03 Avril 2022 À 14:19
L'Académie du Royaume du Maroc a organisé récemment deux journées de réflexion autour de la création d'une chaire des littératures et des arts africains. Une chaire conçue pour accélérer le décloisonnement des frontières linguistiques et pour soutenir diverses disciplines artistiques et traditions mettant en valeur les cultures africaines.
Le projet de cette chaire a été initié par le professeur Abdeljalil Lahjomri, Secrétaire perpétuel de l'Académie du Royaume du Maroc et Directeur du collège Royal. Son horizon de pensée visait la mise en valeur et l'exposition du patrimoine littéraire et culturel de notre continent. Des doctorants bénéficieront des savoirs qui seront déployés dans le cadre de la chaire, afin d’offrir à la recherche et aux universitaires du pays et à ceux des pays avec lesquels l’Académie nouerait un partenariat éducatif permanent et performant un espace de coopération et d’échange.
La mobilisation des savoirs littéraires concerne les écrivains, les universitaires, les éditeurs, les agents littéraires, les journalistes et tout opérateur impliqué dans la chaîne du livre. Il s’agira aussi de mettre en évidence les littératures orales et les déclinaisons qui renversent le sens que l’on accorde généralement à la production de la chose littéraire en prenant en compte l’oralité, capitale en Afrique, et les acquis et manifestations spécifiques des cultures africaines dans ce domaine.
Présentée ainsi, la chaire des lettres africaines invite à repenser et à redéployer un plus large appareil de recension, de réception et de transmission, car il est capital de requalifier les modes de production, de définition et d’interprétation des littératures africaines. Il s’agit essentiellement de montrer une richesse qui a besoin d’un inventaire, à la fois sur la carte du temps (la chronologie), sur la carte du tendre (la sensibilité) et sur la carte des différents registres, écoles ou genres qui permettraient d’exposer le patrimoine littéraire africain non plus uniquement selon les territoires d’expression (découpage colonial) ou selon les aires linguistiques (héritages découlant des seules langues internationales de première catégorie), mais en décloisonnant et en tenant compte des langues africaines et des traditions orales.
L’Afrique, reprenant en main sa propre position et ses propres modalités de recension, de réception et de transmission, s’ouvre un champ plus large dans la capacité à produire du sens et à redéployer une expertise inédite mais dormante, car non activée jusqu’à présent. C’est pour cela que la spécificité de cette Chaire en fait un outil original, jamais déployée, pour deux raisons pour faire simple : rapatrier le patrimoine littéraire africain (comme l’a dit le Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume du Maroc) et offrir aux étudiants africains un horizon décloisonné des savoirs littéraires africains dans leur ensemble.
Le brillant et tonitruant écrivain kenyan Ngugi wa Thiong'o raconte douloureusement, dans son livre Décoloniser l’esprit (La fabrique éditions, 2011), la controverse qui naquit lors d’un « colloque des écrivains africains » organisé en 1962 à l’université de Makerere (Kenya). Elle portait sur ce constat étrange : les écrivains africains n’écrivaient pas dans les langues africaines. Lors de cette réunion des écrivains anglophones à laquelle fait référence Ngugi, la controverse dissimulait un paradoxe dans l’intitulé même de la conférence : « Conférence des écrivains africains de langue anglaise ». Ce libellé « excluait d’emblée les auteurs de langues africaines », déplore Ngugi. Nous ne sommes pas sortis de ce malheureux constat soixante ans plus tard et c’est pour cela que le professeur Lahjomri dans son livre Le Maroc des heures françaises mettait en évidence la construction d’images négatives de l’Afrique par une littérature orientée pour réduire, et qui correspondait à une politique d’effacement des identités remarquables en Afrique pour mieux soumettre cette dernière.
La Chaire des littératures africaines doit donc être vue comme un temps de refondation dont Rabat et l’Académie du Royaume du Maroc sont le siège. L’action qui y sera menée avec Eugène Ebodé, Rabiaa Marhouch, le professeur Abderrahman Tenkoul, le comité de suivi de la refondation et de la mobilisation des artistes et acteurs culturels africains, dans la partie artistique appelée Espace Togouna (aux Oudayas), donne un continuum didactique qui inclut un volet académique et universitaire (sur le site de l’Académie du Royaume) et un volet consacré aux arts africains (sur l’esplanade du Sémaphore). Bien entendu, les universitaires mobilisés seront de toutes origines et seules la qualité scientifique, pédagogique et celle des savoirs à transmettre seront les critères de réception. Le décloisonnement doit en effet s’incarner dans l’action et comme le pense le professeur Abdeljalil Lahjomri, « le moment est venu de décloisonner les esprits ».
Un ambitieux projet académique et artistique est né à Rabat
« Décloisonner les esprits », c’est sous ce thème que le professeur Lahjomri veut que la participation d’écrivains et d’universitaires de renom soit la marque de fabrique de l’excellence africaine à l’Académie du Royaume du Maroc. C’est sur cet appel qu’il vient de lancer à Rabat, la création d’une prestigieuse Chaire consacrée à l’enseignement, à la promotion et à l’exposition des lettres africaines et des arts du continent après un séminaire de réflexion qui, l’histoire le dira, fera date.
Étaient présents du 26 au 27 mars 2022 à l’Académie du Royaume : le professeur Abdeljalil Lahjomri, Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume du Maroc, Eugène Ebodé (écrivain et universitaire camerounais, président du prix littéraire William Sassine), Jean-Noël Pancrazi (écrivain, juré Renaudot), Éric-Joël Bekalé (ambassadeur chargé de la culture à la présidence du Gabon, il était en distanciel), James Cohen (professeur des universités à La Sorbonne), Lopito (écrivain et universitaire angolais), Mathurin Ovono Ebé (universitaire gabonais spécialiste de la littérature équato-guinéenne), Abderrahman Tenkoul (doyen de la faculté de Fès), Prosper Abega (Juriste, musicien et universitaire camerounais), Karen Ferreira-Meyers (universitaire swazilandaise), Rabiaa Marhouch (écrivaine, éditrice et universitaire marocaine), Oumar Diallo (éditeur basé à Barcelone, hispanophone sénégalais), Jalila Cherjaoui (universitaire marocaine), Pierre Adimi (universitaire béninois), Saloua Soumati (doctorante en droit public et sciences politiques), Noura El Fassi El Halfaoui (doctorante en Lettres et sciences humaines), le professeur Bachir Tamer (Collège Royal) et le professeur et historien Abdel Kotari (Académie du Royaume du Maroc).
En ces temps d’incertitudes, il est temps, estime le professeur Abdeljalil Lahjomri, que les lettres africaines et les symphonies inspirantes reviennent au premier plan. Comme disait le président Ahmadou Ahidjo — dont on commémore le centenaire de la naissance cette année — : « Il y en a qui écrivent l’Histoire avec des gommages, et d’autres avec des visages ». Avec cette Chaire soucieuse d’exposer toutes les figures africaines des lettres et des arts, l’Académie du Royaume du Maroc en offre une solide illustration, tout « en posant comme principe le dépassement des frontières linguistiques et des cloisons issues d’un ancien monde », insiste le Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume du Maroc et Directeur du Collège royal.
Dans une tribune conjointe, l’écrivaine marocaine Rabiaa Marhouch et l’écrivain camerounais Eugène Ebodé précisent que « dans le jeu de la consécration-désacralisation organisé par la médiatisation occidentale, on ne retient souvent de la littérature africaine que ses “grandes gueules”, ses réfractaires ou ses rebelles qui usent de la langue écrite comme d’un feu vengeur, brûlant tout, y compris ses propres vaisseaux. Il faudra donc, à partir de la chaire des littératures africaines, oser tout reprendre pour mieux entreprendre. Il faudra aussi, dans une telle optique, faire en sorte que la littérature ne se définisse pas uniquement comme la scansion des maux et des travers des sociétés africaines ou comme un champ de bataille d’identités malheureuses, mais comme le lieu qui donne du pouvoir aux mots et de l’amplitude aux imaginaires pour dépasser les clivages d’hier et tous les enfermements ».
Le lancement des activités de cette Chaire académique et artistique d’un nouveau type aura lieu à Rabat du 16 au 20 mai 2022 avec un programme sur lequel travaillent Dr Eugène Ebodé, administrateur de la Chaire des littératures et des arts africains, et Dr Rabiaa Marhouch, directrice de la programmation et de la communication de la Chaire, sous l’inspiration du Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume du Maroc. Ce programme s’annonce déjà plein de surprises et il est articulé autour de grandes figures des littératures et de la musique africaines qui entendent donner le ton à une démarche refondatrice de dimension continentale et internationale. Un hommage tout particulier, tient à souligner le Secrétaire perpétuel, sera rendu à l’écrivain malien Yambo Ouologuem (22 août 1940 – 14 octobre 2017).
Le Maroc invité d’honneur de la 14e édition du Salon du livre de Conakry
Le Maroc est l’invité d’honneur du Salon du livre de Conakry, « Les 72 heures du livre », une manifestation de renommée internationale qui aura lieu du 23 au 25 avril prochains. À cette occasion, le Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume du Maroc, Pr. Abdeljalil Lahjomri, recevra à Conakry le doctorat honoris causa de l’université Lansana Conté de Sonfonia, le 22 avril 2022. Il signera également des partenariats avec les universités de Guinée le 23 avril, concrétisant ainsi la volonté d’ouverture de l’Académie du Royaume du Maroc aux universités africaines et internationales, dans le cadre de l’action extérieure de la Chaire des lettres et des arts africains qui vise à mutualiser les énergies intellectuelles de l'Afrique et de sa diaspora.