24 Mars 2022 À 17:28
2022 ne sera pas une année de relance, mais de gestion de la reprise face à de fortes incertitudes. Dans ce contexte international inédit, la priorité de l’État serait d’assurer, à court terme, de la résilience et, à long terme, de la souveraineté économique. C’est ce qui ressort des déclarations de Abdelghani Youmni, l'invité de «L'Info en Face» mercredi 23 mars. Selon cet économiste et spécialiste des politiques publiques, après une phase de mondialisation croissante, les dernières années ont fait basculer les pays dans un nouveau monde économique. Ce dernier nécessite désormais de nouveaux outils et modèles de développement. La crise de la Covid-19 déjà a montré les dérives de la forte dépendance économique du Maroc dans certains secteurs critiques. Aujourd’hui, le conflit russo-ukrainien et ses conséquences sur les produits de base, particulièrement l’énergie et les produits alimentaires, accroissent davantage la pression sur l'approvisionnement en produits stratégiques. Selon Abdelghani Youmni, à court terme, les défis portent sur l’anticipation, le stockage et la diversification des approvisionnements.
«Le stockage est une mesure stratégique aujourd’hui aussi bien sur le plan national qu’au niveau des entreprises pour assurer leurs autonomie et souveraineté», a-t-il souligné. Sur le plus long terme, l'invité de «L'Info en Face» réclame d’accélérer les stratégies qui portent sur des secteurs clés, dont les énergies renouvelables dont l’objectif du Royaume est d’atteindre une part de plus de 52% dans le mix électrique afin de garantir sa souveraineté énergétique. S’ajoute le renforcement du made in Morocco, pour réduire les importations. «Aujourd’hui, nous avons une inflation importée, via notamment l’énergie. Certes, il faudra augmenter les stocks, mais en même temps se poser des questions sur la raffinerie.
Car quand vous importez des produits finis de carburants, l’inflation est plus élevée. Avec une raffinerie, elle le sera moindre. Mieux encore, l’économie profitera des produits dérivés et de l’emploi et donc d’une valeur ajoutée locale», estime Abdelghani Youmni. À ses yeux, l’inflation importée à travers l'énergie impacte le coût du transport et de production. Cela se transforme, ensuite, à une inflation alimentaire qui affaiblit à son tour le pouvoir d’achat. À ce sujet, le spécialiste des politiques publiques appuie la décision de la banque centrale. «Si Bank Al-Maghrib a décidé de maintenir inchangé le taux directeur c’est pour soutenir l’activité économique, le secteur privé et les ménages, dans un environnement international défavorable», a-t-il expliqué.
Selon l'économiste, les investissements publics et privés se chiffrent respectivement à environ 280 milliards et 70 milliards de DH. Ces programmes d’investissements doivent ainsi profiter d’un taux d’intérêt convenable, pour que la reprise économique puisse se poursuivre. De plus, les pays qui augmentent généralement le taux d’intérêt pour freiner l’inflation ont des monnaies convertibles. «La nôtre n’est pas convertible à 100%, car elle a un flottement géré», a-t-il précisé. En outre, Bank Al-Maghrib table sur le retour de l’inflation à des niveaux modérés en 2023. «Selon mes calculs, le taux d’inflation moyen sur plus de 60 ans est de 4,2%. Le Maroc n’est donc pas un pays inflationniste», soutient-il. Si Abdelghani Youmni appuie la décision du Conseil de BAM pour le soutien de l’économie, il appelle les pouvoirs publics à actionner tous les moyens visant à protéger le pouvoir d’achat des Marocains, particulièrement les personnes les plus vulnérables. À commencer par les produits énergétiques. À ce sujet, Abdelghani Youmni préconise au gouvernement d’instaurer une taxe flottante sur le carburant, à la hausse ou à la baisse selon l’évolution des cours à l’international. La protection sociale c’est d’abord la dignité et la protection du pouvoir d’achat des gens les plus vulnérables.
«Le citoyen est actionnaire de l’État. Les ménages ont besoin de confiance pour pouvoir consommer. Plus de consommation veut dire aussi plus de recettes pour l’État», détaille l’économiste. Pour les autres produits, alimentaires en particulier, il recommande de durcir le contrôle sur la spéculation en période de crise, tout en réduisant le trajet entre le producteur et le consommateur. Abdelghani Youmni salue, par ailleurs, la décision du gouvernement de libérer 15 milliards de DH supplémentaires (sans loi de finances rectificative ni gel d’investissements) pour préserver le pouvoir d’achat des citoyens face aux hausses des prix. Cet effort nécessitera, néanmoins, de mobiliser des recettes additionnelles. Selon le spécialiste des politiques publiques, l’activation du projet d’emprunt obligataire national, annoncé en 2021 par l’ancien ministre Mohammed Benchaaboun, est l’une des options pour lever des fonds à travers la participation des banques et entreprises financièrement solides. Une nouvelle sortie à l’international n’est pas à écarter, d'autant que le Maroc reste un pays très peu endetté à l’extérieur et que le niveau de la dette publique reste soutenable.