre les deux pays et que faire pour mieux faire connaître auprès des Italiens la culture et la civilisation marocaines qui sont aussi parmi les plus riches du pourtour de la Méditerranée ?
Renforcer la coopération culturelle signifie toujours créer une nouvelle façon de communiquer et de se comprendre. La culture et le dialogue vont de pair. Le Maroc et l'Italie sont des pays dont l'amitié transcende le seul domaine de coopération pour se fondre dans une appartenance commune à l'espace méditerranéen. Une coopération qui, même dans le domaine culturel, ne peut jamais être unilatérale. La tradition de la culture arabe et marocaine reste vivante en Italie, notamment dans le sud du pays. C'est aussi pourquoi nous menons d'importantes collaborations pour la restauration et la préservation du patrimoine manuscrit marocain et pour l'agrandissement, à Palerme, du plus grand centre d'études sur l'histoire et les cultures de l'Islam : la Bibliothèque Giorgio La Pira. Dédié au maire de Florence qui, grâce à son amitié personnelle avec Leurs Majestés Mohammed V et Hassan II, a initié le jumelage entre Florence et Fès : deux villes jumelles pour le rôle qu'elles ont joué dans la construction de leurs cultures et identités nationales respectives.
En juin, une grande conférence consacrée à la culture méditerranéenne se tiendra à Naples. La présence du ministre de la Jeunesse, de la culture et de la communication, M. Mohammed Mehdi Bensaïd, soulignera cette proximité et la valeur des collaborations que nous souhaitons initier ensemble : pour la conservation des grands sites romains du pays, mais aussi pour la création de la première école de restauration du Maroc.
Comme exemple de réussite, je voudrais mentionner la contribution italienne à la conservation du patrimoine historique et archéologique du Maroc, qui est parmi les plus riches et les plus importants au monde. Nous sommes historiquement présents à Chellah, Volubilis et Lixus, mais nous avons récemment entamé de nouvelles collaborations. Parmi elles, celle entre le Centre de restauration «La Venaria» de Turin et l'Académie des arts traditionnels de la mosquée «Hassan II» de Casablanca. C'est une fierté et une grande responsabilité pour nous d'être associés à l'un des lieux les plus sacrés du Maroc, grâce au ministère des Habous et des affaires islamiques. Ces types de collaborations sont notre objectif, pour créer des relations structurées entre nos grandes écoles de restauration et les institutions marocaines, et plus généralement entre le système de promotion et de sauvegarde du patrimoine italien et les grandes institutions marocaines.
Propos recueillis par A.Rm.r>