Société

Visa Schengen : les rendez-vous au marché noir !

Les réseaux sociaux ne parlent pratiquement que de ça ! Cette année, avec la récente ouverture des frontières, c’est le rush sur les plateformes de BLS et TLS pour se rendre en Espagne ou en France, deux destinations phares des Marocains. Seulement, les rendez-vous sont pratiquement introuvables et les délais d’obtention du visa s’allongent, compromettant parfois les voyages de nombreuses personnes. Sur les réseaux sociaux, beaucoup dénoncent tout un écosystème qui s’est greffé autour des visas : les rendez-vous sont vendus par des «intermédiaires» ou des «agences» qui rivalisent d’ingéniosité pour offrir les meilleurs prix. Un business apparemment juteux. Enquête.

11 Mai 2022 À 17:39

Après deux années de crise sanitaire, les Marocains attendent les vacances estivales sur des charbons ardents. Enhardis par la levée des mesures restrictives, nombreux sont ceux qui ont commencé à préparer leur voyage à l’étranger. Mais les choses ne se passent pas comme prévu pour tout le monde. Si pour certaines destinations, le parcours pour obtenir le visa est assez fluide, pour d’autres, il s'avère plutôt compliqué. C’est notamment le cas des personnes qui souhaitent se rendre en France ou en Espagne. Deux destinations favorites des Marocains.

Dur, dur de trouver un rendez-vous pour le visa !

À l’approche de l’été, les demandes de visas pour s’y rendre explosent. Si plusieurs personnes ont dû faire face à des refus, d’autres ne parviennent même pas à obtenir un rendez-vous. Le sujet enflamme les réseaux sociaux. Les internautes y partagent leurs mésaventures et appellent les autorités à trouver une solution. «Lorsque nous avons décidé de partir en Espagne cet été, nous étions loin d’imaginer que nous allions galérer autant, rien que pour obtenir un rendez-vous pour le visa Schengen. Je tente ma chance chaque jour, depuis plus de deux semaines, mais en vain», se lamente Loubna, dans un groupe de voyageurs marocains sur Facebook. «Au début, il fallait absolument se connecter toutes les demi-heures, car le système faisait apparaître quelques dates vides en vert. Mais le temps de remplir les données, soit ça nous fait revenir à la page d’accueil, soit ça bloque. Maintenant, de jour comme de nuit, il n'y a rien du tout. Il n'y a qu'à voir mon historique pour avoir une idée sur le nombre d'essais que j'ai effectués jusqu'à présent. On attend que quelqu'un tombe sur l'ouverture des dates pour le mois de juin pour essayer. C'est très pénible ! Dans les infos, ils ont dit que les autorités allaient faciliter la procédure. Là, nous demandons simplement de nous donner la possibilité de prendre un rendez-vous, on ne parle même plus d'accepter ou de refuser l'octroi du visa», développe-t-elle. «Je connais beaucoup de personnes qui ont pu obtenir leur visa pour aller en Espagne ces derniers jours. On leur a même accordé des durées assez longues, trois mois et plus. Par chance, ces personnes s’y sont prises à l’avance. Mais maintenant, on a l’impression que c’est mort. Il faut absolument trouver un plan B. Rien que pour prendre un rendez-vous pour déposer nos dossiers, on nous en fait voir de toutes les couleurs !», renchérit une autre internaute.

Selon des témoignages de personnes ayant décroché le sésame, il faut 1 mois et 20 jours pour un visa auprès de l'Espagne, voire au-delà. Autant dire que les vacances d'été sont compromises et qu'il faut changer de plan. Une situation qui est vivement dénoncée. Des dizaines de témoignages sont en effet publiées tous les jours sur les réseaux sociaux. Les demandeurs de visas, en particulier dans les centres de Casablanca et Rabat, désespèrent et se demandent pourquoi la prise de rendez-vous est devenue si difficile. Pour s’en assurer, la rédaction du «Matin» a fait l’expérience de réserver sur le site de BLS International, le plus sollicité en cette période, mais aucune date n’est disponible d’ici fin mai. Pourquoi ?

Le juteux business des intermédiaires

La difficulté d’obtenir un rendez-vous pour déposer la demande de visa est principalement due aux intermédiaires, selon nos investigations et de nombreux témoignages. «Pour prendre un rendez-vous, il faut absolument payer un “semsar”, sinon aucun moyen de trouver un créneau libre. Quand arnaque et corruption s’immiscent même dans nos plans de vacances, et personne ne dit rien. C’est honteux !», proteste une internaute. «C’est devenu une mafia de rendez-vous. Le site se bloque à chaque fois que les dates sont disponibles, il est devenu pratiquement impossible de réserver un créneau», témoigne une autre personne.

Pour protester, des personnes parlent d’un projet de pétition contre les intermédiaires pour faire entendre leur voix et arrêter cette pratique. «Il faut absolument faire quelque chose pour que ça cesse. Lancer une pétition est une très bonne idée. Il paraît que c'était aussi le cas dans un autre pays maghrébin et qu'après la pétition à grande échelle, les services consulaires ont changé le prestataire», indique Adil sur Facebook.r>À en croire ces partages sur les réseaux sociaux, les intermédiaires feraient la pluie et le beau temps. Ils sont d'ailleurs de plus en plus nombreux à proposer leurs services en ligne. Ils accapareraient pratiquement la totalité des rendez-vous de dépôt de dossiers dès que ceux-ci sont disponibles, avant de les écouler au prix fort à certains demandeurs de visa. Il suffit de taper BLS ou TLS sur la barre de recherche sur Facebook pour tomber sur une liste d’intermédiaires ou de pseudo «agences» qui promettent les fameux rendez-vous en les contactant simplement sur un numéro whatsApp. «Le Matin» a tenté de joindre deux d’entre eux, en se faisant passer pour des «clients», pour mieux comprendre les rouages de ce business. Très réactives, ces personnes demandent simplement une copie de la première page du passeport. Nous avons aussi appris que le prix varie selon la ville. Casablanca et Rabat sont les plus chères. Le prix dépend aussi du nombre de personnes qui vont voyager. Pour une famille de 4 personnes, par exemple vivant à Casablanca, ce rendez-vous coûtera entre 400 et 600 DH par voyageur. Ce montant peut atteindre 1.000 DH pour une personne qui voyage seule. «Nos intermédiaires» nous ont expliqué qu’ils disposent de scripts spéciaux leur permettent d'intercepter les rendez-vous dès qu'ils s'affichent sur les plateformes. Mais en ce moment, ils n'ont rien à offrir avant début juin, car tout est full. Nous n’avons malheureusement pas pu recouper ces informations auprès des centres BLS International et TLS Contact Maroc, qui sont restés injoignables, ni les interroger sur les tenants et aboutissants de cette situation pour le moins inédite.

Anticiper pour éviter le problème de saturation des créneaux de rendez-vous

Sollicitée par nos soins, une source de l’ambassade d’Espagne a préféré s’accorder du temps et a promis de nous fournir des réponses ultérieurement. Nous avons, en revanche, pu joindre une responsable à l’ambassade de France qui a recommandé aux demandeurs de visas de ne jamais recourir aux intermédiaires pour dénicher un rendez-vous. «Tout demandeur de visa voulant obtenir un rendez-vous devrait l’avoir. C’est tout à fait légitime. Le problème se pose pendant certaines périodes comme celle des vacances d’été. Il faut essayer d’anticiper pour ne pas être confronté au problème de saturation des créneaux de rendez-vous. On recommande aussi, au niveau de l’ambassade et des consulats généraux, à tous les demandeurs de visa de se connecter personnellement à la plateforme des rendez-vous et ne jamais recourir aux services des prétendus intermédiaires», indique notre source. Et d’ajouter que «depuis l’ouverture des liaisons aériennes, nous constatons que la demande des visas est très forte ces derniers mois. Et face à cette demande, nous ouvrons de nombreux créneaux de rendez-vous qui sont différenciés selon le type et la durée des visas demandés. Pour éviter les refus, il est important d’avoir un dossier très complet avec tous les justificatifs tel qu’indiqué sur le site France Visa. Il est à souligner que malgré les contraintes qui dépendent du nombre important des rendez vous pris, un grand nombre de refus est motivé par des informations incomplètes, erronées et parfois fausses, concernant les réservations d’hôtel, notamment».

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Faute de visa, des voyageurs se rabattent sur la Turquie

Les prochaines vacances d’été marquent le grand retour des voyages à l’étranger. Les agences de voyages, lourdement impactées par la crise sanitaire, ont repris leurs vieilles habitudes et ont préparé plusieurs offres adaptées aux différents goûts et budgets. Les complications d’obtention du visa Schengen constatées par les demandeurs auront-elles un impact négatif sur leur activité ? Apparemment, non. «Nous avons préparé différentes offres à destination de l’Espagne : Las Palmas, Costa del Sol, Andalousie, Barcelone, Madrid… Mais aussi vers le Portugal et la France, de courte et moyenne durées. Ce sont, en effet, les destinations les plus prisées par les Marocains pour l’été. Jusque-là, nous ne constatons aucun souci au niveau des réservations. Nos clients arrivent avec leur visa comme d'habitude et choisissent la formule qu’ils préfèrent. Nous avons remarqué, par ailleurs, que la plupart des personnes qui n’ont pas pu obtenir leur visa optent cette année pour la Turquie», nous indique une responsable marketing d’une agence de voyages à Marrakech. Même son de cloche auprès de deux autres voyagistes à Casablanca.

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