10 Mars 2022 À 17:30
«Je suis prêt à tout faire pour que mon enfant obtienne son traitement», «nos enfants sont en train de mourir», «nous voulons des solutions rapides», «la situation devient de plus en plus critique»… C’est avec ces fortes expressions que des parents déplorent le manque, voire l’absence d'immunoglobulines. Des médicaments indispensables pour la survie des patients, particulièrement des enfants souffrant de problèmes immunitaires comme le déficit immunitaire global et de maladies infectieuses. Selon Dr Ahmed Bousfiha, médecin spécialiste des maladies des enfants, des nourrissons et des nouveau-nés, les immunoglobines sont d'un enjeu vital puisque si les enfants ne les reçoivent pas à temps, ils courent le risque de voir leur situation se dégrader ou décéder. Ces médicaments sont généralement disponibles, soit au Centre national de transfusion sanguine à Rabat (CNTS), soit en pharmacies.
Contactés par «Le Matin», des membres de l’association Hajar de soutien aux patients atteints de déficits immunitaires primitifs nous ont indiqué que le manque en ces médicaments a commencé il y a presque un mois et des parents n’arrivent pas à les trouver ni en pharmacies, ni au CNTS. «Dans tout le pays, 180 patients, dont 125 à Casablanca, nécessitent les immunoglobines», indique Kamal Chafli, membre de l’association Hajar. Il nous apprend qu’une lettre (dont Le Matin détient copie) a été adressée au ministre de la Santé et de la protection sociale, Khalid Ait Taleb, mais "sans réponse».
Mais que se passe-t-il réellement ? S’agit-il d’une vraie rupture de stock ou juste d’un problème d’approvisionnement qui va être rapidement résolu ? Comment subvenir aux besoins de ces patients qui risquent à tout moment de perdre leur vie, faute de traitement ? Pour répondre à toutes ces questions, nous avons tenté de joindre le ministère de la Santé et de la protection sociale. À l’heure où nous mettions sous presse, aucun feedback ne nous était parvenu. Qu'en dit alors la Direction des médicaments et de la pharmacie du ministère ? Sa directrice Bouchra Meddah nous a affirmé qu’il n’y avait pas de rupture de stock des immunoglobulines, ce qui laisse entendre que ces médicaments devraient normalement être disponibles en pharmacies, ce qui n'est pas le cas selon toutes celles que nous avons contactées en tout cas. En revanche, a-t-elle précisé, ces médicaments ne sont pas disponibles actuellement au niveau du CNRS de Rabat que nous avons contacté mais qui nous a redirigé vers le ministère.
L’approvisionnement, l’arbre qui cache la forêt
La question qui se pose est de savoir pourquoi les immunoglobines ne sont pas disponibles au CNTS de Rabat. Il faut savoir que ce sont des médicaments dérivés du sang et qu’ils sont fabriqués à partir du plasma humain provenant d’un grand nombre de donneurs. «Le plasma est envoyé à un laboratoire étranger qui procède à l’opération de fractionnement pour le revendre au Maroc à un prix élevé», nous a expliqué une source autorisée qui a requis l’anonymat. Et d’ajouter que ces deux dernières années, le Maroc, à l’instar d’autres pays, a rencontré des difficultés de collecte de sang et qu'il était donc incapable d’envoyer une quantité suffisante de plasma. D'où donc l'absence des immunoglobulines au CNTS. Ce dernier, ajoute notre source, est d’ailleurs le seul centre de transfusion sanguine à avoir l’autorisation de vendre ce médicament, ce qui ouvre la voie à une autre problématique liée à l’accès à ce produit.
En effet, les patients souhaitant acheter les immunoglobulines auprès de l’État se voient dans l’obligation de faire le déplacement jusqu’au CNTS de Rabat. D’après la même source, ce n’est qu’en 2014 que d’autres laboratoires ont été autorisés à importer ce médicament et le vendre aux pharmacies. Quid des prix ? Notre source indique que le flacon de 5mg est vendu à 1.130 DH chez le CNTS, sachant qu’il est déjà subventionné par le ministère de la Santé et de la protection sociale. Le flacon de 10mg est vendu, lui, à 4.800 DH. Le prix de vente en pharmacie est de 2.851 DH pour les 5mg. Un prix qui reste élevé. Une autre autre source bien informée estime ainsi que «le Maroc gagnerait à produire ce médicament comme l'a fait l’Égypte» au lieu de recourir aux importations qui renchérissent les prix. Car en envoyant du plasma en petites quantités, le pouvoir de négocier le prix d’achat reste mince.
La production locale serait envisageable, car, d’une part, l’industrie pharmaceutique marocaine a connu un grand développement ces dernières années, et d’autre part, le besoin en immunoglobulines est croissant : 28.000 flacons par an selon nos sources. En attendant les solutions d’urgence suite à leur lettre, les parents s’entraident pour sauver leurs enfants. Les membres de l’association Hajar nous indiquent que les parents courent toutes les pharmacies pour dénicher des flacons et que la solidarité est de mise.