Économie

Souveraineté industrielle : Ces chantiers qui repositionneront le Maroc à l’échelle mondiale

Le Maroc, qui a subi un test grandeur nature pendant la crise sanitaire et fait encore face aux impacts de la guerre en Ukraine, mobilise toutes ses ressources pour transformer les difficultés en opportunités. Ainsi, de nouveaux écosystèmes industriels sont en gestation avec une idée fédératrice : étudier toutes les opportunités possibles pour le développement d’un sourcing local et réduire la dépendance du Royaume à l’importation. L’objectif final est non seulement de redresser la balance commerciale, mais de s’assurer un nouveau positionnement dans les chaînes de valeur mondiales.

S’assurer une souveraineté industrielle ne veut pas dire se fermer au monde. C’est en substance le message distillé à l’unanimité par les différents panélistes de la Matinale. Phs. Sradni

05 Juin 2022 À 10:58

Ce n’est pas un effet de mode. Le Maroc inscrit la souveraineté industrielle parmi les défis stratégiques à relever. L’enjeu est de taille. La crise sanitaire enclenchée en 2020, puis la guerre en Ukraine, qui est à l’origine d’une montée sans précédent des tensions inflationnistes, ont changé substantiellement la perception qu’avaient les acteurs publics et privés du développement industriel du pays. Ce n’est donc plus un enjeu lié au seul redressement de la balance commerciale, mais plutôt un ingrédient de base à la souveraineté nationale. Le Royaume a donc mis sur les rails plusieurs chantiers devant lui permettre de s’assurer un nouveau positionnement industriel sur l’échiquier mondial. Dans l’industrie automobile, par exemple, l’Association marocaine pour l’industrie et la construction automobile (AMICA) et le département de l’Industrie planchent sur une nouvelle feuille de route pour le développement du secteur. Cette stratégie, actuellement en gestation, couvrira la période 2023- 2025 et fera la part belle à de nouveaux investissements. 

Ecosystème automobile : de nouvelles filières en gestation r>«Des filières n’existant encore pas au Maroc seront ainsi intégrées dans l’écosystème automobile. L’objectif étant de développer localement de nouvelles expertises dans cette activité qui s’est hissée cette dernières années au rang de premier exportateur du Royaume», annonce Mohammed Bachiri, directeur général du groupe Renault Maroc, également vice-président de la CGEM et président de la Commission innovation et développement industriel, lors d’une Matinale organisée, le 3 juin à Casablanca, par le Groupe «Le Matin» sur le thème «Souveraineté industrielle : comment réduire la dépendance des importations ?». Bachiri n’en dira pas plus sur ce projet. Le patron de Renault Maroc, qui a signé le 1er juin, un partenariat avec le géant minier marocain Managem et le département de l’Industrie pour un sourcing de cobalt marocain pour la fabrication de batteries électriques, affirme que la réflexion est engagée afin d’identifier d’autres possibilités de sourcing du groupe à partir de matières premières locales. Encore une fois, on n’en saura pas plus sur les contours de ce chantier. Mais la directrice de l’Industrie au ministère, Kenza Alaoui, qui prenait part à la Matinale, a fait comprendre que cette démarche est en train de prendre forme et devra porter sur tous les gisements de matières premières locales à fort potentiel pour sourcer les industries nationales. Concrètement, indique Alaoui, le département de l’Industrie est en train d’étudier sérieusement la possibilité de donner naissance à une filière marocaine de float (technique de production de verre plat pour l’automobile et le bâtiment). «Le Maroc est capable de produire du verre à partir de sa propre matière première, le silice, qui existe bel et bien dans notre pays», fait valoir Madame Industrie du ministère de Ryad Mezzour. D’ailleurs, assure-t-elle, ce projet s’inscrit dans le cadre d’une nouvelle stratégie du département ministériel pour le développement d’une intégration industrielle en profondeur. À en croire Alaoui, le Royaume pourrait même être compétitif sur cette activité puisque les coûts de production seront pratiquement les mêmes qu’en Europe. Son explication : «l’industrie du float est très énergivore, certes, mais le Royaume, qui a lancé l’appel d’offres international pour l’approvisionnement en gaz naturel, pourrait offrir des tarifs similaires à l’Europe pour cette source d’énergie. Donc, les conditions nécessaires pour l’émergence et la réussite de cette filière à l’échelle locale seront réunies», assure-t-elle. En reprenant la parole, Bachiri récidive avec une nouvelle annonce : le groupe Renault Maroc mènera une mission de prospection au Salon de la plasturgie (Plast Expo) qui aura lieu les 28 et 29 juin à Casablanca. Son objectif, identifier de potentiels partenaires plasturgistes prêts à fournir au constructeur des composants en plastique. Du pain sur la planche pour la plasturgie marocaine, avide d’opportunités. Pour Bachiri comme pour Alaoui, ces initiatives et d’autres en projet permettront non seulement d’affûter l’expertise industrielle locale, mais de faire émerger de nouveaux champions nationaux capables de briller chez eux comme à l’export en générant plus de valeur ajoutée et en créant davantage d’emplois. «Il faut capitaliser sur les écosystèmes existants pour pouvoir développer le sourcing local», insiste le vice-président de la CGEM.

Électroménager : l’écosystème dédié «pratiquement prêt» r>Après la mise sur les rails d’un petit écosystème de l’électroménager en partenariat avec le géant européen Bosch, en 2019, place à un projet grandeur nature. Selon Kenza Alaoui, le département de l’Industrie lancera prochainement un écosystème dédié à l’électroménager. «Le projet est pratiquement prêt. Il reste à identifier l’acheteur final», affirme la directrice de l’Industrie. La particularité de cet écosystème, c’est qu’il comptera parmi ses opérateurs des fournisseurs de composants pour l’électroménager fabriqués à partir de matières premières locales. 

Un taux d’intégration de 40% pour prétendre au label «Fabriqué au Maroc» r>Le consommateur marocain accédera donc à toute une offre d’équipements électroménagers arborant l’étiquette «Fabriqué au Maroc». Ce sera d’ailleurs un label pour les entreprises qui produisent localement à partir d’un sourcing local. «Pour pouvoir décrocher ce label, l’opérateur prétendant devra remplir une condition sine qua non : avoir un taux d’intégration de 40%», précise Bachiri qui annonce au passage que ce projet de label est fin prêt et sera lancé «très prochainement». Notons que le département de l’Industrie devra prochainement dévoiler un rapport d’évaluation de l’ensemble des écosystèmes industriels mis en place à partir de 2014. Évoquant la stratégie du Royaume de substitution à l’importation, Alaoui fait savoir que plus d’une trentaine de projets d’investissement ont été identifiés dans le secteur des équipements médicaux. Le Maroc, rappelons-le, dépend à 90% des importations pour ces produits.

Industrie 4.0 : le Maroc, un exportateur potentiel de technologiesr>Le Royaume pourrait facilement devenir un exportateur de technologies industrielles 4.0. Pour concrétiser cette ambition, Bachiri recommande de renforcer davantage les passerelles entre le monde de la recherche universitaire et les industriels. «Nous sommes capables de mettre en place un écosystème 4.0 marocain. Car nous disposons de la matière grise nécessaire», note le patron de Renault. Grâce à son ingénierie locale, le Maroc pourrait développer ses propres technologies et les déployer à l’échelle locale et même internationale. De même, poursuit-il, la virée vers l’industrie 4.0 ne constitue pas une menace pour les emplois puisque la robotisation permettra la création de nouveaux métiers. D’où l’importance d’adapter l’offre de formation à ses nouveaux besoins du marché. Un point de vue que partage Saâdia Bennani Slaoui, PDG du cabinet de consulting Valyans, qui intervenait lors de la Matinale. Pour elle, le Maroc gagnerait à convertir la menace que représente l’industrie 4.0 en opportunité. «Pour tirer profit de cette tendance mondiale, des conditions s’imposent. D’abord, il faut créer un écosystème de savoir et d’innovations regroupant les universités et les industriels. Ensuite, réviser les réglementations du pays en la matière pour révolutionner l’industrie par la technologie», développe Slaoui. Mohammed Fikrat, expert industriel, qui était également de la partie, aborde le sujet sous un autre angle. Selon l’expatron du groupe Cosumar, l’industrie 4.0 est un levier pour l’amélioration de l’efficience industrielle. «En connectant les objets et en optant pour des équipements industriels smart, l’on s’assurera plus de transparence et l’outil industriel sera nettement optimisé», fait-il valoir. Du côté du département de l’Industrie, Alaoui affirme qu’un programme d’accompagnement à l’investissement et à la formation est mis à la disposition des entreprises voulant se mettre à l’industrie 4.0. Dans son intervention, la responsable insiste beaucoup sur la propriété intellectuelle dans ce domaine tout en rappelant les actions menées par l’Office marocain de la propriété industrielle et commerciale pour protéger les producteurs de technologies industrielles.

Attention au protectionnisme ! r>S’assurer une souveraineté industrielle ne veut pas dire se fermer au monde. C’est en substance le message distillé à l’unanimité par les différents panélistes de la Matinale. Pour la patronne du cabinet Valyans, la souveraineté industrielle, c’est étudier avec le recul nécessaire les différentes options qui permettraient au pays de produire localement ce dont il a besoin en priorité. «Au-delà de la problématique liée aux intrants et aux matières premières, le Royaume a tout intérêt à monter dans les chaînes de valeurs mondiales en offrant la possibilité aux grandes entreprises internationales de venir investir chez nous», expliquet-elle. Mohammed Fikrat, lui, estime que la crise sanitaire de 2020 a mis en évidence un capital inestimable dont jouit le Maroc, à savoir la confiance et la crédibilité. «Alors que, pendant la crise, des pays peinaient à accéder aux vaccins et parfois même à de simples produits comme les bavettes, le Royaume a facilement reconverti une partie de son industrie dans la fabrication de masques et a pu, sous l’Impulsion de S.M. le Roi, accéder aux vaccins développés par la Chine. Cela a été réalisé grâce à ce capital immatériel dont nous nous réjouissons : la confiance et la crédibilité», développe l’ex-patron de Cosumar. Selon l’industriel, si la crise sanitaire a eu une vertu, c’est qu’elle aura permis à tous les acteurs de bien comprendre le concept d’écosystème et son importance. De même, chaque entreprise a pris conscience de l’importance de la logistique qui recèle encore du potentiel que nous devons développer davantage. Sans oublier l’importance du savoir. Les universités ont joué d’ailleurs un rôle de premier rang pendant la crise en concevant dans un temps très court des composants médicaux. D’où l’intérêt de promouvoir la R&D. Sous pression, l’ensemble des écosystèmes a bien tourné et a montré sa capacité à agir plus vite et efficacement, détaille Fikrat. Bachiri, lui, estime que la souveraineté industrielle ne doit pas être perçue comme du protectionnisme. Au contraire, elle doit permettre au Maroc de se repositionner sur les chaînes de valeurs mondiales en mettant à profit les atouts du pays. «Nous avons aujourd’hui une véritable filière de l’énergie verte. Donc, nous avons une longueur d’avance par rapport à d’autres pays concernant la décarbonation de l’industrie. De même, le Royaume ne manque pas de matière grise capable de révolutionner l’industrie et la faire monter davantage dans les chaînes de valeurs mondiales», estime Bachiri. Ces atouts devraient permettre au Maroc de se présenter même comme une alternative à l’Asie, estime pour sa part Slaoui du cabinet Valyans. Pour y arriver, poursuit-elle, nous devons changer notre perception du produit made in Morocco. «Si nous n’avons pas confiance dans le produit marocain, comment donc le positionner à l’échelle internationale ?», s’interroge-t-elle. Un choc de mentalité est donc à opérer pour pouvoir percer à l’export.r> 

 

Les messages clés

Mohammed Bachiri, directeur général du groupe Renault Maroc, vice-président de la CGEM et président de la Commission innovation et développement industriel

r>«La Sandero fabriquée à Tanger par des Marocains est la voiture la plus vendue en Europe»

r>• Le Maroc a renforcé sa légitimité à l’échelle internationale comme étant un pays sûr qui sait ce qu’il fait et où il va.r>• Le Maroc a été impacté, comme partout ailleurs, par la hausse des prix des matières premières et on en constate les effets sur le coût de production. Nous ne pouvons pas répercuter ces hausses sur le client final.r>• Il y a un travail à faire au niveau des entreprises elles-mêmes et avec les autorités publiques pour protéger les industriels.r>• La gestion de l’approvisionnement en matière première sur le marché local est un travail de longue haleine. Nous avons déjà amorcé le mouvement en signant avec le groupe Managem un accord pour s’approvisionner en cobalt, une première dans l’histoire du Maroc industriel. Celui qui contrôle la matière première et sa transformation, arrive à maîtriser toute la chaîne de valeur.r>• D’autres prospections sont en cours pour s’approvisionner localement en matière première et sécuriser le futur de l’industrie automobile au Maroc. Avec le ministère de l’Industrie, nous travaillons sur des projets de production locale de composants industriels à partir de matières premières locales. Le raisonnement à faire prévaloir doit être de satisfaire le besoin en local et exporter.r>• Nous avons la chance d’avoir des matières premières rares qu’il faut transformer pour des usages industriels. La souveraineté industrielle ne signifie pas le protectionnisme. Le Maroc doit avoir la main sur tout son secteur industriel en respectant les accords qu’il a à l’internationale.r>• Le Maroc doit capitaliser un savoir-faire et continuer à créer des écosystèmes avec des marques internationales fortes. Il faut avancer progressivement et ne pas brûler les étapes. Le développement de marques marocaines viendra après. Il y a un travail de fond à faire au niveau de la communication sur la production nationale pour augmenter le capital confiance du consommateur marocain. Cette confiance en le produit marocain implique également le secteur de l’enseignement.r>• La notion du Made in Morocco doit être enseignée à l’école, au collège et dans les universités et écoles d’ingénierie et de formation professionnelle.r>• Nous sommes conscients que, dans le secteur automobile, nous devons capter d’autres commodités qui n’existent pas au Maroc et notamment celles à forte valeur technologique.r>• Nous étudions l’option de mettre en place le label « fabriqué au Maroc». La CGEM a demandé que ce label soit intégré en tant que critère de sélection dans les futurs appels publics. Parmi les critères d’octroi de ce label, celui d’avoir un taux d’intégration de 40%.r>

Souad Badri

 

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