30 Janvier 2022 À 17:13
«La recherche sur l'histoire du Maroc : bilan et perspectives» était au centre d’une conférence internationale organisée les 27 et 28 janvier courant par l'Institut Royal pour la recherche sur l'histoire du Maroc (IRRHM). Cette conférence de deux jours, organisée par visioconférence, avait pour objectif d’apporter des éclairages nouveaux sur le bilan et les perspectives de la recherche académique sur l'histoire du Maroc à travers des ateliers thématiques, animés par des historiens nationaux et internationaux.
«En réunissant des collègues venant d’horizons divers, au sens propre du terme, l’Institut Royal pour la recherche sur l’histoire du Maroc se propose de dresser, ou plus exactement, et à ce stade, d’esquisser, un état des lieux des études déjà réalisées ou en cours sur le passé lointain et plus récent du Maroc. De manière concomitante, le but est également d’ouvrir la discussion à la fois sur les perspectives d’impulsion et d’approfondissement de la recherche, ainsi que sur les voies et moyens d’assurer la prééminence, voire la centralité, de la production des historiens de métier et d’encourager les jeunes chercheurs à leur emboîter le pas avec leurs propres potentialités et leurs compétences. Évoquer les programmes, la teneur et les modalités d’enseignement de l’histoire au primaire, dans le secondaire et à l’université représente aussi l’un des volets du déroulé du colloque», explique Mohammed Kenbib, directeur de l’IRRHM.
Modes de gouvernance en vigueur dans l’État marocain
Intervenant à l’ouverture de cet événement, Bahija Simou, directrice des Archives Royales, a abordé les modes de gouvernance en vigueur dans l’État marocain. Elle a souligné à cet égard que «l'allégeance (Al Baïa) représente la première source donnant naissance aux modes de gouvernance au Maroc depuis les Idrissides jusqu'à nos jours», soulignant que l'importance de cette allégeance réside dans le fait qu'elle est l'un des fondamentaux du règne dans le Royaume, s'appuyant sur des actes écrits qui la définissent comme une institution reposant sur un contrat entre celui qui gouverne et le gouverné». Il s'agit, en l'espèce, d'un contrat démocratique par excellence qui définit les droits et les obligations, a-t-elle noté, avant de faire le distinguo entre les grandes allégeances ou les allégeances publiques et les allégeances privées, citant à l'appui des exemples d'allégeance des tribus sahraouies.
Dans son éclairage sur les modes de gouvernance, Mme Simou s'est attardée sur certains concepts et leur évolution à travers l'histoire du Royaume, relevant que le concept de «Makhzen» est connu des Marocains depuis l'époque des Almohades. Et de faire remarquer qu'il existe «un amalgame» entre le concept de l’État et celui du Makhzen, lequel est associé par les Marocains au pouvoir exercé par l’État aux niveaux central et local et par le truchement duquel l’État maintient la sécurité sur les plans intérieur et extérieur, perçoit les impôts ou encore veille à la préservation d'un certain équilibre tribal, outre la défense de l'intégrité territoriale ainsi que la prise des décisions, les jugements et les nominations. Elle a aussi donné des éclairages sur les différents modes de gouvernance, notamment à travers les décrets et les Dahirs, indiquant que les décisions du Sultan étaient promulguées sous une forme écrite depuis les Almoravides sous les appellations «Essak» (Acte) et «Assijil» (Registre).r>Quant à l'apparition du Dahir, elle le situe à l'époque des Almohades, affirmant que cet acte a été un outil important dans la gouvernance sous le règne des Sultans chérifiens alaouites, tout en passant en revue les différents types de Dahirs, leur rédaction et leur édition, outre leur signification dans les champs politique et religieux. Elle souligne, en conséquence, que «le Maroc est un État qui dispose de modes de gouvernance séculaires et bien ancrés et qui plus est, se caractérisent par leur complémentarité, leur globalité et leur diversité dans le temps et l'espace», notant que ces modes ont connu une évolution d'une dynastie à l'autre, s'accélérant lors du 19e siècle en raison du contexte et des défis posés devant le Maroc suite à l'expansion impérialiste et aux convoitises européennes.
Histoire du Temps présent
Pour sa part, le directeur des Archives du Maroc, Jamaâ Baïda, a tenu, dans une intervention intitulée «Quelles sources pour l'histoire marocaine du Temps présent ?», à préciser que l'histoire du Temps présent à pour champ d'études le passé proche et les événements pour lesquels il est généralement encore possible de consigner les déclarations des témoins et des acteurs, une discipline, a-t-il relevé, qui a eu du mal au Maroc, comme sous d'autres cieux, à acquérir le droit de cité dans les milieux universitaires. Une difficulté de reconnaissance qu'il explique par deux causes. La première tient au fait que le chercheur ne dispose pas d'assez de recul par rapport aux événements à même de lui permettre de les aborder sereinement et d'une manière dépassionnée et en toute objectivité, alors que la deuxième cause réside dans le fait que les contestataires de l'Histoire du Temps présent évoquent également la rareté des archives pour les périodes les plus récentes, contrairement aux périodes les plus anciennes pour lesquelles les archives sont abondantes.
«C'est un point de vue qu'on peut rejeter facilement en prenant en compte l'existence de nombreuses sources d'information qui sont des alternatives aux archives habituelles, en l'occurrence la presse, les sources orales, les mémoires des acteurs et des témoins, les archives audiovisuelles et toute autre information contenue dans les supports numériques et les réseaux virtuels», a-t-il affirmé. Et de souligner que depuis la promulgation en 2007 de la loi marocaine relative aux archives et la création en 2011 d'un établissement exclusivement dédié aux archives, bien des choses ont été réalisées pour rendre les archives plus accessibles aux chercheurs, notamment ceux qui s'intéressent au Temps présent. À cela, il ajoute la loi relative à l'accès à l'information entrée en vigueur le 22 févier 2018, ainsi que l'adhésion du Maroc au cours de la même année à l'OGP (Partenariat pour un gouvernement ouvert).
Autant d'acquis à même de favoriser la recherche historique sur les périodes récentes, a-t-il estimé, avant de conclure que l'histoire du Temps présent a acquis aujourd'hui, après bien des hésitations et des résistances conformistes, le droit de cité dans les universités et, du coup, les historiens sont en conséquence appelés à l'investir courageusement et à réclamer davantage d'ouverture de sources et d'archives. Il note, à ce propos, que le Maroc est bien disposé aujourd'hui à suivre cette évolution qui permet aux historiens de mener leurs travaux de recherche et ne point laisser le champ libre à des «usages intéressés et nuisibles de l'histoire».
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