Économie

Encore des défis à relever pour dynamiser l'entrepreneuriat social

Répondre à des problématiques sociales tout en garantissant une rentabilité financière à l’entreprise. Cette adéquation qui paraît difficile est au cœur même de l’entrepreneuriat social qui séduit davantage les jeunes désireux de s’impliquer dans une économie sociale et solidaire. À ce double défi s’ajoutent d’autres problématiques qui ralentissent l’éclosion d’un écosystème parallèle à celui de l’entrepreneuriat qui prend en compte la particularité de l’entreprise sociale et solidaire. Il s’agit notamment de blocages psychologiques, de l’absence d’un statut juridique clair, d’insuffisances de financements ou encore de l’épineux problème de l’accompagnement.

L’amélioration qualitative des programmes d’accompagnement et d’incubation reste une exigence majeure pour favoriser le développement des entreprises sociales.

10 Octobre 2022 À 18:27

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Par définition, l’entrepreneuriat social est un projet de création de valeurs sociale et économique. L’économique étant au service de la finalité de l’intérêt collectif. Les jeunes, acteurs clés d’un développement inclusif et durable, sont appelés à s’inscrire dans cette dynamique en vue de répondre aux différents besoins sociaux du pays.

L’entrepreneuriat social, en tant que vecteur du développement socio-économique des communautés, permet de voir des opportunités dans les problématiques auxquelles font face les catégories défavorisées, qui forment la base de la pyramide sociale, et d’apporter des solutions à fort impact pour améliorer leurs conditions de vie. Il s’agit de réfléchir aux moyens d’inventer de nouveaux business models et de faire usage des technologies existantes pour répondre aux besoins de ces communautés. «L’entreprise sociale traite simultanément des besoins sociaux tout en créant de la croissance économique, de l’emploi et de la valeur ajoutée. Elle se fixe comme mission de créer un impact social positif dans sa région», précise Adnane Addioui, président du Centre marocain pour l’innovation et l’entrepreneuriat social (MCISE).

Si une certaine forme de l’entrepreneuriat social a toujours existé au Maroc du fait de l’esprit solidaire et du travail collectif qui font partie de la culture et des traditions marocaines, son institutionnalisation est assez récente. «Nous avons constaté ces dernières années la multitude des programmes lancés pour soutenir l’entrepreneuriat dans tous ses genres (Initiative nationale pour le développement humain – INDH, Intelaka, Forsa, Innov Invest..) ainsi que plusieurs programmes privés. Cependant, ces derniers n’ont pas de focus particulier sur les questions d’impact ou d’entrepreneuriat social», souligne M. Addioui. Citons à cet égard un récent Policy Paper sur les enjeux et perspectives de développement de l’entrepreneuriat social au Maroc, en Algérie et en Tunisie, réalisé en partenariat avec Unesco Maghreb, le MCISE. Ce dernier a soulevé d’importantes problématiques qui empêchent la promotion de cette forme d’entrepreneuriat. «L’absence d’un statut juridique clair qui représente fidèlement l’entreprise sociale : une nouvelle ancienne entrave qui ne cesse de réapparaître en tête de liste des défis relevés par les acteurs de l’entrepreneuriat sociaux», constate le rapport. Et de conclure que l’entrepreneuriat social reste dérisoirement abordé avec des textes ne reflétant pas la réalité du terrain.

Et ce malgré l’existence des lois régissant le secteur d’économie sociale et solidaire. L’étude soulève également les insuffisances au niveau des financements et notamment le manque de structures d’investissement dans les secteurs vitaux, et de l’absence de mécanismes de financement appropriés qui tiennent compte de la particularité des projets à caractère social.r>À cela s’ajoutent les défis d’ordre humain et culturel que l’étude résume en trois points : le manque de sensibilisation des parties prenantes, notamment les bailleurs de fonds, à l’efficacité de cette approche qui consiste à apporter des solutions innovantes et entrepreneuriales à des problèmes de société. En lien avec cet enjeu, Youssef Chakroun, CEO de Shems For Lighting, remarque que «Nous n’avons pas réellement besoin de plus d’entrepreneurs sociaux (au sens de personnes qui créent des organisations), mais plutôt de dirigeants capables de créer et de gérer des organisations. C’est un gros problème dans l’espace de l’entreprise sociale».

Vient après le nombre encore limité de success-stories et de champions nationaux. Et même si elles existent, elles ne sont pas suffisamment mises en valeur. «La valorisation de ces cas permet de maintenir un bon niveau de motivation en période de crise et cultive l’espoir chez les entrepreneurs sociaux en difficultés», note le rapport. Il existe enfin l’enjeu lié au manque de talents et d’expertise locale. «Il est difficile de trouver les bons profils et la bonne expertise locale notamment pour les secteurs pointus. Ceci est généralement dû soit à la fuite de cerveaux vers des contextes plus favorables sur le plan professionnel et scientifique, soit à la lenteur du développement de ces secteurs dans les pays en question», indique le policy paper.

L’accompagnement au développement de l’entreprise sociale reste à ce jour marginal. De ce fait, ce type de structures ne crée pas suffisamment d’emplois et ne participe pas efficacement au développement des régions. Tous ces enjeux sont importants à prendre en compte et des solutions rapides et efficaces sont à apporter pour permettre à l’entrepreneuriat social de prendre la place qui lui revient comme composante fondamentale de l’économie sociale et solidaire. L’amélioration qualitative des programmes d’accompagnement et d’incubation reste une exigence majeure pour favoriser le développement des entreprises sociales capables de relever les défis et de contribuer à favoriser plus d’inclusion économique, sociale et financière. 

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Cartographie des offres d’accompagnement pour les entrepreneurs sociaux

Pour tenter d’organiser l’écosystème d’accompagnement des entrepreneurs sociaux, il est fondamental que les pouvoirs publics concernés, entre autres les Centres régionaux d’investissement, élaborent une cartographie, aussi exhaustive que possible, des offres d’accompagnement disponibles pour procéder à leur mutualisation, leur rationalisation et leur accélération. C’est ce que proposent Benhaddouch Meryem, chercheuse en Science de gestion, et El Fathaoui Habib, professeur habilité à la Faculté des sciences juridiques économiques et sociales Aït Melloul, dans leur étude intitulée «Les stratégies de développement de l’entrepreneuriat social au Maroc» publiée en avril dernier dans la «Revue internationale des sciences de gestion». Pour cela, le rapport note que l’élaboration d’un maillage des réseaux de partenaires qualifiés dans le cadre de leur responsabilité sociétale s’impose pour le soutien des porteurs de projets ciblés. L’accompagnement ne doit pas être limité au stade de la création, mais il doit être étendu à la phase de post-création. Des évaluations périodiques devraient avoir lieu pour le suivi des réalisations, afin d’apporter les mesures correctives nécessaires au cours de la post-création

 

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L’Info en Face avec le président d’Edukaskills Solidarity Foundation

Driss Rhafes : «Les conditions sont aujourd’hui favorables pour faire progresser l’entrepreneuriat social»

L’écosystème entrepreneurial permet, aujourd’hui, d’encourager les jeunes, quelle que soit leur situation socio-économique, à s’embarquer dans l’aventure entrepreneuriale. Toutefois, des efforts restent à faire pour créer une vraie dynamique entrepreneuriale à fort impact.

Le Matin : Parlez-nous de votre parcours...

Youssef Chakroun : Cela faisait des années que nous évoquions régulièrement le sujet de l’accès à l’électricité. Des années qu’on essayait de l’appliquer au mieux, mais avec nos propres moyens. Les solutions de la communauté, à cette époque d’étudiant en école d’ingénierie, ont provoqué un vrai déclic chez nous. Nous avons aussi pris conscience que l’usage de la lumière comme besoin basique n’était pas pris comme acquis au Maroc, mais aussi en Afrique. En souhaitant mieux inclure une partie de la population, on créait une sorte d’exclusion auprès d’une autre.

On aurait pu adopter des directives externes, mais pour l’instant il ne semble pas y avoir de consensus sur la meilleure façon de faire. Il y a plusieurs alternatives, chacune ayant des avantages et des inconvénients. Il fallait donc faire des choix. C’est pour cette raison que l’entrepreneur social est généralement défini comme un entrepreneur qui privilégie des objectifs sociaux sur des objectifs directement lucratifs. L’espace de l’entreprise sociale pourrait être moins limité par des personnes qui ont des idées et qui souhaitent créer des entreprises, et davantage par des personnes qui ont réellement les compétences nécessaires pour gérer et faire évoluer ces entreprises. Donc, développer ces compétences dès le début pourrait être très précieux.r>L’un des sujets dont je parle beaucoup en ce moment est que nous n’avons pas réellement besoin de plus d’entrepreneurs sociaux (au sens de personnes qui créent des organisations), mais plutôt de dirigeants capables de créer et de gérer des organisations. C’est un gros problème dans l’espace de l’entreprise sociale.

Quel est votre projet et quel est son impact social ?

Des lampes solaires respectueuses de l’environnement sont produites et proposées à la vente par Shems For Lighting. En voulant innover et garder un aspect «clean» à nos produits, nous avons intégré les potiers de la ville de Safi, pour rester cohérents avec nos valeurs et engagements. Nous fournissons des options d’éclairage utilisant des lampes avec une autonomie de 10 à 12 heures aux agriculteurs et pêcheurs au Maroc et dans d’autres pays d’Afrique ainsi qu’aux familles sans accès à l’électricité. Nous proposons également des solutions pour tous ceux qui recherchent des articles de décoration d’intérieur fabriqués à la main. Notre impact n’est pas forcément mesurable dans le sens où nous travaillons avec des cibles différentes avec le même besoin. Une lumière qui leur facilite la vie. L’inclusion fait partie de nos valeurs, à tous les niveaux.

Elle fait même partie de notre mission. 15.000 lampes ont été produites pour éclairer des pays comme le Sénégal, la Gambie et aussi le Maroc. Une communauté donc très diverse, auprès de laquelle on essaie de communiquer de manière inclusive depuis plusieurs années. Nous avons contribué à illuminer des centaines de maisons, 4 écoles en milieu rural, mais aussi 2 centres de santé. Nous offrons aussi un produit pour les pêcheurs traditionnels, qui consiste à améliorer leurs conditions de travail sur les barques, 250 barques ont déjà bénéficié de notre offre et nous prévoyons d’atteindre 600 autres. Bien sûr, pour augmenter notre impact, notre communauté doit s’agrandir, notamment avec la sensibilisation de plus de 600 personnes sous forme de workshops sur le thème de l’utilisation des lampes solaire et leur rôle pour préserver l’environnement.

Dans ce sens, Shems For Lighting va montrer l’unité contre la menace environnementale à travers sa participation future à l’éclairage des pyramides en Égypte, mais aussi pendant l’Open cérémonie de la Coupe du monde. Ces actions sont possibles grâce à une équipe qui tient la parité à cœur. L’équipe a toujours été assez mixte. Dans certaines périodes, les hommes étaient plus nombreux ; dans d’autres, les femmes plus nombreuses, de manière naturelle. Aujourd’hui, nous comptons dans notre équipe plus de 34 employés, dont 40% de femmes actives.

Le projet a-t-il bénéficié d’un accompagnement ? En quoi cet accompagnement vous a-t-il été utile ?

L’univers de l’accompagnement est caractérisé par une grande diversité au niveau des acteurs, avec des structures dédiées, mais aussi des programmes. Grâce à ces programmes, l’entrepreneur peut planifier son projet en fonction des nombreuses étapes de son développement. Le chef d’entreprise reçoit les outils de cette organisation pour démarrer le projet avec succès. Ces différentes procédures, qui doivent être soigneusement planifiées et suivies, améliorent considérablement les chances de survie des nouvelles entreprises, telles que les startups. Durant notre modeste parcours qui a commencé comme idée de projet au sein d’Enactus Morocco qui nous a permis d’intégrer l’univers de l’entrepreneuriat social et de prototyper la première version du produit. Ensuite, nous avons pu intégrer le programme Orange corner avec le Centre marocain pour l’innovation et l’entrepreneuriat social (MCISE) pendant la phase d’accélération. Durant cette étape d’incubation technique, nous avons bénéficié de financement, qui a représenté un grand boost à notre projet. Shems For Lighting ne se compose pas que d’une idée et d’un financement, le networking joue aussi un rôle primordial.

Avec U-Founders qui est rattaché à l’Université Mohammed VI Polytechnique, nous avons eu l’occasion de rencontrer des investisseurs et d’optimiser notre stratégie future. Notre participation à l’émission «qui va investir dans mon projet», qui avait comme objectif de promouvoir notre solution ambitieuse et la recherche de mentor a boosté nos ventes et nous a fait gagner en visibilité. En prenant en compte tous ses éléments, bien qu’ils soient très utiles, un entrepreneur social ne doit jamais cesser de développer ses compétences techniques aussi. Nous investissons en nous-mêmes à travers un programme d’entrepreneuriat autour des énergies renouvelables, qui est une collaboration entre HEC Paris, l’École Polytechnique Executive Education et l’Université Mohammed VI Polytechnique. Il permet d’acquérir une double expertise en ingénierie & entrepreneuriat sur le marché de l’énergie, dans un contexte de transition énergétique. 

 

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