04 Février 2022 À 17:54
Confronté à un fléchissement de la campagne de vaccination, surtout en ce qui concerne la troisième dose, pour laquelle la population cible se montre peu enthousiaste, le gouvernement a décidé de durcir le ton. Et c'est Aziz Akhannouch lui-même qui a décidé de monter au front en tenant deux réunions avec les responsables des départements ministériels et établissements publics et avec le président et les membres de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). Objectif : amener les fonctionnaires et les salariés non vaccinés à se faire vacciner et ceux qui ont reçu une ou deux doses à compléter leur schéma vaccinal.
Et le Chef du gouvernement n'est pas allé par quatre chemins lors de ces rencontres, déclarant même à ses interlocuteurs de la CGEM que «les personnes non vaccinées pénalisent la relance. Ceux qui veulent anéantir nos efforts de relance n'ont qu'à rester chez eux». Message parfaitement capté puisque, suite à la première réunion avec les responsables des départements ministériels et établissements publics, une circulaire du ministère de la Transition numérique et de la réforme de l’administration, datée du 2 février et signée par le secrétaire général, a été publiée, enjoignant aux fonctionnaires de ce ministère de se faire vacciner dans un délai de 7 jours à compter de sa publication, sous peine de se voir interdire l'accès à leur lieu de travail et de se voir déclarés en abandon de poste.
Cette circulaire impose aux fonctionnaires de présenter le pass vaccinal à l'entrée des lieux de travail, ou de présenter un document d'exemption du vaccin. Pour ceux qui ne sont pas encore vaccinés ou qui n'ont pas encore terminé leur schéma de vaccination, ils seront temporairement autorisés à accéder au lieu de travail après avoir reçu la première ou la deuxième dose. Tout refus de se conformer aux instructions de la circulaire, après les 7 jours fixés, ouvrira la porte à une interdiction d'accès au lieu de travail et l'absence déclenchera la procédure d'abandon volontaire de poste. Mais pour les syndicats, la posture du gouvernement est contreproductive car «basée sur l’intimidation et non l’adhésion»
L'adhésion plutôt que la coercition
«Cette circulaire a valeur de menace» s’indigne le secrétaire général de l'Organisation démocratique du travail (ODT), Ali Lotfi. Il estime en effet que ses dispositions sont anticonstitutionnelles et n’ont aucun rapport avec les lois régissant la fonction publique. «D’une part, ni le ministre ni le secrétaire général d'un ministère n'ont le droit de refuser l'accès d'un fonctionnaire à son lieu de travail, au prétexte qu'il ne dispose pas d'un pass vaccinal», affirme au «Matin» M. Lotfi.
« D'autre part, pourquoi le gouvernement ne choisit-il pas la voie de la transparence en adoptant un décret en Conseil de gouvernement ou en soumettant une loi au Parlement tel que cela se fait dans plusieurs pays ? Et même cette circulaire, pourquoi est-elle signée par le secrétaire général du ministère et non par la ministre concernée ?» se demande M. Lotfi, lançant que le gouvernement persiste dans sa « gestion improductive et anarchique depuis le début de cette crise». Et d’ajouter : «Nous aurions souhaité que le gouvernement passe par le Parlement pour faire voter une loi concernant ce pass vaccinal. Il y aurait alors eu un débat et les opposants auraient même eu la possibilité de saisir la Cour constitutionnelle si une loi l'introduisant est votée». Or le gouvernement choisit de maintenir le flou sur cette question, et même la reprise espérée après la réouverture des frontières risque d'être hypothéquée si les protestations et les blocages reprennent, comme ce fut le cas avec les avocats, indique le SG de l’ODT.
Et toujours à propos de cette circulaire, M. Lotfi souligne qu'elle ne s'adresse qu'aux fonctionnaires. «Qu'en est-il des usagers ?» se demande-t-il. Et de soutenir que le gouvernement aurait pu faire appel à la sensibilisation plutôt qu'aux menaces, estimant que les dispositions énoncées dans ladite circulaire sont contraires non seulement aux lois régissant la fonction publique, mais encore aux droits de l'Homme. «L'ODT s'oppose fermement à la soumission des fonctionnaires et des salariés à l'obligation de présenter un pass vaccinal. D'autant plus que l'Organisation mondiale de la santé a fait part du début de la phase de déclin de la pandémie et que plusieurs pays commencent à abandonner les restrictions que celle-ci leur a imposées. Nous disons oui aux mesures de précaution (port des masques, distanciation physique…), et nous disons encore oui à un discours gouvernemental clair et pertinent, et non pas à celui auquel nous assistons aujourd'hui où, par exemple, nous avons le Comité scientifique qui dit une chose et les responsables gouvernementaux qui disent le contraire», conclut M. Lotfi.
Le secrétaire général adjoint de la Confédération démocratique du travail (CDT), Khalid Houir Alami, a indiqué, pour sa part, au «Matin» qu’en s'obstinant dans ses approches unilatérales, le gouvernement s'expose à un retour de bâton bien peu propice aux objectifs visés. Tout en rappelant que 25 millions de Marocains se sont fait vacciner de leur plein gré, M. Houir Alami a souligné qu'en recourant aux menaces, le gouvernement confirme qu'il a failli à sa mission de sensibilisation pour inciter les citoyens à adhérer pleinement à la campagne de vaccination. «En continuant à tenir à l'écart les institutions constitutionnelles, comme le Parlement où cette mesure devait être débattue, et en continuant à marginaliser les partenaires sociaux, le gouvernement ne fait que rajouter de l'huile au feu dans un contexte déjà très tendu», dit le SG adjoint de la CDT.
«La conjoncture sociale est empreinte d'une hausse des prix des produits de première nécessité et des hydrocarbures, et le pouvoir d'achat des Marocains a été fortement affecté, comme l'a confirmé le Haut-Commissariat au Plan. Si le gouvernement insiste sur le pass vaccinal, alors que la majeure partie des administrations ne fournissent ni masques ni gels hydroalcooliques et que la situation épidémiologique ne justifie pas un tel durcissement, alors il court le risque de nuire à la reprise économique à laquelle il aspire», a encore lancé M. Houir Alami. Et d'affirmer que l'Exécutif doit cesser de faire jouer l'état d'urgence sanitaire et continuer à écarter les partenaires sociaux, rappelant que la CDT avait déjà interpellé le ministre de l'Inclusion économique, de la petite entreprise, de l'emploi et des compétences en décembre dernier au sujet des pressions exercées sur les employés qui n'ont pas de pass vaccinal, appelant à l'activation des comités de sécurité et d’hygiène pour que ceux-ci participent à la sensibilisation des salariés et au respect du principe de choix libre et éclairé en ce qui concerne la vaccination.r>