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Maroc-Algérie : du 16e siècle à nos jours, l’évolution du voisinage racontée par un historien

Raconter l’histoire du voisinage entre le Maroc et l’Algérie, tel est l’exercice auquel s’est livré le dernier épisode de l’émission phare «Les mardis du PCNS», du think tank marocain Policy Center for the New South (PCNS). À cette occasion, l’accent a été mis sur les zones frontalières entre les deux pays voisins, selon une approche historico-scientifique. Fin connaisseur de l’évolution des relations entre le Maroc et l’Algérie, le professeur Okacha Berahab, historien et ancien professeur universitaire, a jeté une lumière crue sur cette problématique qui continue de peser sur les relations entre les deux pays.

06 Juillet 2022 À 18:42

Historien spécialiste des relations entre le Maroc et l’Algérie, Okacha Berahab a été mis à contribution, dans le cadre de l’émission «Les mardis du PCNS», pour jeter la lumière sur la problématique des zones frontalières entre les deux pays voisins. Comment peut-on qualifier l’état des frontières entre les deux pays ? Quelles en sont les causes et les conséquences ? Quel est le rôle des régions frontalières dans la cristallisation de la solidarité maroco-algérienne ? Des questions auxquelles il a apporté des réponses en puisant dans ses références de nature historique. Mais l’historien a surtout présenté des pistes de nature à améliorer les relations entre les deux pays. Pour bien comprendre ce qui se passe de nos jours, l’historien n’hésite pas à remonter jusqu'au 16e siècle, qui a connu l’arrivée des Turcs. À cette époque, «les premiers signes des frontières entre les deux États ont commencé à apparaître», précise-t-il.

Puis il a fallu attendre la phase coloniale française (1830-1962), pour voir émerger le concept nouveau de frontières basées sur des cartes et sur le modèle européen de l’État-nation. Le chercheur cite, à ce titre, le Traité de 1901 signé à Paris et les deux accords d’Alger signés en 1902 ayant «complété la délimitation de la frontière au sud de Figuig, mais qui ont incorporé des parties du territoire marocain à l’Algérie, dont, à titre d’exemple, l’oasis du Touat, Béchar, Kenadsa, etc.», explique-t-il. S’agissant de la nature des relations entre les deux pays, le professeur Okacha Berahab rappelle une forme de solidarité née suite à l’occupation française de l’Algérie. «Cette solidarité s’est manifestée à travers le soutien à l’Émir algérien Abdelkader, aussi bien au niveau populaire qu’au niveau officiel», indique l’historien. De même, lorsque le Maroc a été occupé à l’instar de l’Algérie (1912-1956), des oulémas d’Algérie ont fait preuve d’une grande solidarité avec la cause marocaine. Après son indépendance, le Maroc a pris fait et cause pour l’Algérie dans les sphères internationales. «Cependant, après l’indépendance de l’Algérie en 1962, le différend sur la délimitation des frontières allait alimenter le conflit en 1963 entre les deux voisins. C’est la guerre des sables. Les effets de cette première rupture entre les deux pays vont durer jusqu’à nos jours», souligne l’historien.

Dans la suite des événements historiques en lien avec les frontières, le spécialiste des relations maroco-algériennes cite le Traité de fraternité et de bon voisinage signé à Ifrane le 15 janvier 1969. Ce Traité a fixé les règles de base d'un bon voisinage et d’une coopération économique. «Il a été suivi de la rencontre de Tlemcen le 27 mai 1970 qui a mis l’accent sur la nécessité de mettre en œuvre tous les accords conclus entre les deux pays. La coopération entre eux s’est concrétisée à travers l’accord du 15 juin 1972 signé à Rabat à propos de la délimitation des frontières. À la même date, un accord de coopération a été signé en vue de l’exploitation de la mine de fer de Garat Jbilet près de Tindouf», relève-t-il. Cet accord a été publié au journal officiel le 22 juin 1992. Entretemps, le rapprochement s’est renforcé entre les deux pays après la création de l’Union du Maghreb arabe en 1989, mais ce rapprochement fut de courte durée, puisqu’à la suite des actes terroristes survenus à Marrakech en 1994, le Maroc décide d’imposer le visa aux Algériens et l’Algérie à riposter en fermant les frontières terrestres à ce jour. Mais l’évolution des relations entre les deux pays ne peut être appréhendée en dehors d’un événement central : la récupération par le Royaume de ses provinces sahariennes. Selon Okacha Berahab, en 1973, la question de la récupération du Sahara marocain a commencé à être à l’ordre du jour, ce qui a conduit à des discordes et des tensions, notamment en l’absence de coordination dans la lutte contre les activités de contrebande, de trafic de drogues et de terrorisme.

À présent, la rupture entre les deux pays est telle qu’il n’existe pratiquement plus de coopération, hormis le projet de connexion électrique. Son maintien tient au fait qu'il est le résultat d’accords internationaux liant l’Union du Maghreb arabe et l’Espagne et il ne peut donc être rompu, explique M. Berahab. D’autres n’ont pas eu cette chance. Et du coup, ils ont été abandonnés. C’est le cas du projet d’installation d’une cimenterie dans la zone frontalière et le Gazoduc Maghreb-Europe. Y a-t-il donc des pistes à explorer pour une éventuelle amélioration des relations entre les deux États ? Sans mâcher ses mots, l’historien renvoie à un élément clé, «il faut tout d’abord restaurer la confiance». Pour y arriver, il estime qu’il faut mettre en œuvre les accords antérieurs qui mettent l’accent sur le bon voisinage et la nécessité de résoudre les problèmes par des voies pacifiques et négociées. «Cela passe par la reprise des relations diplomatiques, la coordination dans toutes les questions bilatérales, la mise en place de projets de développement conjoints dans les zones frontalières, tout en œuvrant à la réconciliation de la mémoire collective et à l’unification des programmes scolaires afin d’ancrer l’esprit de solidarité, plutôt que l’hostilité, dans les mentalités des jeunes générations», propose-t-il. Mais seul un accord à propos du principal point de discorde, à savoir la question du Sahara marocain, est à même de ramener les relations entre les deux pays à leur état normal, conclut-il.r> 

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