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Sahara : L'Algérie prépare son opinion publique à son échec face au Maroc (Adnane Debbagh)

Commentant les conclusions de la dernière réunion du Conseil de sécurité consacrée au Sahara, notamment le maintien du processus des tables rondes, l'analyste politique Mohamed Adnane Debbagh estime qu'Alger, qui n'a eu de cesse de clamer qu'elle n'était pas concernée par ce conflit, se voit acculée à se plier à la réalité géopolitique marquée par les percées majeures de la diplomatie marocaine dans ce dossier. À ses yeux, elle n'aura d'autre choix que de sortir de ses retranchements et de se mettre à la table des discussions.

24 Avril 2022 À 15:20

Ce qui est à retenir de la dernière réunion du Conseil de sécurité est le maintien du processus des tables rondes. «Ce processus devrait être réactivé sous réserve que le voisin de l'Est en accepte le principe. Ils ont dit, toutefois qu'ils n'étaient pas concernés par ces tables rondes», fait remarquer l’analyste politique spécialiste en droit international, Mohamed Adnane Debbagh. Mais cette position algérienne est vouée à changer, estime M. Debbagh, qui considère que «les dirigeants de ce pays ne peuvent que tenir compte de ce qui se passe au niveau international concernant la question du Sahara, notamment la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur ses provinces du Sud et le ralliement de l'Allemagne et de l'Espagne au plan marocain d'autonomie. Sans oublier les pays du Golfe et les dizaines de pays qui ont ouvert des représentations consulaires à Laâyoune et Dakhla». Les responsables algériens se voient donc contraints de prendre en compte cette réalité, souligne-t-il.

Et dans son analyse, M. Debbagh est même d'avis que les autorités algériennes s'avouent vaincues face au Maroc dans ce dossier. «Je dis qu'elles préparent l'opinion publique algérienne à reconnaître l'échec de leur longue manœuvre pour nuire au Maroc dans le dossier du Sahara, en prétendant qu'il y a une sorte de conspiration contre l'Algérie et que celle-ci est dans le collimateur de certaines forces qui font pression sur elle pour lui faire accepter des situations qu'elle n'aurait pas acceptées auparavant», affirme-t-il.

En réponse à une question de Rachid Hallaouy, l'animateur de l'émission L'Info en Face, qui voulait savoir si Alger avait eu connaissance bien avant son annonce du changement majeur de la position de Madrid quant à l’affaire du Sahara marocain, M. Debbagh répond que «si ce n'était pas le cas, cela deviendrait inquiétant quant à la performance de la diplomatie algérienne». Et d'ajouter qu'il est fallacieux de prétendre que l'Algérie ne soit pas partie prenante dans ce conflit. «Si ce n'était pas le cas, pourquoi alors rappeler l'ambassadeur d'Algérie à Madrid suite à ce revirement majeur opéré par l'Espagne en faveur de la cause nationale, au lieu de convoquer tout simplement l'ambassadeur espagnol à Alger et lui poser la question sur les raisons pour lesquelles Madrid a changé de position ?», lance l’analyste politique.

Staffan de Mistura est tenu de prendre en compte la position des amis du Sahara

À propos de l'annonce d'une nouvelle tournée de Staffan de Mistura dans la région, M. Debbagh souligne que «l’Envoyé personnel du SG de l’ONU n'est pas un électron libre, mais il est tenu de prendre en compte la position des amis du Sahara, de l'opinion publique internationale et des membres du Conseil de sécurité». «Il se rend certes dans la région pour voir comment relancer les négociations, mais il doit tenir compte de la position des États-Unis, de l'Espagne, de la France et même de la Russie», affirme-t-il. Moscou, selon M. Debbagh, qui s'est abstenu lors du vote de la résolution 2602, va certainement reconsidérer sa position à la lumière de la neutralité affichée par le Maroc vis-à-vis du conflit russo-ukrainien. Et de souligner qu'en Afrique, Moscou a sa propre politique. Le fait que l'Algérie se fournisse en armes principalement auprès de la Russie ne signifie pas que cette dernière va automatiquement s'aligner sur les positions diplomatiques de ce pays. Il faut toujours tenir compte des fondamentaux, indique M. Debbagh, notant que dans cette optique, le Maroc se trouve être le premier partenaire économique de la Russie en Afrique.r>Et d’affirmer que «comme pour la plupart des analystes, je suis serein quant à l’aboutissement du dossier du Sahara marocain parce qu'il y a une forte dynamique. Le Maroc a fait un travail extraordinaire dans ses provinces méridionales depuis 47 ans. Un effort hors pair de développement et des investissements colossaux».

Par ailleurs, et revenant sur les récentes évolutions dans les relations entre le Maroc et l'Espagne, M. Debbagh rappelle que depuis les années 1990, des réunions de think tanks espagnols composés de diplomates, de militaires, d'universitaires et de journalistes ont débouché sur la recommandation de faire du Maroc le principal partenaire économique du XXIe siècle. «À cette époque, c'était la France le principal partenaire économique du Maroc. Mais les Espagnols ont travaillé sans relâche pour décrocher cette position de premier partenaire économique du Maroc, et ils y sont parvenus à partir de 2012», rappelle-t-il, affirmant qu’«aujourd'hui, les Espagnols n'ont pas l'intention de laisser tomber cet effort, ni leur alliance avec le Maroc qu'ils considèrent comme une alliance stratégique». Et l'analyste de préciser que «la diplomatie espagnole ne dépend pas de la décision d'un chef de gouvernement, mais c'est une diplomatie qui s'inscrit dans la durée et qui transcende les changements de gouvernements».

La nature stratégique de cette relation avec Rabat pour Madrid trouve, d'après M. Debbagh, son essence dans la dimension économique. «En Espagne, on est, notamment, conscient que pour conquérir les marchés de l'Afrique de l'Ouest, il faut absolument s'allier avec le Maroc, car le Royaume a déjà ses réseaux, ses relations diplomatiques, son système bancaire et son soft power solidement établis dans cette région».

Les trois facteurs qui façonnent une puissance régionale

Le Maroc se profile désormais comme une puissance régionale émergente, souligne l'analyste, soutenant qu'en plus de son action diplomatique, le Royaume a fait preuve de grandes capacités sur les plans économique et sécuritaire, ce qui a conduit de nombreuses puissances à lui reconnaître ce statut de puissance émergente dans la région, lequel lui a valu des avancées considérables dans le dossier du Sahara.

Et de préciser que trois facteurs déterminent la construction d'une puissance régionale : une présence diplomatique importante au niveau international, une capacité sécuritaire (la capacité de contrôler son territoire mais aussi d'assurer la paix dans sa région) et des potentialités économiques. Le Maroc réunit ces facteurs, affirme M. Debbagh, faisant observer qu'il n'est pas fortuit que les États-Unis aient décidé de tenir leur grand-messe économique avec l'Afrique au Royaume en juillet prochain.

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