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Pénurie de l'eau : les constats sans concession de Nizar Baraka

La menace de la sécheresse se précise. Outre le monde rural touché de plein fouet, le milieu urbain, épargné jusqu’alors connaitra des difficultés d’approvisionnement dans les prochaines années. Les autorités marocaines ont adopté une stratégie nationale de l'eau en 2009, toutefois, sa mise en œuvre a pris du retard. Le gouvernement a pris des mesures d'urgence pour assurer l'approvisionnement en eau potable.

01 Mars 2022 À 19:24

En cette année, le Maroc est confronté à une sécheresse d'une gravité comparable à celle ayant sévi dans le Royaume au début de la décennie 1980. Cependant, la sécheresse actuelle est inédite, dans la mesure où ses effets se font sentir en milieu urbain, contrairement aux sécheresses précédentes qui n’affectaient que les zones rurales. Dans le Grand Casablanca, l'accès à l'eau potable suscite aujourd'hui des inquiétudes. Un déficit est prévu dans trois ans, c'est-à-dire en 2025. Ce constat a été dressé lors d'une présentation du ministre de l'Équipement et de l’eau, Nizar Baraka, devant les membres de la Commission des infrastructures, de l'énergie, des mines et de l'environnement de la Chambre des représentants. Une présentation sur la pénurie des ressources en eau et les mesures d'urgence pour sécuriser l'approvisionnement en eau, pleine de chiffres alarmants et au rouge.

Situation hydrique actuelle : il y a péril en la demeure !

Les réserves en eau que contiennent les retenues des grands barrages s'élèvent à la date du 28 février 2022 à 5,28 milliards de mètres cubes, soit seulement 32,8% du taux de remplissage de ces barrages, contre 49,2% à la même période l'année dernière. Cette situation trouve son explication, d’après M. Baraka, dans les faibles apports d'eau recensés au niveau de ces grands barrages, dont le volume global depuis le 1er septembre 2021 a atteint 714 millions de mètres cubes seulement, ce qui représente un déficit de 89% par rapport à la moyenne annuelle. Ces apports faibles en eaux ne sont que la résultante de la faible pluviométrie, qui affiche cette année :r>• un déficit de 30 à 50% dans le bassin hydraulique de Guir-Ziz-Rhéris et le bassin hydraulique de Drâa-Oued Noun,r>• de 60 à 70% dans les bassins hydrauliques du Loukkos, Sebou, Bouregreg et Sakia El Hamra-Oued Eddahab,r>• et de 71 à 80% dans les bassins hydrauliques de Souss-Massa, du Tensift, de l'Oum Er Rbia et de la Moulouya.r>Cependant, et dans la mesure où la saison des pluies n'est pas encore arrivée à son terme, on peut encore s'attendre à bénéficier de la moyenne annuelle de 20% des précipitations totales qui tombent entre mars et août, fait remarquer le ministre. Ce manque de précipitations, qui a pesé négativement sur les réserves en eaux de surface, a amené à une exploitation accrue des eaux souterraines, entraînant une baisse du niveau d'eau dans toutes les nappes phréatiques. Ainsi, les réserves en eaux des nappes du Souss, Saïss, El Haouz, Tadla et El Bhira par exemple ont régressé de plus d'un mètre en une année. Aussi, le niveau des eaux souterraines de l'aquifère de Aïn Bni Mathar, Berrechid, Chaouïa, Anjad, El Gharb, a également chuté, mais d'au moins un mètre en une année.

Pas de perturbations pour l'approvisionnement en eau potable dans les grandes villes, mais…

D’après M. Baraka, les réserves en eaux actuellement disponibles dans les barrages permettront de maintenir l'approvisionnement des grandes villes dans des conditions normales. Des perturbations vont cependant avoir lieu dans les villes et localités dépendant des bassins de la Moulouya et du Tensift, en raison des faibles réserves que renferment les barrages qui en relèvent. Pour remédier aux déficits enregistrés au niveau de ces bassins, M. Baraka a indiqué que des conventions réunissant les différentes parties prenantes ont été mises au point pour garantir l'accès à l'eau potable des populations de ces villes et localités. Ces conventions portent sur des mesures s’inscrivant dans le programme d’urgence 2021-2022, dont le coût global s'élève à 2 milliards de dirhams répartis comme suit :r>• 1.318 millions de dirhams pour le bassin de la Moulouya,r>• 202 millions de dirhams pour le bassin d'Oum Er Rbia,r>• et 522 millions de dirhams pour le bassin de Tensift.r>Par ailleurs, le ministre a fait observer que le retard pris dans la mise en œuvre de la stratégie nationale de l'eau a compromis la réalisation de plusieurs projets importants. Il s'agit notamment des stations de dessalement de l'eau, notamment celles de Casablanca (qui sera déficitaire en eau potable à partir de 2025) et de Saïdia (pour assurer l'accès à l'eau potable aux villes de Saïdia, Driouch, Nador et Berkane). De même, les projets visant à transférer les eaux des bassins du Loukkos et du Sebou vers les bassins d'Oum Er Rbia et de Tensift ont pris du retard. Ceci impacte négativement la couverture des besoins en eau potable des villes de la côte atlantique ainsi que Marrakech, de même que les besoins en eau d'irrigation pour les terres des régions de Doukkala, Bni Amir et Tessaout.r>La stratégie prévoit également la construction de 57 barrages. Or aujourd'hui, seuls 9 grands barrages ont vu le jour, tandis que 15 autres sont en cours de construction. La cadence de réalisation des projets prévus est donc très lente. Concernant les eaux souterraines, 34 nappes phréatiques ont été identifiées pour faire l'objet de contrats de gestion. Seuls trois contrats ont été signés (relatifs aux nappes de Souss-Massa, El Haouz et Majjat-Berrechid) à ce jour et six autres (relatifs aux nappes de Fès-Meknés, Tadla et Dakhla) sont en attente de signature.r>Quant à l'exploitation des eaux usées traitées, on parvient aujourd'hui à mobiliser 71 millions de mètres cubes, dont 54 millions sont exploités pour irriguer les espaces verts et les terrains de golf, ainsi que dans les industries (comme c'est le cas pour l'OCP). Cependant, ce volume ne représente aujourd'hui que 25% de ce qui est prévu dans la stratégie nationale de l'eau. Enfin, le rendement des réseaux de distribution d'eau potable est actuellement de 76%, alors qu'il est prévu de le porter à 80% dans le cadre de la stratégie nationale (ainsi, pour chaque 5 litres d'eau distribués, 1 litre est reversé au milieu naturel sans avoir été utilisé par le consommateur).

Mesures d'urgence pour assurer l'approvisionnement en eau potable

Pour faire face au déficit en eau potable, M. Baraka a indiqué que les travaux de réalisation d'installations durables destinées aux centres ruraux et aux douars prévus par le Programme national d'approvisionnement en eau potable et d'irrigation 2020-2027 seront accélérés. Le ministre a également évoqué la mobilisation d'une enveloppe de deux milliards de dirhams au cours de cette année pour la réalisation de nouveaux projets visant à assurer l'accès à l'eau potable au profit des habitants de 50 centres ruraux et de 1.970 douars. Il a également parlé de la mobilisation de subventions importantes dans le cadre du programme national de réduction des disparités territoriales et sociales en milieu rural pour la réalisation de projets pour l'approvisionnement en eau potable, outre la mise au point d’un programme complémentaire pour les régions non visées par les projets précités.

M. Baraka a également annoncé qu'un programme complémentaire d'urgence a été prévu pour assurer l'approvisionnement en eau potable des populations des zones rurales comprenant, entre autres, l'achat et la location de camions-citernes, l'installation de stations mobiles pour le dessalement de l'eau ou la réalisation de travaux et l'achat d'équipements dans la région Darâa-Tafilalet. Il convient également de rappeler que le ministère de l'Intérieur, pour assurer une gestion rationnelle des ressources en eau disponibles pour la préservation de la ressource et assurer l'approvisionnement en eau potable dans des conditions satisfaisantes, avait adressé une note aux walis et gouverneurs les invitant à activer les commissions préfectorales et provinciales prévues par l'article 89 de la loi 36-15 sur l'eau. L’objectif étant de lancer des campagnes de sensibilisation à la protection des ressources en eau et à la rationalisation de la consommation d’eau, d’appliquer des restrictions sur les débits d’eau distribués aux usagers, d’interdire l’arrosage des espaces verts à partir des eaux conventionnelles (eau potable, eau de surface et eau souterraine), d’interdire le lavage des voies et places publiques à partir des eaux conventionnelles ou encore d’interdire les prélèvements illicites d’eau au niveau des forages, des puits, des sources et cours d’eau et des canaux d’irrigation.

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