26 Juillet 2022 À 15:55
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Le Matin : Parlez-nous de votre arrivée aux États-Unis. Que pouvez-vous nous en dire ?
Alex Lalaoui : J’ai commencé mon aventure américaine au début des années 1990. J’y suis allé avec un visa étudiant et j’ai posé les pieds d’abord à New York. J’ai joué au football, avant d’orienter ma carrière vers le coaching. J’ai commencé de la base vers le sommet, dans ce qu’on appelle aujourd’hui le football de base, les licences F, E, D et ainsi de suite. Je suis maintenant DOC à l’US Soccer, DOC étant le diminutif de Director of Coaching. Parmi les tâches ou les responsabilités que je gère, et qui sont nombreuses, je suis DOC dans l’État du New Jersey, avec le Programme de développement olympique (ODP) destiné à former les joueurs appelés à devenir professionnels. C’est là où on nourrit l’équipe nationale, ainsi que la MLS (Major League Soccer). En plus du développement des joueurs, j’ai une académie de football privée qui s’appelle «Soccer Learning Center», que j’ai fondée en 2002. Je suis également président et fondateur de «US Soccer Heroes» réservé aux premiers intervenants (police, pompiers, secouristes…), fondée en 2007. J’ai été nommé directeur technique du club Kearny Thistles. Je suis aussi un intervenant régulier dans des séminaires ici et là.
Vous vivez aux États-Unis depuis le début des années 1990 et vous avez été témoin direct dans la différence d’approche avant le Mondial 1994 et après celui-ci. Est-ce que c’est le cas ?
Je suis totalement d’accord avec vous. En étant là-bas, j’ai été témoin de l’environnement avant et après la Coupe du monde 1994, dans un moment clé pour voir cette transition. Je pense qu’avant 1994, le football US se résumait à l’expérience des New York Cosmos, une franchise légendaire où les meilleurs joueurs du monde ont joué, comme Pelé, Franz Beckenbauer et la liste est longue avec un casting de rêve. L’accord passé avec la FIFA en 1994 lorsque nous avons accueilli la Coupe du monde était de créer la MLS. Oui, Pelé l’a appelé le «beau jeu», mais il faut se rappeler que nous avons aussi un autre beau jeu qui est le football américain et un autre qui est le basketball, le baseball, le hockey... beaucoup de sports que ces gens grandissent en jouant. Arriver comme ça et implémenter un autre sport pour en faire un sport dominant sur le plan national, c’est un challenge. Après un peu plus d’une décennie, nous sommes passés du fait d’avoir des joueurs stars à des joueurs qui sont formés localement. Nous avons créé une méthodologie qui s’appelle «Play-Practice-Play», basée sur un environnement sécurisé, ludique et centré sur les joueurs. Il y a plus d’intégration, de développement et de croissance. Nous voulons que les joueurs s’amusent et prennent plaisir à jouer, pour qu’ils reviennent. Ça, c’est au niveau du football de base. Ensuite, nous avons le niveau professionnel, qui est motivé par la performance et la compétition. On parle ici des lycées, des universités, de la MLS… Ce niveau est régi par la méthodologie «woli» qui veut dire Warm-up (échauffement), Orientation, Learning (apprentissage) et Implémentation. Cette méthode nous permet aussi d’inculquer aux coachs la façon d’entraîner leurs équipes, mais aussi les équipes adverses.
Votre rôle, qui est le plus important, est de fournir des joueurs jeunes capables de franchir le pas. Mais pour ça, il faut les repérer. Comment cela se passe-t-il ?
Chaque État a une fédération et les 50 fédérations travaillent toutes sous l’égide d’US Soccer. Prenons l’exemple du New Jersey, où je suis directeur du coaching. Disons qu’on va prendre les jeunes nés en 2008 et on va faire du scouting pour les garçons comme les filles. On va tous les inviter aux 4 dates et endroits qu’on a fixés : nord, sud, est et ouest. On invite les gens et ils ont le choix de venir à une seule sélection ou aux quatre. Bien sûr, si vous venez aux 4 rendez-vous, c’est bénéfique parce que les scouts vous verront plusieurs fois. Même du point de vue du joueur, il peut être dans un mauvais jour ou être nerveux… Nous créons ces 4 rendez-vous et nous avons des milliers de gamins qui viennent. On va en choisir une centaine et on va les inviter à la deuxième phase. On va sélectionner 26 enfants ou joueurs, qui représenteront le New Jersey dans la catégorie d’âge de 14 ans ou nés en 2008. On fait de même pour ceux nés en 2010, en 2009 jusqu’à arriver à 2005, qui est le maximum parce qu’ils ont déjà 17 ans. À cet âge-là, les jeux sont faits, soit vous avez réussi, soit vous gardez le foot comme un hobby. On prend toute la région est du pays, qui comprend le New Jersey, le Connecticut, New York, le Vermont, le Massachusetts… on va créer ce bassin où nous allons refaire des tests et d’où on va encore sélectionner 26 candidats. Ce n’est plus le New Jersey ou New York, mais plutôt de la région est. Le même procédé est répliqué pour les quatre régions et on aura 26 sélectionnés de chaque région. Ils joueront un mini-championnat entre eux et seront soumis à d’autres tests, d’autres formations…
La méthodologie que vous avez détaillée, ce modèle américain, est-elle applicable au Maroc ?
Je le pense. Je crois que notre méthodologie est unique, mais que ce n’est pas fait sur mesure pour un individu ou un pays. Nous sommes un pays diversifié aux États-Unis, fait de plusieurs variétés de visages, de couleurs… Notre pédagogie devait être adaptée à nous tous, parce que nous sommes tous concernés. C’est ce qui en fait un modèle quasi universel. Le Maroc peut-il mettre en place cette méthodologie ? Absolument. Mais ce qui a permis d’avoir un process réussi, c’est qu’on a pris notre temps, sur plusieurs décennies, on va dire 15 ou 20 ans, pour mettre en place ce plan. Et maintenant, on y est, on croit que cette méthode marche pour nous et je pense qu’on commence à en récolter les fruits. Regardez comment l’équipe nationale joue. Pas besoin de mentionner l’équipe nationale féminine, qui domine le monde.
Seriez-vous prêts à ajouter une ligne marocaine à votre CV ?
Le Maroc est ma mère et les États-Unis, c’est mon père. Je suis né ici, j’y ai passé 20 ou 21 ans. Les États-Unis m’ont donné le support et l’opportunité et ils m’ont appris des choses, qui m'ont aidé à poursuivre ma passion, à grandir. Ils m’ont tellement offert de choses, dans un moment où je ne pensais pas atteindre ce niveau. Pour revenir à votre question, pour moi, le Maroc, c'est «pourquoi pas ?» Je suis toujours ouvert à de nouveaux défis. Encore plus maintenant que mes enfants ont grandi, ce que je ne pouvais pas faire dans le passé. J’ai eu des opportunités auparavant, pas au Maroc, mais dans d’autres pays. Je ne pouvais pas sauter dessus, parce que ma priorité était d’élever mes enfants. Maintenant, ils ont 17 et 21 ans et je pense que je suis ouvert à de nouveaux challenges.
r>Entretien réalisé par Amine El Amrir>