Mariem Tabih
21 Septembre 2022
À 15:33
La sécurisation de l’approvisionnement en énergie, dont électrique, est plus que jamais stratégique. Et pour cause, le secteur de l’énergie a été l’une des premières et grandes victimes de la guerre en Ukraine qui a secoué l’actuel modèle énergique, notamment en ce qui concerne l’approvisionnement de cette ressource oh combien stratégique, avec des conséquences négatives en cascades : hausse des cours, lenteur des acheminements… Une situation qui appelle à une accélération de la transition énergétique où le Maroc peut se positionner sur le nouvel échiquier mondial. Aujourd’hui, «un nouvel ordre énergétique se profile avec une redistribution des cartes», a déclaré le président-directeur général du Groupe «Le Matin», Mohammed Haitami, lors de la Matinale du Groupe, tenue, mardi à Casablanca. L’événement, organisé en partenariat avec Eaton Maroc, s’est tenu sur le thème «Énergie électrique : quel modèle pour sécuriser l’approvisionnement des acteurs économiques ?»
- Le Maroc arrive à produire plus d’électricité, l’enjeu pour nous est d’arriver à attirer plus d’investisseurs pour consommer plus et moins cher.
- Aller vers l’énergie verte devient une urgence, mais les industriels manquent encore de courage pour y investir.
- Il est aussi important de mettre en place des lois qui encouragent les industriels à sauter le pas et à consommer vert.
- Si moi industriel j’investis dans de l’énergie propre, dans un pays où j’ai la possibilité de revendre cette énergie électrique et d’amortir les équipements en même temps, ce serait magnifique !
- La libéralisation de l’autoproduction d’électricité doit s’opérer graduellement. Ça ne sert à rien de libéraliser pour le citoyen lambda, commençons par les industriels.
- Il faut avoir de l’audace et aller de l’avant pour libéraliser le marché, ça devient urgent.
- Faisons en sorte d’appliquer la loi sur la moyenne tension qui existe au Maroc, mais qui n’a jamais été appliquée. Tous les dossiers pour vendre la moyenne tension à l’ONEE restent dans les tiroirs.
- Le renouvelable c’est l’avenir, mais il faut asseoir un écosystème derrière. C’est le rôle du gouvernement.
- Il faut encourager les industriels à avoir des équipements issus d’usines vertes. Cela nous permettra d’être compétitifs et d’exporter nos produits en Europe.
- Ces équipements propres permettront aux industriels de réduire les coûts de la facture d’électricité.
Amin Bennouna, expert en énergie : «Le vrai ennemi du Maroc c’est le non-respect des calendriers»
- Le Maroc n’aura pas de problème d’approvisionnement durant l’hiver. C’est un message positif qui doit être véhiculé auprès des industriels.
- En période normale, le Maroc arrive à couvrir la quasi-totalité de ses besoins en électricité. L’interconnexion électrique avec l’Europe n’est plus qu’une opportunité commerciale dans ce cas. Mais de temps en temps, elle devient une option de secours.
- En période de forte demande, notamment en juillet et août, nous avons eu recours à cette option de secours et nous avons importé de l’électricité.
- Grâce aux Européens, nous avons l’information sur le volume d’énergie importé. Des données que nous n’avons pas en interne !
- Certains ont craché sur l’électricité des centrales thermo-solaires d’Ouarzazate à cause du coût jugé élevé et scandaleux.
- Savez-vous que l’électricité des centrales thermo-solaires d’Ouarzazate est la moins chère du Maroc durant l’année. Le prix commence à 1,30 DH. Tout le reste de l’électricité a coûté plus de 1,60 DH.
- Contrairement à la production de l’énergie éolienne qui a augmenté, celle du solaire a baissé cette année. Nos responsables n’ont pas daigné nous expliquer les raisons de ce crash.
- Le vrai ennemi du Maroc, ce n’est pas la pauvreté, mais le non-respect des calendriers.
- Le non-respect du délai de mise en marche de la STEP (station de transfert d’énergie par pompage) de Abdelmoumen, prévue en 2018, nous fait perdre énormément d’électricité. Vous imaginez ce que le Maroc perd quand il n’utilise pas l’excédent d’électricité très bon marché !
- La Step de Abdelmoumen qui est toujours à l’arrêt engendre une perte de plus de 350 mégawatts, ce n’est pas de la blague !
- Si l’on devait incriminer quelqu’un pour ce retard, il y en aurait beaucoup, car la responsabilité est diluée.
- Le cas de la Step Abdelmoumen rappelle celui de la centrale Koudia Al Baida pour laquelle deux anciens directeurs de l’ONEE avaient du mal à accepter le financement. Aujourd’hui, ils sont tous les deux sur des projets d’énergie renouvelable !
- • Le business modèle du secteur de l’électricité au Maroc est à revoir. Le coût de production de l’électricité reste élevé si on le compare au photovoltaïque (1,80 contre 40 centimes).
- Les auto-producteurs de l’électricité doivent être traités comme des producteurs que l’on respecte et que l’on rémunère, car ils arrivent à économiser leur facteur électricité.
- Le projet de loi sur l’autoproduction de l’électricité est complètement tordu, car il limite ce principe d’autoproduction au fait d’injecter 10% de l’énergie, c’est un non-sens !
- La loi sur l’autoproduction comporte une anomalie de taille. On ne peut pas parler d’une limitation à 10% du volume d’énergie à injecter dans le réseau électrique, on doit plutôt instaurer une limitation par rapport à la puissance. Dire qu’on limite l’injection d’énergie auto-produite par les industriels pour protéger le réseau est une aberration, il faut raisonner en termes de puissance, car même si on respecte la limitation de volume et qu’on l’injecte en une microseconde cela peut griller le réseau. Je ne comprends pas comment deux ministres, ingénieurs, puissent valider une telle chose, il y a quelque chose qui ne va pas !
- Il y a une décision politique importante à prendre concernant les sociétés régionales de distribution d’eau et d’électricité. Il faut en assumer les conséquences et les difficultés de mise en œuvre. Le choix de l’efficacité voudrait qu’on règle la problématique de la distribution d’eau, d’électricité et des services d’assainissement partout dans le pays, ce qui signifie le retrait des autorisations de délégation de services dont certaines datent de 1971 (les régies communales).
Ali El Harti, président de la Fenelec : «La loi sur l’autoproduction de l’électricité doit changer»
- Le Maroc est capable de produire une énergie renouvelable avec une ressource marocaine, solaire ou éolienne, à des prix bas.
- Les tarifs des énergies renouvelables sont aujourd’hui inférieurs à ceux de l’ONEE.
- Il y a au Maroc une réelle opportunité pour accélérer la transition énergétique. Pourquoi ça coince, on ne sait pas !
- Je pense que nous sommes allés trop vite dans notre exposition de l’éolien et du solaire. Nos industriels ont eu peur et ont redouté la face cachée de la monnaie.
- Les industriels ont redouté le coût élevé de ces énergies et sont donc restés en retrait.
- La loi relative à l’autoproduction de l’électricité doit changer.
- Parmi les lacunes de cette loi, les industriels rejettent la multiplicité des opérateurs auprès desquels il faut s’acquitter des taxes (ONEE, ANRE…). Les industriels veulent avoir un seul contrat.
- Le prix de l’électricité que l’ONEE applique vis-à-vis des industriels risque d’augmenter si ces derniers développent leur propre production et baisse ainsi la demande. Cette hausse s’explique par les investissements de l’office pensés initialement pour un approvisionnement sur toute la journée et non pas sur des périodes réduites.
- Pour promouvoir l’autoproduction de l’électricité, la probable augmentation des tarifs devra être supportée, en partie ou en totalité par l’État. Cette question reste posée.
- L’émergence de la production de l’énergie verte passe-t-elle inévitablement par la libéralisation du champ légal ? La réponse est oui !
- Le sujet de libéralisation reste très complexe, car les intervenants (ONEE, Taqa...) sont tenus au préalable par des contrats de longues durées.
- Il y a également le rôle social de l’ONEE qui vend le kilowattheure à des prix maîtrisés (1 DH) et approvisionne les régions reculées.
- Pour développer l’industrie électrique, il faut déployer un business modèle made in Morocco et ne pas hésiter à aller attaquer le marché européen et américain.
- Le consommateur européen ou américain exige aujourd’hui des produits fabriqués sur la base des énergies vertes. C’est une réelle opportunité pour le Maroc.
- C’est une opportunité pour le Maroc qui dispose de la ressource éolienne et solaire et peut combiner les deux pour produire de l’hydrogène vert et être capable de fabriquer de l’ammoniac et du méthanol.
- Le problème de l’eau qui est une contrainte pour la production de l’hydrogène est en train d’être résolu grâce aux stations de dessalement d’eau de mer.
- Les multinationales américaines, européennes ou encore israéliennes sont grandement intéressées par ces opportunités. Elles y croient plus que nous !
Nasma Jrondi, experte en développement durable, énergie et climat : «Nous avons besoin d’accéder à une énergie propre, locale et moins chère»
- Le coût de l’énergie électrique mérite un débat, car nous n’avons pas un problème d’approvisionnement. Nous achetons le charbon et les ressources fossiles très cher, cela impacte énormément les finances publiques et la balance commerciale.
- Nous sommes encore en voie de développement, nous avons besoin que cet argent public alloué à l’énergie soit redirigé vers des secteurs prioritaires pour le développement socioéconomique du pays. • Nous avons besoin d’accéder à une énergie propre, locale et moins chère. Cela permettrait de redresser les finances publiques et de revoir les prix pratiqués par l’ONEE aujourd’hui. • Plus le Maroc intègre des énergies renouvelables dans son mix énergétique, plus les retombées économiques, sociales et environnementales s’améliorent.
- Il faut s’orienter le plus tôt possible, à très court terme, vers plus de renouvelable dans le mix électrique. C’est primordial pour les citoyens, pour les entreprises et les finances publiques.
- Cela fait un moment que tous les experts du secteur demandent des Assises sur l’énergie, je pense qu’il est temps que les acteurs publics et privés se mettent autour de la table.
- Les Instituts de formation aux métiers des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique (IFMEREE) ont pris beaucoup de retard, celui d’Oujda est opérationnelle, celui de Tanger vient de commencer, il y a aussi celui d’Ouarzazate.
- L’ONEE, à titre d’exemple, a énormément investi dans le réseau, on a la chance au Maroc d’avoir un réseau électrique fiable qui couvre à peu près 99% du territoire. C’est un atout très considérable.
- Les investisseurs privés ont besoin d’être encouragés et d’avoir un cadre légal rassurant avec des incitations fiscales, etc.
- La question du taux d’intégration industrielle est importante, sur le solaire on n’est pas bons, mais on fait un peu mieux sur l’éolien.
- Il faut d’abord former les ressources humaines, les techniciens et les ingénieurs pour pouvoir monter en compétences.
- Je pense qu’il serait intéressant de poser la question de la séparation des activités de production, de distribution et de transport dans le secteur de l’électricité.
- Cette séparation, il faut en faire une force pour tirer profit des atouts de tous les opérateurs.