Saïd Naoumi
16 Octobre 2022
À 17:28
Ce n’est plus un risque, c’est désormais une âpre réalité. Le Maroc, à l’instar d’autres pays à travers le globe, est entré dans un cycle de stress hydrique. La problématique est en train de prendre des envergures tellement inquiétantes que de nombreuses régions du pays ont observé, l’été écoulé, des réductions de débit, voire carrément des coupures d’eau. Face à cette situation, l’État multiplie les projets et étudie les différentes options devant lui permettre de sortir la tête de l’eau en rationalisant la consommation de l’or bleu dans les différents secteurs de l’économie. L’une des options que le pays doit inéluctablement entreprendre est la révision substantielle de la tarification de l’eau, aussi bien pour l’agriculture et l’industrie que pour les ménages des tranches 3, 4 et 5. Mais comment en est-on arrivé là ? Sur quelles causes faut-il agir en priorité ? Quelles solutions pour sécuriser les ressources en eau et en garantir la durabilité ? Des questions qui ont été largement abordées dans le cadre de la Matinale organisée par Groupe «Le Matin», le 13 octobre à Casablanca, sur la thématique de la pénurie de l’eau au Maroc.
- Il est très important que l’on puisse renforcer nos connaissances sur la ressource en eau.
- La question qui se pose aujourd’hui est de savoir le volume de pluviométrie au Maroc. Nous avons un bilan qui existe depuis très longtemps et qui a besoin d’être mis à jour.
- Dans un pays qui a une très grande variabilité climatique, nous avons besoin de savoir véritablement si nous disposons de 20, 18 ou 16 milliards de m³ en année humide.
- Nous devons approfondir nos connaissances sur les eaux souterraines, notamment les eaux renouvelables, soit 3 ou 4 milliards de m³.
- Le Maroc se doit de maîtriser toute la data sur l’empreinte eau, que ce soit sur les primeurs, l’avocat, les pastèques, etc. Cette maîtrise nous permettra de définir clairement le besoin en eau pour un kilogramme de production, qu’elle soit agricole ou industrielle.
- Nous avons beaucoup de déserts d’observations et de zones dont on ne maîtrise pas toute l’information hydrique.
- Pour développer ce système d’information, l’État a fait des efforts, mais les acteurs privés, les collectivités territoriales et les citoyens sont également appelés à contribuer.
- L’autre grande information importante est la comptabilité nationale de l’eau. C’est-à-dire que chaque année, nous devons être capables de dire que nous avons tant en ressources en eau et que ces dernières nous coûtent tant en mobilisation, en production et en transport.
- Il est aujourd’hui plus important de maîtriser le vrai coût du mètre cube d’eau que celui du baril de pétrole.
- Mobiliser des eaux superficielles est une décision très bénéfique pour le Maroc, mais il faut tenir compte des contraintes environnementales, notamment l’envasement.
- La question aujourd’hui est de se projeter dans le futur en continuant à construire des barrages sur la base d’études hydrauliques.
- Le Maroc devra passer à l’usage des eaux non conventionnelles, notamment le dessalement, la réutilisation des eaux usées et la collecte des eaux pluviales.
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Abdelaziz Zerouali, directeur de la Recherche et de la planification de l’eau au département de l’Équipementr>Il faut que l’eau paye l’eau, mais au Maroc, il y a toujours eu une subvention de l’État
- Les investissements engagés aujourd’hui sont beaucoup plus importants et ils ont été boostés par les cycles de sécheresse.
- Je pense que si l’on avait un bon cycle pluviométrique, on aurait certainement reporté les investissements destinés à mobiliser davantage de ressources, notamment les stations de dessalement dont un bon nombre était programmé il y a déjà des années.
- La plateforme de dessalement pour Casablanca par exemple était planifiée depuis 2010 et celle de l’Oriental devait voir le jour en 2015.
- Le système de gestion se base sur le fait d’assurer 2 ans d’eaux potables au niveau d’un système hydraulique et le surplus est engagé pour l’irrigation.
- En 2021, on n’a pas donné plus d’un milliard à l’irrigation.
- Les eaux souterraines est un des points noirs que l’État tente de gérer.
- Toutes les sources du Maroc sont asséchées, les eaux fossiles n’existent pas partout. Il existe toutefois des sources sauvegardées pour lesquelles il n’y avait pas de prélèvement en amont, comme Aïn Asserdoun.
- Pour sauvegarder les eaux souterraines, il est urgent de réactiver la police de l’eau et d’augmenter les effectifs qui sont actuellement de quelques 200 agents.
- L’État a mis en place des «contrats de nappes», en fixant des dotations par hectare de terre agricole modulables selon la pluviométrie. Pour cela, il a fallu organiser les agriculteurs en associations, c’est un exercice difficile qui continue encore.
- L’effort de l’État doit être accompagné par une sensibilisation des agriculteurs pour empêcher de creuser des puits dans la nuit et échapper au contrôle.
- Si on avait suivi la Banque mondiale pour la construction des barrages, on aurait été assoiffés depuis 2010. Cette institution ne finance jamais de barrages pour des raisons écologiques.
- Les discussions sont en cours pour intégrer la composante de la tarification dans le plan national de l’eau.
- La hausse des tarifs ne va pas toucher les consommations basses de l’eau, ce qui est visé ce sont les tranches supérieures.
- Nous avons une pénurie d’eau importante que nous gérons, mais si les pluies tardent à venir, nous aurons certainement des coupures d’eau.
- À Marrakech, nous avons lancé des audits de consommation d’eau au niveau d’une centaine d’établissements.
- Les industriels doivent lancer des écogestes pour économiser l’eau, le ministère est prêt à les soutenir.
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Agriculture-eau : clash entre le ministère et un professeur de l’IAV
Mohamed Teher Sraïri, professeur à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II
- L’eau à usage domestique ne dépasse pas les 10%, le reste est destiné à l’agriculture. Il faut entamer une discussion très franche à ce niveau.
- Au début du 20e siècle, l’idée d’intensifier la culture s’est installée et donc le volume des terres irriguées a augmenté.
- Les périmètres irrigués ont été créés et organisés, notamment dans le cadre des ORMVA, et les tarifs de l’eau sont restés inchangés, autour de 0,5 DH/m³. Un prix largement inférieur au tarif des premières tranches dans les villes.
- Nous sommes allés dans ce mythe d’intensification de l’eau d’irrigation en pensant que c’est la solution pour produire plus. Or les chiffres sont clairs ! Aujourd’hui, on n’irrigue que 15% des surfaces agricoles utiles.
- Nous sommes arrivés aux limites du mythe de l’irrigation, nous sommes même en train de régresser.
- L’irrigation privée a compliqué les choses, puisqu’elle fait appel aux nappes souterraines grâce aux techniques de pompage. Le coût du m³ augmente et donc on ne peut plus valoriser cette ressource.
- Nous avons augmenté de manière progressive les besoins de l’agriculture en eau jusqu’à atteindre des niveaux d’usages insoutenables.
- Quand vous mettez dans une zone où il pleut mois de 100 mm une culture qui a besoin de 1.000 mm, la réponse est claire ! Et on voit bien où ça nous a menés.
- Arrêter de subventionner certaines cultures à haute valeur ajoutée dans l’export est un déclin de l’avancée de l’agriculture.
- On ne pointe pas la culture de l’avocat ou de la pastèque, on est contre sa culture dans des zones à faible pluviométrie.
- Oui, l’eau permet de créer des richesses, mais il faut un minimum de respect des équilibres écologiques.
- Quand, au bout de la chaîne, la ville de Zagora se retrouve sans eau pour les citoyens, je pense qu’il faut se poser la question sur la vraie raison.
Mohamed Ouhssaïn, chef de la division de la Promotion et de la régulation des PPP en irrigation
- Dire que 90% des ressources en eau sont utilisées en agriculture est faux, archi-faux. On parle de 20 à 25%.
- Depuis le début de l’irrigation en 1968, nous n’avons jamais atteint ce volume, il y a eu toujours des déficits sur les dotations allouées à l’agriculture. Cette année, 0 m³ d’eau est destiné à l’irrigation.
- Le secteur agricole draine 4 milliards de m³ sur les 19 mobilisables à partir des barrages. C’est donc à peine 25%. On est bien loin des 85% attribués à l’activité agricole.
- Le Maroc n’exporte pas ses eaux dans les fruits et légumes. Les bilans scientifiques très précis sur l’eau exportée dans ces expéditions agricoles vers l’étranger le prouvent.
- Le Maroc est plutôt un importateur net de 7 milliards de m³ par an, soit la moitié de la capacité de mobilisation du pays.
- Notre potentiel en eau souterraine se chiffre dans les meilleurs des cas à 4 milliards de m³/an. Ce qui constitue seulement 18% de nos potentiels en eau qui sont estimés à 22 milliards de m³.
- La décision de suspendre les subventions pour des cultures consommatrices d’eau vise à limiter les superficies pour ces cultures et maintenir leur avantage économique.
- La culture de la pastèque ne couvre que 4.000 ha dans la région de Zagora et sa consommation d’eau ne dépasse pas les 4.000 m³ par saison.
- Depuis 1987, l’État n’intervient plus dans les choix des cultures, c’est l’agriculteur qui le fait.
- La gestion de l’eau est historique au Maroc, il faut chercher dans l’histoire et se rendre compte que le Royaume a toujours excellé dans ce domaine, ce n’est pas aujourd’hui qu’on va apprendre.
- Contrairement à ce qui est véhiculé par ci et par là, le Plan Maroc vert (PMV) a permis au Royaume d’assurer sa sécurité alimentaire au moment où des pays ont vécu des pénuries de fruits et légumes pendant la crise de la Covid.
- Nous ne mettons pas en place des stratégies dans l’air, ce sont des études et des analyses d’experts.
- Grâce au PMV, nous avons équipé plus de 700.000 hectares en goutte-à-goutte et économisé 1,5 milliard de m³ d’eau.
Souad Badri