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Recherche académique sur l'histoire du Maroc : l'avis de Driss El Yazami

Ancien président du CNDH et actuel président du CCME, Driss El Yazami, nous parle dans cet entretien de son intérêt pour l'histoire, des Marocains du monde du XXIe siècle, du projet de création de Dar Tarikh et de l'histoire culturelle de l'immigration qu'il a à cœur de faire découvrir aux jeunes générations.

Driss El Yazami.

30 Janvier 2022 À 11:41

Le Matin : Quelle attention portez-vous à l'histoire au sein du CCME et avant au sein du CNDH ?

Driss El Yazami
: Mon intérêt pour l’histoire est très ancien, bien que je n’aie pas de formation académique d’historien. De 1987-88 au début de ce siècle, ce fut l’essentiel de mon activité professionnelle au sein de l’association «Génériques», dont j’ai été en France l’un des fondateurs. Cet organisme a initié plusieurs expositions sur l’histoire de l’immigration en France et en Europe et a réalisé le premier inventaire des sources publiques et privées de l’histoire des étrangers aux XIXe et XXe siècles, en partenariat avec les Archives de France. J’ai en outre été chargé avec un haut fonctionnaire français de faire le premier rapport sur la création d’un musée de l’histoire de l’immigration par le premier ministre M. Lionel Jospin. Ce musée existe encore aujourd’hui. Au Maroc, j’ai contribué avec d’autres collègues au sein de l’Instance équité et réconciliation à l’élaboration puis à la mise en œuvre des recommandations en matière d’archives, de préservation de la mémoire et d’histoire. Et au CCME, nous avons depuis le début inscrit l’histoire parmi nos priorités. Cela a donné lieu à plusieurs expositions et ouvrages sur l’histoire des émigrés marocains.

Dites-nous ce que vous pensez des Marocains du monde au XXIe siècle...

Il est difficile de répondre en quelques mots. Disons que cette communauté, ou ces communautés devrais-je dire, continuent à grandir sur le plan démographique, à se féminiser, à rajeunir et à vieillir en même temps, à connaître un développement socioculturel important et à s’enraciner dans les pays de résidence. L’attachement au Maroc semble en même temps se maintenir et le désir de participer à son essor est incontestable. Le Royaume a mis en place depuis longtemps des politiques publiques en leur direction. Il me semble qu’il faudrait aujourd’hui veiller à les mettre à jour, notamment à l’égard des jeunes générations, nées et socialisées dans ce qu’il faut bien appeler leurs pays aussi et auxquels ils sont légitimement attachés. C’est cette double appartenance qu’il nous faut, comme nous y appelle la Constitution d’ailleurs, prendre sérieusement en considération.

Qu'en est-il de la relation du CCME avec l'Académie du Royaume du Maroc et l'Institut Royal de recherche sur l'histoire du Maroc ?

On ne peut mettre sur le même pied notre Conseil et ces deux institutions prestigieuses. Je suis reconnaissant à l’Académie pour son esprit d’ouverture, son soutien et l’amitié que M. le secrétaire perpétuel, M. Lahjomri, et ses équipes ont manifestée en permanence. Je suis aussi très sensible à la multiplication des initiatives de l’Académie en direction des autres continents et cultures. C’est une orientation essentielle pour notre pays. Je collabore avec le Professeur Kenbib, qui est aussi un ami très cher, depuis des années. Nous avons agi ensemble pour la mise sur pied de l’Institut d’histoire du temps présent, le lancement d’un master puis d’un doctorat dans ce domaine et œuvré ensemble pour la création de la Maison de l'histoire du Maroc.

Où en est le projet de création de Dar Tarikh ?

Face à la forte demande qui s’est exprimée à la sortie de l’ouvrage sur Dar Tarikh Al Maghrib, l’Académie a publié une version de poche de l’ouvrage qui est dans toutes les librairies à un prix abordable. Elle a aussi mis sur pied une mission de préfiguration confiée au professeur Kenbib et à votre serviteur et nous avons commencé une série d’auditions. Nous sommes convaincus que ce projet nécessaire et ambitieux ne peut aboutir sans un large processus inclusif. Nous avons enfin commencé à chercher un lieu susceptible d’abriter cette maison.

«Le voyage à Paris, immigration et musiques marocaines au XXe siècle» est le thème de votre intervention au colloque. Pourquoi l'avez-vous choisi ?

Tout simplement parce que c’est une histoire riche, passionnante et peu connue. C’est dans les années 1930 que le premier chanteur marocain, l’immense Lhadj Belaïd, a posé les pieds à Paris et a chanté en amazigh «Ammudu Bariz», le voyage de Paris. En 1940, Hocine Slaoui arrivait à son tour en France et nous léguait «Lik Lah A Ghrib». Depuis ces pionniers, des dizaines d’artistes, dont de nombreuses femmes, ont chanté l’émigration, ou ont vécu eux-mêmes comme immigrés. D’autres chanteurs ont fait le voyage pour apprendre leur art ou l’affiner. D’autres enfin ont animé d’innombrables soirées et festivals. Il s’agit d’un patrimoine qui nous dit une part de l’histoire culturelle de l’immigration. L’immigration a incontestablement enrichi les pays de résidence. Mais elle a été aussi d’un grand apport au Maroc. Driss Chraïbi et Mohamed Khair-Eddine hier, Tahar Ben Jelloun, Abdellatif Laabi ou Leïla Slimani aujourd’hui (et la liste est longue), les peintres, les sportifs hier et aujourd’hui… nous sommes aussi ce que l’immigration a fait de nous. Et ce sont ces histoires que j’ai envie, avec d’autres, de raconter aux jeunes générations.

 

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