24 Novembre 2022 À 21:33
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Flambées des prix des produits énergétiques, décarbonation, changement géopolitique… sont autant de signaux d’alerte pour ne pas rater le virage que le monde est en train de négocier. Le Maroc a bien compris cela. «Sa Majesté le Roi vient de présider une réunion de travail consacrée aux énergies renouvelables, à leurs perspectives et aux fortes ambitions de notre pays sous l’impulsion des Décisions Royales visant à accélérer et accompagner le développement de ces énergies», souligne Mohammed Haitaimi, PDG du Groupe «Le Matin», lors d’une conférence sur le thème «Autoproduction électrique : comment accompagner les industriels à réussir leur transition énergétique ?», organisée hier à Casablanca par le Groupe «Le Matin». Aujourd’hui, le monde vit une bascule qui est extrêmement importante et très fortement symbolique. «Cette bascule, on la voit venir depuis longtemps. Les premiers explorateurs des premiers gisements de pétrole savaient dès le début que cette énergie était limitée. Aujourd'hui, on arrive au moment où on prend conscience de la vraie valeur de l'énergie. Nous étions dans un système où l'énergie n'était pas valorisée. C'est ce qui a créé cette extraordinaire inflation», estime Moundir Zniber, PDG de Gaia Energy, lors de cet événement du Cycle de Conférences du Groupe «Le Matin».
Bien entendu, avec les flambées des prix de presque toutes les matières, dont celles énergétiques, on peut percevoir l'importance et le rôle essentiel que vont jouer les énergies renouvelables. Il y a changement de paradigme. «On passe d’un concept d'énergie carbonée, une énergie qui est finie, qui est polluante, qui libère du carbone, qui est très nocive pour la planète, aux énergies renouvelables», note Zinber pour qui «le renouvelable est aujourd'hui la seule solution qui va permettre de réussir cette phase de transition. Mais est-ce la fin des énergies fossiles ?» Selon Zniber, la fin viendra un jour ou l’autre et la question à se poser est de savoir comment gérer cette fin. «Aujourd’hui, avec les changements géopolitiques et économiques, les pays n’arrivent pas à s’entendre et de ce fait chacun d’eux va devoir, d’une manière souveraine trouver ses propres sources d’approvisionnement localement». Pour Mohammed El Haouari, directeur du Pôle des Énergies renouvelables et de l'Efficacité énergétique à l’Agence marocaine pour l'efficacité énergétique (AMEE), il y a un tournant très important parce qu'effectivement les coûts des énergies renouvelables (EnR) ont diminué. «À partir de 2015-2016, ces prix ont commencé à chuter de façon extraordinaire et il fallait informer, sensibiliser, approcher le grand public, les industriels, le secteur du bâtiment… Maintenant, nous sommes dans une phase critique où tout le monde s'y met de force parce qu'il y a une hausse importante des prix des combustibles. Les prix de certaines énergies fossiles ont même été multipliés par dix. Ce qui n’est pas sans dégâts», ajoute El Haouari.
En France par exemple, le coût exorbitant de l’énergie menace de faillite plusieurs industriels, et ce en dépit des subventions de l’État. «Nous avons un potentiel extrêmement riche en matière d’énergies renouvelables et nous devons saisir les opportunités que représentent les 25.000 MW disponibles en éolien et 7.000 MW en solaire. Pour produire de l’électricité à partir des EnR, le Maroc est plutôt en avance et a de l'expérience», estime le directeur de l’AMEE. Selon ce dernier, si les industriels appliquent les mesures d'économie d'énergie, d'efficacité énergétique, ils peuvent couvrir jusqu'à 80% de la consommation énergétique pendant la journée. En effet, l’évolution technologique est très rapide permettant d’atteindre jusqu'à 20 ou 30% d'économies d'énergie pour les entreprises. Toutefois, certains industriels restent plutôt réticents et avancent l’argument des coûts d’installation qui seraient importants. Ceci sans oublier la conjoncture économique actuelle. Sur ce point, El Haouari estime : «on n’est plus dans le schéma des énergies renouvelables, avec des temps de retour qui sont longs. Aujourd’hui, le taux de retour est de trois à cinq ans avec une durée de vie de 25 ans. Ce qui est extrêmement intéressant sur le plan financier. Avec des équipements efficients d'énergie, le taux de retour peut être de 18 à 24 mois». Mais pour Slama Lmbirik, DG de NRGYL «dire qu’on arrive à réduire de 80% la consommation énergétique durant les heures pleines peut induire en erreur. Si on prend l’exemple d’un industriel qui travaille 24 h/24, au meilleur des cas les heures pleines ne dépassent pas 10, l’économie d’énergie sera autour de 25%. Nous avons tous entendu parler du projet “Wind” où le prix du kilowattheure est de 27 centimes. Mais la réalité est différente et cela frustre les industriels». Cette idée est partagée par Jalal Slaoui, directeur régional de développement commercial chez Huawei Fusion Solar. «L’industriel ne peut pas économiser 80% d’énergie, car il ne va pas consommer au fil du soleil ce qu’il produit», estime-t-il. Et d’ajouter que le tournant est arrivé en Europe, il y a une dizaine d’années et 7 ans au Maroc. «Ce tournant est la parité réseau. Lorsqu’on pouvait produire du renouvelable au prix du conventionnel on avait le choix. Aujourd’hui, on produit le renouvelable moins cher que le fossile. Cela a une économie d’énergie, une empreinte verte et cela permet d’être dans l'air du temps. Les systèmes de stockage aujourd’hui ont des prix très agressifs et permettent de produire, de stocker et de réduire la consommation aux heures de pic et rester sur des niveaux et coûts de production relativement bas par rapport au réseau», explique Slaoui. C’est un schéma qui peut avoir tout sens et avec un peu de temps, les industriels pourraient installer des panneaux solaires sur leurs toits. Mais, pour Slaoui, ce n’est plus une question de temps, mais de choix. «La compétitivité économique provient des économies de l’énergie. L’empreinte Carbone est devenue une caractéristique du produit compétitif», rappelle Slaoui.
Mais nos usines sont-elles aujourd’hui capables de faire sortir des produits décarbonés ? «Techniquement, on peut décarboner complètement l’industrie marocaine. Elle pourrait s’approvisionner totalement en énergie renouvelable. Cela est possible grâce à la loi 13-09 et en s’approvisionnant en moyenne et haute tensions auprès des développeurs. Les industriels peuvent aussi faire de l’autoproduction en équipant les toits de leurs usines en photovoltaïque», affirme Zniber. Pour ce dernier, si en théorie, la décarbonation de l’industrie est possible, dans la réalité, cela reste encore loin, car les lois sont là, mais les décrets d’application ne sont pas encore promulgués. Cela veut dire que les industriels veulent et sont obligés de décarboner pour exporter, mais sont bloqués par cette carence juridique. Ils veulent sécuriser l’approvisionnement en énergie, et ce au regard de la hausse des prix de cette dernière. Au Maroc, ils ont pu compter sur le fait que les prix de l’électricité n’ont pas été augmentés. Ce qui a causé des pertes de 30 milliards de DH à l’ONEE. Mais cette situation ne va-t-elle pas changer ? «Un industriel doit se projeter dans l’avenir et s’adosser à un développeur avec un contrat avec un prix kilowattheure qui ne changera pas pendant au moins dix ans», conseille Zniber.
Il faut bien reconnaître que la question du prix sera reléguée au deuxième rang. C’est la sécurité de l’approvisionnement en énergie qui va devenir vitale. Au Maroc, le potentiel en éolien et en solaire permet d’assurer cette sécurité. Mais, il faut une organisation et un système qui fonctionne. «Le problème réside dans la lutte intestinale que se livrent les institutions intervenant dans le secteur et qui ne laisse pas ce système émerger. Nous sommes très en retard», regrette le PDG de Gaia Energy. Au regard de ceci, il apparaît clair que l’absence d’un écosystème n’est pas du tout favorable à l’émergence des EnR. En effet, à part une petite niche dans l’agriculture, dans les autres secteurs ce manque est criant. En Espagne, il y a plus de 35.000 MW installés, et ce sur 12 ans. Et aujourd’hui, il y a une centaine de développeurs partout dans le pays. Ce qui fait dire à Zniber qu’il faut des installations dans toutes les régions du Maroc et ne plus se limiter à certaines. Et d’ajouter que les pays qui ont réussi ce sont ceux qui ont laissé le secteur privé investir. Le Brésil, par exemple, a mis en place une Bourse de l’énergie en direct ou le gouvernement formule ses besoins. Ensuite, les entreprises proposent leurs offres. Cette approche de libéralisation est partagée par El Haouari, qui estime toutefois que la configuration au Maroc n’est pas la même que dans ces pays.
ILS ONT DIT
Jalal Slaoui, directeur régional du développement commercial Afrique du Nord chez Huawei Fusion Solar
• Le tournant est arrivé en Europe, il y a une dizaine d’années, et au Maroc, il y a 7 ans. Il s’agit de la parité réseau. Lorsqu’on voulait produire du renouvelable au prix du conventionnel, on devait choisir entre les deux. Aujourd’hui, la question ne se pose plus, parce qu’on produit du renouvelable moins cher que le fossile.
• L’industriel ne peut pas économiser 80% du coût énergétique, parce qu’il ne va pas consommer au fil du soleil l’énergie produite par les panneaux solaires installés au niveau de son unité de production.
• Pour la parité réseau, les prix des systèmes de stockage sont aujourd’hui très agressifs. Ils permettent à la fois de produire, de stocker et de réduire la consommation durant les heures de pic. C’est juste une question de temps pour que tous les industriels mettent en place leurs propres structures photovoltaïques.
• Aujourd’hui, la compétitivité économique dépend du coût de l’énergie. Il faut donc avoir une énergie moins chère que le coût actuel pour être plus compétitif.
• Pour l’empreinte carbone, l’énergie propre devient une caractéristique de compétitivité sur les produits. Et donc, il faut l’avoir pour qu’on puisse vendre nos produits sur nos marchés et sur les marchés à l’export.
Mohammed Houari, directeur énergies renouvelables AMEE
• Le point de départ des énergies propres remonte à 2009 avec le lancement, par Décision Royale, d’une politique marocaine en matière de choix des stratégies énergétiques et pour opter pour les énergies renouvelables et pour l’efficacité énergétique. Cela étant, il y a encore des décrets et des choses à compléter.
• Le Maroc a fait le choix de prioriser l’économie verte, la technologie, l’approvisionnement énergétique renouvelable et l’exploitation des ressources locales.
• Concernant la production, en plus du solaire et de l’éolien, la part de l’hydraulique est très importante dans la production d’énergie électrique. Malheureusement, ces dernières années, il n’a pas été très performant, à cause du manque de précipitations et de la sécheresse.
• Pour la décarbonation, il y a une task force nationale pour mettre en place les outils en matière de calcul de son empreinte carbone, ainsi que pour faire un bilan carbone au sein des entreprises en vue d’avoir ce label et cette particularité de produire avec un faible taux d’émission de gaz à effet de serre. La task force comprend 5 acteurs nationaux publics et privés qui travaillent ensemble pour être préparés à cette décarbonation.
Slama Lmbirik, directeur général de NRGYL
• Une réduction de 80% de la consommation énergétique pendant les heures pleines peut quelque part induire en erreur. Prenons l’exemple d’un industriel qui fonctionne 24 h/24. Dans le meilleur des cas, les heures pleines ne vont pas dépasser 10 h, soit 40% du nombre d’heures de fonctionnement de l’industriel. Avec l’application des 80% de l’économie d’énergie, on va tourner autour de 25 et 30% par jour. Sur la facture énergétique, il n’y aura pas réellement de réduction de 80%, sauf si l’on décide de suivre la courbe du soleil et de ne fonctionner que pendant les heures d’ensoleillement.
• On a tous entendu parler du projet de 850 Wind dans lequel le prix du kilowatt était à 27 centimes. On a aussi entendu parler du Portugal où c’était à 11 centimes. Pour quelqu’un qui paye actuellement 1,20 DH lors des heures de pointe, si on lui parle d’un prix du kilowatt en centimes, ceci va certainement l’impressionner, mais la réalité est un peu différente et c’est ce qui frustre les industriels. • Pour quelqu’un qui paye 1 million de DH de facture d’énergie, une réduction de 10% ou de 12%, ce n’est pas quelque chose de négligeable.
• Sur l’autoconsommation, j’ai participé il y a une quinzaine d’années à l’exploitation du premier projet qui a été raccordé au réseau moyenne tension, mais c’était un cas particulier où j’étais à la fois producteur, distributeur, transporteur et client. Le réseau est installé au siège de la direction de l’électrification rurale de l’électricité à l’ONEE. Certes, ce cas est très difficilement reproductible, mais il a le mérite d’exister. On arrivait à exporter sur mon réseau de l’ONEE l’excédent pendant les weekends où il n’y avait pas beaucoup de consommation au niveau des bâtiments.
• Le dispositif de «réseau moyenne tension» peut inspirer beaucoup d’industriels qui se sont lancés dans l’autoproduction. Il faut toutefois savoir que ça ne va pas être la réduction totale et l'atteinte d'économies importantes, mais il faut reconnaître qu’il y a quand même des économies derrière.
Moundir Zniber, président-directeur général de Gaia Energy
• Nous avons plus de 90% des industriels en termes de consommation et non pas en termes de nombre. 37 sont connectés en haute tension, alors que nous avons des dizaines de milliers d’autres qui sont connectés en moyenne tension.
• Les industriels connectés en moyenne tension ont mieux profité de la loi 13-09. Ils achètent de l’électricité qui n’est pas chère et qui est en renouvelable jusqu’à 90%.
• L’enjeu aujourd’hui c’est tout le reste de l’écosystème industriel qui ne peut pas s’approvisionner en électricité propre.
• Au sein de Gaïa Energy, nous avons créé une division qui s’appelle «Gaïa rooftop» dont le but est d’accompagner les propositions des solutions industrielles. On est déjà en discussion avec une centaine d’industriels différents qui ont tous des enjeux et des problématiques différents auxquels on doit pouvoir donner des solutions concrètes.
• Le premier problème est l’investissement : un industriel disposant d’une toiture de 10.000 mètres carrés avec une facture énergétique d’un million de DH et qui souhaite installer du solaire. Ceci va lui permettre de couvrir 25% de ses besoins énergétiques. Pour cet industriel, le fait d’investir 20 millions de DH sur sa toiture est une décision pas du tout facile, d’autant plus qu’il n’y a pas d’encouragements et de subventions dans ce sens.
• La solution la plus simple pour pallier ce problème consiste à recourir à des développeurs qui ont levé le financement. Ce type de financement est très difficile à lever, dans la mesure où on n’a pas vraiment cette vision de l’industriel qui peut se projeter sur le long terme.
• Pour pouvoir penser et fonctionner ‘’renouvelable’’, il faut être en mesure de penser que l’on va s’engager sur la longue durée. • La durée d’amortissement d’une toiture scolaire est de 6 à 7 ans au minimum, si l’industriel l’achète lui-même. Mais s’il fait appel à un développeur qui va l’installer pour lui, l’amortissement passe à 10 ans au minimum. L’industriel doit donc s’engager sur le long terme pour avoir un prix intéressant. Ces solutions existent, mais il faudrait qu’elles se dupliquent.