27 Septembre 2022 À 09:54
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Les marchés du gasoil et de l’essence sont des marchés fortement concentrés, aussi bien en amont qu’en aval, et ce malgré l’arrivée de nouveaux opérateurs. Pour le Conseil de la concurrence, le niveau de rentabilité financière très élevé que cette activité permet de générer n’incite pas les opérateurs à une rivalité concurrentielle par les prix sur ces marchés. Dans son avis n°A/3/22 sur la flambée des prix des intrants et matières premières au niveau mondial et ses conséquences sur le fonctionnement concurrentiel des marchés nationaux pour le cas des carburants (gasoil et essence), publié lundi, l’Institution présidée par Ahmed Rahhou n’a pas hésité à conclure que «la concurrence par les prix sur ces marchés est quasi inexistante, voire neutralisée». Pour appuyer cette conclusion, le Conseil met en avant deux aspects relevés sur ce marché. Il s’agit de la stagnation des parts de marché avec de légères variations durant les périodes observées et des comportements passifs des opérateurs qui ont neutralisé toute concurrence par les prix de vente. «D’ailleurs, et au moment de la baisse des cours internationaux en 2020 et au premier semestre de 2021, il a été constaté que ces opérateurs ont préféré augmenter leurs marges au lieu de chercher à augmenter leurs parts de marché en opérant des baisses significatives de leurs prix de vente», tient à rappeler le Conseil dans son avis et dont voici les principales conclusions :
Distribution des carburants, une activité très lucrative
«L’activité de distribution du gasoil et de l’essence reste très lucrative, au vu des niveaux de rentabilité financière qu’elle dégage». Il s’agit là de l’un des principaux constats du Conseil de la concurrence. En effet, l’exploitation des données de la période 2018-2021 a fait ressortir des niveaux de rentabilité qui demeurent très élevés dans l’ensemble, avec néanmoins des différences entre les sociétés, lit-on sur le rapport. Dans le détail, le rapport révèle que la société Winxo se différencie par un taux de rentabilité financière qui dépasse généralement les 60%, suivie de Vivo Energy Maroc avec un taux élevé se situant entre 44 et 52%. En revanche, les sociétés Petrom et Ola Energy Maroc ont affiché un taux de rentabilité ne dépassant pas 20% durant cette période. Afriquia SMDC a vu son taux de rentabilité financière fluctuer entre 11,5% et 22%. Le Conseil explique ces écarts des niveaux de rentabilité par les différences relevées dans la rubrique des investissements engagés par chacun de ces opérateurs, notamment dans le développement des capacités de stockage et du réseau de distribution. Le leader en termes de parts de marché (Afriquia SMDC) a réalisé un montant d’investissement moyen durant la période 2018- 2021 de l’ordre de 319 millions de DH dans le développement des infrastructures de stockage et dans le réseau des stations-service, tandis que Winxo n’a mobilisé que près de 185 millions de DH, soit presque la moitié du montant d’Afriquia SMDC, précise le rapport.
Des niveaux de marge brute de distribution élevés depuis 2020
Au cours des années 2020 et 2021, les marges des sociétés de distribution ont connu une forte hausse, dépassant en 2020 la barre d’1 DH/l chez l’ensemble des opérateurs. Ces marges ont dépassé les 1,25 DH/l chez les trois premiers opérateurs du marché (Afriquia SMDC, TotalEnergies Marketing Maroc et Vivo Energy Maroc) et ont même atteint 1,40 DH/l chez Vivo Energy Maroc, soit environ 15% du prix de vente d’un (1) litre de gasoil, contre seulement une moyenne de 9% pour la période 2018- 2021, explique le Conseil de la concurrence. Aussi, les marges de 2021, même après avoir diminué par rapport à 2020, restent supérieures de près de 25 centimes/litre à celles constatées en 2018 et 2019. Il en résulte que les sociétés de distribution ont tiré profit de la forte chute du cours sur le marché international pour augmenter leurs marges. Un constat qui est corroboré par les conclusions de l’analyse sur le niveau de corrélation. En effet, les cotations à l’international en 2020 ont baissé de 1,73 DH/l, alors que les prix de vente sur le marché national n’ont baissé que de 1,18 DH/l, révèle le document du Conseil de la concurrence.
La corrélation entre le brut, les produits raffinés et les prix de vente sur le marché national s’affaiblit
L’augmentation des prix de vente à la pompe est liée à la hausse des cotations des produits raffinés sur le marché international et que le Maroc importe en totalité de l’étranger. Ces cotations sont elles-mêmes déterminées, en grande partie, par les cours du baril de pétrole brut cotés en dollar américain. Pour le Maroc, il faudrait y rajouter l’impact des coûts des variations du taux de change dirham-dollar. Durant les années 2018 et 2019, ces trois variables (cours du baril de pétrole brut, cotations FOB des produits raffinés et prix de vente) ont enregistré des niveaux relativement corrélées : les cours de pétrole brut se sont contractés de près de 10%, les cotations FOB des produits raffinés (gasoil et essence) ont enregistré une baisse de 5%. Sur le marché national, le prix de vente a baissé de 4% pour le gasoil et de 3% pour l’essence. Ainsi, sur la période de 2018-2019, il ressort que l’évolution des prix de vente sur le marché national suit, dans l’ensemble, la tendance des cotations des produits raffinés à l’international. Toutefois, cette corrélation n’a pas tenu longtemps et ne cesse de s’affaiblir. En focalisant l’analyse sur les années 2020, les cours du baril de pétrole brut ont chuté de 34%, les cotations FOB du gasoil ont baissé de 36%, tandis que les prix de vente sur le marché national n’ont diminué que d’environ 12%, ce qui veut dire que les opérateurs n’ont répercuté que partiellement les baisses des cotations enregistrées au niveau international, souligne le Conseil dans son avis rendu public. À l’inverse, en 2021, les cours du baril de pétrole brut ont progressé de 67%, les cotations FOB du gasoil ont augmenté de 41%, alors que les prix de vente sur le marché national n’ont progressé que de 11%, ce qui veut dire que les opérateurs n’ont répercuté, que partiellement, les hausses des cotations du gasoil à l’international sur les prix de vente sur le marché national, toujours selon la même source.
Stockage : une capacité utilisée à 50% et des réserves en dessous du réglementaire
Le Maroc disposait d’une capacité de stockage de carburant de l’ordre de 1,2 million de tonnes en 2021, supérieure de 15% à celle de 2018. Toutefois, cette capacité de stockage n’est que partiellement utilisée (environ 50%). Cette sous-utilisation s’explique, selon les opérateurs, d’une part, par les frais élevés de stockage de ces produits et, d’autre part, par les risques relatifs à la forte volatilité des cours à l’international de ces matières. Selon les constats du Conseil, «la mise en place de stocks de sécurité de gasoil et d’essence accuse un retard et rencontre des difficultés dans la définition des modalités de prise en charge des frais de stockage entre les opérateurs et les pouvoirs publics». D’ailleurs, sur toute la période observée, il a été constaté une insuffisance chronique en comparaison à ce qui est prévu par la réglementation qui est de 60 jours de ventes en produits et en capacité. En effet et pour le gasoil, les stocks disponibles à fin 2021 ne permettaient de couvrir en moyenne que près de 29 jours de consommation. Pour l’essence ces stocks ne couvraient que 32 jours de consommation. En termes de positionnement des opérateurs sur le marché de l’importation, il a été relevé une forte concentration sur ce segment de marché, vu que les quatre premiers opérateurs du marché, à savoir Afriquia SMDC, TotalEnergies Marketing Maroc, Vivo Energy Maroc et Petrom réalisent, à eux seuls, environ 68% des importations en volume et disposent de plus de 61% des capacités de stockage installées, en dépit du nombre d’opérateurs qui est passé de 11 en 2018 à 25 actuellement.
Pour combler les lacunes que connaît le marché national du carburant, le Conseil de la concurrence a établi une liste de huit recommandations. Couvrant aussi bien le cadre juridique que la réforme du régime fiscale, ces recommandations appellent également à l’examen des opportunités de développement des activités de raffinage au Maroc.
Au Maroc, 29 sociétés appartenant en majorité à des groupes nationaux sont actives sur le marché de la distribution du gasoil et de l’essence. En comparaison à 2010, le marché a enregistré l’entrée de 11 nouvelles sociétés, soit près d’une entrée par an et aucune sortie d’opérateur n’a été relevée, selon le Conseil de la concurrence. S’agissant des stations-service, leur nombre s’élevait, à fin avril 2022, à 2.993 stations-service, enregistrant une progression de 18% par rapport à 2018 et une création moyenne de 125 stations par an. Le réseau de distribution est détenu à hauteur de 53% par quatre opérateurs : Afriquia SMDC, TotalEnergies Marketing Maroc, Vivo Energy Maroc et Petrom. Selon les détails fournis par le Conseil, le marché national de distribution du gasoil et de l’essence a réalisé un chiffre d’affaires (moyenne de 2018-2022) de près de 60 milliards de DH, dont 90% réalisé par le gasoil. Il se caractérise par un niveau de concentration élevé, malgré l’existence d’un nombre important de sociétés de distribution actives (29 opérateurs). En effet, les quatre sociétés leaders réalisent à elles seules environ 65% du chiffre d’affaires total du marché. Les volumes vendus sur le marché national ont atteint une moyenne de 6,6 millions de tonnes/an (environ 8,3 milliards de litres), soit une consommation d’environ 228 l/habitant/ an. Ces ventes sont réparties à hauteur de 70% via le canal des stations-service, et à 30% par le canal de BtoB des professionnels, souligne le rapport.