Culture

Faouzi Skali : «Notre objectif est de rendre le patrimoine soufi accessible »

Le Festival de Fès de la Culture soufie revient, du 22 au 29 octobre, dans sa 15e édition, sous l’intitulé «Science et conscience». Depuis sa création, ce voyage à la découverte du patrimoine soufi, dans ses différentes expressions, ne manque pas d’attirer de plus en plus de fidèles à cet événement, devenu incontournable dans le paysage des manifestations culturelles. Notre entretien avec le président du Festival, Faouzi Skali, nous éclaire davantage sur l’intérêt de cet événement et l’importance de la thématique de cette année qui se veut un rapprochement concret entre science et spiritualité.

Faouzi Skali, président du Festival de Fès de la Culture Soufie

19 Octobre 2022 À 14:51

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Le Matin : La thématique de cette année a un rapport avec la citation de Rabelais qui disait : «Science sans conscience n’est que ruine de l’âme», signifiant que la science doit être soumise à la moralité pour éviter les débordements. Comment peut-on faire la relation entre la signification de ce proverbe et les enseignements soufis ?r>Faouzi Skali : La question de la relation de la science à l’éthique s’est toujours posée, car la science tente de répondre aux questions du «comment», elle s’interroge sur les modalités de fonctionnement des choses et non pas sur leur finalité qui relève, elle, d’un certain choix de valeurs.r>Mais ce dont il s’agit ici va plus loin qu’un aspect moral ou éthique. Il s’agit d’un niveau de conscience qui est en lui-même celui d’une connaissance spirituelle. Deux formes de sciences se conjuguent alors d’une certaine façon, une science rationnelle et une autre qui relève d’une forme de connaissance de soi et de sagesse. La puissance aveugle de la science a besoin, dans ses applications, de la lucidité de la sagesse qui est souvent impuissante. Un domaine où cela se manifeste aujourd’hui est l’émergence de l’intérêt pour les neurosciences et d’une façon plus spécifique pour ce qu’il est convenu d’appeler les neurosagesses. Une telle réflexion ouverte au sein du Festival vise aussi à mieux souligner les convergences qui peuvent exister, dans certains domaines, entre science et spiritualité. C’est là une version actuelle d’un débat qui a traversé nos civilisations : celui du rapport entre foi et raison. C’est le fameux débat qui a marqué l’histoire de la civilisation musulmane entre Ghazali, Averroès et Ibn Arabi.

Pour cette 15e édition, vous prévoyez une programmation très riche et aussi diversifiée qui dénote d’un rayonnement éclatant du festival. Pensez-vous que cet événement est arrivé à réaliser les objectifs tracés lors de sa création ?r>L’association entre une réflexion vivante en mouvement et une certaine forme de management ou si l’on préfère d’ingénierie culturelle est au cœur d’une telle entreprise qui vise à transmettre un patrimoine d’une très grande richesse et diversité et qui se situe au cœur de notre histoire et de notre mémoire marocaines. Ce patrimoine existe, la question aujourd’hui est de le rendre accessible et de le fructifier en le mettant en perspective avec des questions essentielles de notre époque. C’est toute la différence avec une attitude passéiste qui consiste à se réfugier dans le passé et une attitude créative qui cherche à faire venir ce patrimoine à nous, à le transmettre largement par une communication appropriée et à en faire une source d’inspiration pour notre intelligence collective.

Comment peut-on faire aimer cette culture soufie à notre jeune génération ?r>Cette question est en résonance avec celle que nous venons d’évoquer. Il s’agit pour cela d’adopter une pédagogie qui fasse ressortir ces ressources culturelles et d’en transmettre l’esprit et le contenu. Cette année, une table ronde sera dédiée à l’initiation de la jeunesse à la richesse de ces enseignements spirituels, et cela va jusqu’au préscolaire. Il faut dire que depuis des siècles le soufisme a su créer des formes de transmission particulièrement efficientes telles que les contes et récits, les aphorismes, l’art et la poésie. Avec le génie de transmettre cette culture spirituelle, comme on le voit au Festival, sous la forme de créations artistiques et de concerts spirituels (samaâ). À propos de la transmission par l’art, cette édition sera l’occasion de découvrir l’œuvre magnifique de l’artiste Louise Cara, conçue spécifiquement pour le Festival et dédiée à la symbolique des manteaux (burda ou khirqa) dans la culture soufie. Cette exposition voyagera ensuite à travers le monde.r>L’aspect pédagogique est aussi au cœur des Masterclass qui ont lieu chaque semaine par visio-conférence et dont le but est de créer une bibliothèque vivante de ce patrimoine soufi et d’en assurer la transmission. Ces Masterclass sont pour le moment dédiées à un public plutôt adulte, mais la réflexion avec Madame Amal Kadiri, qui développe de nombreuses initiatives innovantes autour du préscolaire depuis de nombreuses années (le projet «Boudour») est avancée pour les adapter aux plus jeunes générations.

Dans ce monde où la technologie n’a plus de limite, comment ces enseignements soufis peuvent-ils avoir un impact sur les populations d’aujourd’hui ?r>Sans spiritualité, la pente des NTIC actuelle nous amène d’une façon certaine vers le remplacement pur et simple de notre humanité par une post-humanité supposée supérieure et plus performante. C’est le projet prométhéen le plus fou conçu par l’humanité jusqu’à présent. Mais aussi la forme de dictature la plus performante qui soit, car elle s’impose d’une façon fluide et silencieuse. Elle induit sans débats, ni choix, la plus efficace des servitudes volontaires, pour reprendre l’expression de la Boétie. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre les NTIC, mais d’insérer ces technologies comme des moyens et non comme des fins dans le projet civilisationnel d’un nouvel humanisme qui cette fois-ci sera spirituel. De ce point de vue, les sagesses et spiritualités du monde ont un rôle essentiel à jouer.

Quels genres de difficultés peut rencontrer l’organisation d’un festival de ce type ?r>Un Festival avec une telle ampleur rencontre chaque année de nombreuses difficultés et toute la question est d’essayer de les surmonter. C’est une chose d’être dans un domaine de recherche propre qui nous implique à titre personnel. C’en est une autre que de vouloir amener toutes ces richesses dans le domaine et l’agora publics. Cependant, nous avons besoin, pour que tout cela apporte des fruits dans le temps, de partenariats stables et durables qui comprennent que rien n’est possible sans l’émergence d’un environnement de culture. De ce point de vue, j’aimerais tout particulièrement remercier cette année le ministère de la Culture en la personne du ministre Bensaid qui a pris à mon sens, dès son arrivée aux responsabilités, la pleine mesure, pour notre pays, de cet enjeu patrimonial.

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