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Communauté des États sahélo-sahariens : pourquoi le Maroc mise sur la relance de la CEN-SAD

La 21e session ordinaire du conseil exécutif de la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD) s’est tenue les 29 et 30 mars à Rabat. Le choix de la capitale du Royaume pour accueillir cette session témoigne de l’intérêt du Maroc pour cette «miniature de l’Afrique». En effet, le Royaume est résolu à impulser une nouvelle dynamique à l’action decette Communauté. Dans cette optique, il a notamment proposé la création d’un Forum économique des pays de la CENSAD, lequel compléterait l’architecture de cette organisation en matière de développement et servirait de plateforme d’échange et de coopération entre les opérateurs économiques de l’espace sahélo-saharien. Outre la dimension économique, la gestion des défis sécuritaires est l’un des principaux enjeux expliquant l’intérêt porté par le Maroc à ce groupement. Éclairages de deux experts.

03 Avril 2022 À 18:01

Engagée dans un processus de réformes structurelles et institutionnelles depuis bientôt 12 ans, la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD) peine encore à relever les défis inhérents à la mise en œuvre de ses nouvelles priorités axées sur le développement durable, la paix et la sécurité. Toutefois, et d’après le président de son conseil exécutif, Cherif Mahamat Zene, la CEN-SAD «dispose d’un riche potentiel et d’avantages comparatifs évidents pour jouer son rôle dans la réalisation de ses nobles objectifs». «La présence de la Banque sahélo-saharienne pour l’investissement et le commerce dans 14 États membres constitue un excellent outil de la CEN-SAD pour promouvoir le secteur privé, moteur du développement économique», avait fait remarqué M. Zene.

Le Maroc, dont la vocation de cette structure correspond à l’un des piliers de sa doctrine diplomatique, à savoir la synergie entre le développement, la sécurité et la prospérité, comme le rappelle le professeur de droit public Azzedine Hanoune, a proposé la création d’un Forum économique des pays de cette Communauté. «Le Royaume du Maroc propose la création d’un Forum économique des pays de la CEN-SAD, qui viendrait compléter l’architecture de notre organisation en matière de développement, et servirait de plateforme d’échange et de coopération entre les opérateurs économiques dans notre espace», avait affirmé le ministre des Affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, Nasser Bourita, lors de la réunion préparatoire de cette 21e session ordinaire du conseil exécutif de la CENSAD, faisant savoir que le Royaume «se propose d’en abriter la première édition».

M. Bourita avait soutenu que «dans le cadre de la Vision tracée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le Maroc a toujours misé sur les investissements davantage que sur le commerce, et œuvré pour la co-construction de partenariats favorisant la prospérité et la stabilité partagée avec ses pays frères sahéliens», rappelant le discours de S.M. le Roi dans lequel le Souverain a souligné que «le Maroc croit à un co-développement fondé sur la coopération intra-africaine et la complémentarité économique, sur la solidarité active et la mutualisation des moyens et des efforts».

Déplorant que la CEN-SAD peine à atteindre sa vitesse de croisière, et à être ce catalyseur de stabilité et de prospérité partagée auxquelles ses populations aspirent, le chef de la diplomatie marocaine avait notamment rappelé que la région continue d’afficher une performance en deçà de ses capacités que la région continue d’afficher une performance en deçà de ses capacités, dans plusieurs chantiers de l’Agenda 2030 de l’ONU et de l’Agenda 2063 de l’UA. «C’est pour cela que nos efforts doivent tendre à faire émerger notre Communauté comme un creuset de nos efforts collectifs, en faisant avancer notre groupement vers une intégration régionale réelle», avait insisté M. Bourita, soutenant que l’action de la CEN-SAD devrait, dans les prochaines années, tendre vers la mise en place des différentes structures institutionnelles prévues par le traité révisé de la CEN-SAD, notamment le Conseil permanent chargé du développement durable.

Cette action devrait tendre également à l’élaboration d’une stratégie dédiée au développement humain dans l’espace sahélo-saharien et de programmes destinés à l’insertion des jeunes et à l’opérationnalisation de la Stratégie de sécurité et de développement de la CEN-SAD (2015- 2050). M. Bourita, et tout en se réjouissant du regain progressif du dynamisme de la CEN-SAD, avait relevé que la fin de la crise pandémique et l’évolution des contextes régional, continental et mondial «nous invitent à maintenir un soutien constant à notre Organisation» et à optimiser le rôle qu’elle peut jouer. Pour cela, certains prérequis sont, d’après le ministre, indispensable, à savoir :

• restaurer une cadence normale des travaux des instances dirigeantes de la CEN-SAD,

• compléter et opérationnaliser l’architecture de l’Organisation, par la mise en place des nouveaux organes prévus par le Traité révisé, en particulier le Comité des ambassadeurs et représentants permanents, le Conseil permanent de développement durable, le Conseil permanent de paix et de sécurité, ainsi que le Centre de lutte contre le terrorisme – dont il faut relancer les travaux, et

• renforcer les moyens d’action du Secrétariat exécutif. Par ailleurs, et à propos de la Banque sahélo-saharienne pour l’investissement et le commerce, M. Bourita a appelé à repenser sa politique, notant que cette institution stratégique doit accompagner les efforts de la Communauté dans les domaines de développement.

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Azzedine Hanoune : «Le focus de travail de la CEN-SAD correspond à un des piliers de la doctrine diplomatique du Royaume»

Selon le professeur de droit public à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Ibn Tofaïl, Azzedine Hanoune, «la Communauté des États Sahélo-sahariens (CEN-SAD) constituait et constitue toujours un canal de redéploiement diplomatique marocain. «Le focus de travail de cette institution correspond à un des piliers de la doctrine diplomatique du Royaume, à savoir la synergie entre le développement, la sécurité et la prospérité», souligne le professeur.

La Communauté des États sahélo-sahariens est la plus grande organisation régionale africaine. Elle compte 29 États membres, c’est-à-dire plus de la moitié des États africains. Géographiquement, la CEN-SAD englobe la quasi-totalité des États de la moitié nord du continent. Le Maroc a adhéré à cette communauté en 2001, trois ans après sa constitution. Dès le départ, le Maroc avait exprimé un grand intérêt pour cette institution pour plusieurs raisons :r>• Le focus de travail de cette institution correspond à un des piliers de la doctrine diplomatique du Royaume, à savoir la synergie entre le développement, la sécurité et la prospérité.r>• Le cadre géopolitique original de cette organisation, à savoir les pays du cercle sahélien constituait un prolongement du Maroc saharien. Il s’agit de pays avec qui le Maroc entretenait des liens historiques et culturels profonds (Mali, Niger, etc.).r>• Avant son retour au sein de l’Union africaine, la Communauté des États sahélo-sahariens constituait et constitue toujours un canal de redéploiement diplomatique marocain. Sa Majesté le Roi avait, dès les premières années de son règne, montré un intérêt particulier à porter assistance aux pays les moins avancés. Or cette communauté contient parmi ses membres la majorité des PMA.r>Le Maroc qui, depuis quelques années a placé l’Afrique à la tête de ses priorités stratégiques, ne peut rester indifférent à toutes les tentatives d’unification et de rapprochement. La CEN-SAD, débarrassée des tentatives d’hégémonie auxquelles sont habitués certains États, ne pourrait que renforcer davantage les valeurs de solidarité entre les peuples de la région.r>L’insécurité conjugué au changement climatique, la pauvreté et les conflit armés sont malheureusement les traits principaux de cette région. L’intervention des puissances étrangères n’a pas pu résoudre ces problématiques. La seule porte de sortie pour les États de la communauté est de créer une synergie et une dynamique collective et créer un système de solidarité à tous les niveaux.

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Mustapha Sehimi : «Il y a aujourd'hui une forte prise de conscience pour réactiver la Communauté»

Créée en 1998, la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD) a perdu de sa substance sous l'effet de plusieurs facteurs. Dans cet entretien accordé au «Matin», le professeur de droit et politologue Mustapha Sehimi revient sur la genèse de cette communauté, sur la non-adhésion de l'Algérie à cette structure et sur l'intérêt qu'elle représente pour le Maroc.

Le Matin : Pourquoi l’action de la CEN-SAD s’est affaiblie ces dernières années ?

Mustapha Sehimi : Plusieurs facteurs ont poussé dans le sens de l'affaiblissement de cette communauté. Le premier tient aux conditions mêmes de sa création, à Tripoli, en février 1998, par Kadhafi. Il voulait en faire un instrument de sa politique africaine dans les pays sahélo-sahariens. Ce sommet avait ainsi réuni le Mali, le Niger, le Tchad, le Burkina Faso et même le Soudan. Depuis, la CEN-SAD n'a tenu que six sommets (2005, 2007, 2008, 2013, 2014 et 2019). À ce jour, 21 sessions ordinaires de son conseil exécutif ont été organisées, la dernière à Rabat, du 28 au 30 mars 2022. Cela tient à la situation particulière que connaît cette région par suite de la conjonction de crises, d'instabilité et d'interférences d'un environnement marqué par des tensions et des conflits.

LA CEN-SAD ne pouvait dans ces conditions qu'avoir des difficultés à s'affirmer, à conforter sa place et son rôle. De plus, elle a été élargie au-delà de la région à des pays comme le Nigeria (2001), le Kenya (2008) et d'autres (Érythrée, Djibouti, Somalie). Enfin, le creuset continental était – et reste – l'Union africaine, comme cadre institutionnel premier et originaire.r>Aujourd'hui, une prise de conscience plus forte se fait pour réactiver cette communauté, ce qui ne peut qu'apporter une valeur ajoutée aux objectifs de départ et constituer un apport fécond à l'édification et à la consolidation de l'unité africaine. Ses objectifs s'articulaient autour de ces priorités : une union économique globale avec un plan de développement complémentaire des plans nationaux, la suppression de toutes les restrictions (circulation des personnes, des capitaux, les mêmes droits pour les ressortissants des pays membres, harmonisation des systèmes éducatifs). Autant de chantiers priorisés par l'Union africaine. La CEN-SAD se veut une approche régionale de cette stratégie continentale.

Comment expliquez-vous l’absence de l’Algérie de ce groupement régional de 29 États ?

Dès le départ, l'Algérie n'y a pas adhéré. Pourquoi ? Parce que la CEN-SAD consacrait la politique de Kaddafi dans la région. Et le président Bouteflika ne voulait pas que son pays n'ait pas la haute main sur une communauté couvrant l'espace sahélo-saharien. Alger s'est surtout mobilisée, ailleurs, au sein de l'UA, en s'engageant activement dans les organes de cette organisation et en y plaçant des diplomates à des postes de décision (secrétariat, commission, surtout le Conseil de paix et de sécurité, et ce de 2004 à 2019, sans interruption, avec Djoundi, Messahel, Lamamra, aujourd'hui ministre des Affaires étrangères). L'Algérie a en même temps veillé à renforcer des relations étroites avec des pays comme l'Afrique du Sud, l'Angola, le Nigeria et le Mozambique. Son souci était, entre autres, d'étendre son influence et de contrecarrer de manière hostile la nouvelle diplomatie marocaine de redéploiement en Afrique.

Quel intérêt (politique et stratégique) représente la CEN-SAD pour le Maroc ?

Le Maroc a adhéré à cette organisation en 2001. Il ne pouvait pas en être absent : dans l'espace régional, il est en première ligne avec les débordements et les risques générés par le mouvement séparatiste sous l'égide de l'Algérie. En 2012, il faut rappeler la session à Rabat du conseil exécutif. Le Maroc plaide pour que cette communauté se dote d'outils et de moyens d'intervention pour relever un ensemble de défis, dont le phénomène du terrorisme. Un Plan quinquennal d'action prioritaire (PQAP) a été adopté qui recommande la mobilisation de ressources financières et humaines.

Le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a fait des propositions allant dans ce sens – ce qu'il a appelé des prérequis. Le premier a trait à la restauration d'une cadence normale des travaux des instances dirigeantes. Le deuxième est de compléter et d'opérationnaliser les structures avec de nouveaux organes et de mettre en place un groupe de coordination des pays de la CEN-SAD membres du Conseil de paix et de sécurité et de l'UA pour un meilleur suivi des priorités en matière de paix et de sécurité. Le troisième a trait au renforcement des moyens d'action. Enfin, le dernier intéresse la question sécuritaire au Sahel, une des régions les plus affectées par le terrorisme dans le monde. Il a aussi réitéré l'engagement du Maroc à renforcer la CEN-SAD en faveur de la paix, de la stabilité et du développement. Enfin, il a proposé la création d'un forum économique des pays de la CEN-SAD qui complèterait l'architecture de cette communauté et servirait de plateforme d'échange et de coopération entre les opérateurs économiques. Une diplomatie en mouvement. Sur tous les fronts...

Propos recueillis par H.O.

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