03 Mai 2023 À 12:10
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Le Maroc a tout intérêt à développer l’amont agricole de sa filière oléagineuse pour assurer sa souveraineté alimentaire dans un contexte mondial marqué par la montée fulgurante des tensions inflationnistes et la perturbation des chaînes d’approvisionnement en matières premières, en particulier oléagineuses. Ce postulat est le socle autour duquel la Fédération interprofessionnelle des oléagineux (FOLEA) a construit son Livre blanc. Un document en or qui renferme des conditions et fixe des orientations stratégiques pour le développement du secteur des oléagineux au Maroc.
Réalisé par le cabinet Oaklins Capital, le document constitue, selon la FOLEA, un prélude aux discussions autour du futur contrat-programme 2023-2030 de développement de la filière. Les mesures que propose la profession sont de nature à enclencher une véritable révolution dans une filière si vitale pour le pays.
Concrètement, dans le plan de développement proposé, la FOLEA met la barre plus haut en déclinant des objectifs beaucoup plus ambitieux que ceux fixés par la stratégie Génération Green 2020-2030. La profession suggère de porter les superficies agricoles dédiées à la culture des oléagineux à 160.000 hectares à l’horizon 2030, dont 100.000 ha pour la culture du tournesol et 60.000 pour le colza. Dans Génération Green, l’État, lui, table sur 80.130 ha sur le même horizon, dont 50.370 pour le tournesol et 29.760 ha pour le colza. S’agissant des rendements moyens cibles, comprenez le nombre de quintaux par hectare, le plan de la FOLEA table sur 15,20 quintaux par ha pour le tournesol et 19,3 pour le colza. Soit un rendement moyen pour l’ensemble des cultures oléagineuses de 16,75 quintaux/ha. Côté production, la profession table sur 268.000 tonnes d’ici 2030 contre uniquement 147.275 tonnes ciblées par Génération Green. Précision importante : ces objectifs proposés s’appuient sur le scénario d’une intégration de la culture des oléagineux aux cultures irriguées, en plus d’une poursuite de l’effort d’extension des surfaces en bour.
La feuille de route que propose la FOLEA est construite autour de 8 axes-mesures dûment étudiés :
En clair, la profession appelle à une priorisation des territoires les plus propices à la culture des oléagineux et à une sensibilisation des agriculteurs à l’agrégation. À cela, s’ajoute l’amélioration des rendements grâce à un meilleur suivi technique et une meilleure conduite de la culture. Le tout assorti de la production de graines de meilleure qualité adaptée aux besoins de la trituration industrielle (avec un faible taux d’impuretés). Sur le terrain, la FOLEA suggère d’encadrer le développement de 100.000 ha de cultures oléagineuses en bour bénéficiant des avantages de l’agrégation tels que l’accès aux semences certifiées et l’encadrement technique, entre autres. Selon la vision de la profession, l’encadrement à réaliser doit être effectué de manière structurée, en privilégiant en priorité les zones les plus favorables au développement des oléagineux. Rappelons qu’à fin 2021, l’estimation des superficies cultivées en bour est de près de 38.000 ha. Les objectifs de la filière consistent à réaliser une croissance annuelle moyenne de 11% pour atteindre l’objectif des 100.000 ha à horizon 2030. De même, la Fédération recommande d’encadrer le développement des cultures oléagineuses en périmètre irrigué à travers des actions de sensibilisation et de formation. L’objectif étant d’améliorer l’attractivité de la culture pour les exploitations de taille petite à moyenne et utiliser les progrès apportés par le digital pour avoir un suivi en temps réel des parcelles en oléagineux. Si la FOLEA propose cette mesure, c’est que les résultats «mitigés» du contrat-programme sont principalement dus à un manque de moyens et d’accompagnement spécifique et rapproché. En plus, affirme la profession, la faible maîtrise des itinéraires techniques conduit à une production de graines de qualité médiocre.
La deuxième mesure proposée par la FOLEA porte sur l’accession des agriculteurs spécialisés en oléagineux à une irrigation d'appoint. Résultats attendus, une accélération de la croissance des superficies et de la production de la filière, une production durable indépendante de la pluviométrie et une amélioration de la fertilité des sols et de la rentabilité des cultures à travers l’association de cultures annuelles aux oléagineuses. Dans le détail, le plan de la FOLEA propose une intégration des cultures oléagineuses à des périmètres irrigués avec l’octroi de droits d’accès à l’eau d’irrigation réservés à l’agriculture, en plus de la mise en place d’une irrigation d’appoint permettant un gain de rentabilité «significatif».
Autre suggestion dans cette même mesure, l’utilisation de quotas d’accès à l’eau d’irrigation réservés à la culture oléagineuse pour attirer à la filière de nouvelles exploitations au sein de périmètres irrigués. Ces exploitations pourront bénéficier de l’ensemble des avantages que procure le dispositif d’agrégation objet du contrat-programme de la filière. De même, la filière propose le développement de 30.000 ha de culture de tournesol en dérobé sur une partie du périmètre irrigué de la culture de betterave à sucre (50% des 60.000 ha existants). Les actions d’identification et d’accompagnement des exploitations sont à mener en partenariat avec la Cosumar. Par ailleurs, la profession recommande le développement de 20.000 ha de culture oléagineuse sur une partie du périmètre irrigué des cultures d’hiver et d’automne (céréales, légumineuses, etc.) dans une logique de développement des rotations blé-oléagineux-légumineuses qui impactent positivement les sols et donc les rendements de l’ensemble de ces cultures à terme. Rappelons que le périmètre actuel est de 378.000 ha. La superficie à convertir correspondrait à 5,3% de l’ensemble du périmètre irrigué. Autre action proposée par la FOLEA, le développement de 10.000 ha de culture oléagineuse sur une partie du périmètre irrigué des cultures de printemps (maïs, haricot, etc.). Le périmètre actuel couvre 80.000 ha dont 22.000 ha seulement sont cultivées. Un faible apport d’appoint suffirait, à en croire la profession, à développer une culture oléagineuse «performante» et «bénéfique» sur les plans économique et agronomique. Encore une fois, la profession révèle qu’en dépit des mesures de soutien de la filière mises en place, les objectifs fixés pour les superficies par le contrat-programme n’ont pas été atteints. En fait, la filière pâtit de plusieurs contraintes : exploitations fragmentées, fortes variations des superficies d’année en année, faible recours à l’irrigation, etc. Or, souligne la filière, les cultures oléagineuses sont peu gourmandes en eau et ne nécessitent qu’une irrigation d’appoint.
La facilitation de l’accès aux semences certifiées produites localement est la troisième mesure suggérée par la corporation. Il s’agit, en effet, d’améliorer l’accessibilité des agriculteurs aux semences certifiées distribuées par l’agrégateur de sorte à accélérer leur adoption par les agriculteurs. La FOLEA propose ainsi à ce que l’État subventionne la semence certifiée et que l’agrégateur se charge de la distribution et du financement en début de campagne de la semence certifiée pour un remboursement prélevé en fin de campagne sur le prix d’achat de la récolte.
La mesure renferme également d’autres actions notamment l’encadrement rapproché de l’agriculteur par l’agrégateur pour une utilisation appropriée de la semence, une optimisation de ses rendements et un appui à la Rechrche & Développement (R&D) dans la filière pour le développement de nouvelles semences adaptées aux caractéristiques des différents territoires. Ce qui aura la vertu d’encourager la production locale des semences certifiées, améliorer les rendements et partant stimuler les revenus des agriculteurs. Selon la FOLEA, l’utilisation de semences de tournesol communes permettant d’obtenir des graines de gros calibres destinées à la consommation de bouche est aujourd’hui privilégiée au Maroc. Les semences certifiées, faiblement utilisées dans la filière (<20% de la superficie emblavée pour le tournesol), sont plus adaptées à une destination industrielle (trituration) puisqu’elles permettent d’obtenir une graine à plus forte teneur en huile et des rendements supérieurs. Or le coût plus élevé de la semence certifiée limite son adoption en début de campagne, a fortiori en zone bour dont les rendements fluctuent fortement en fonction de la pluviométrie. D’où l’intérêt pour l’État comme pour la filière d’optimiser l’accès aux semences certifiées à travers une subvention dédiée.
L’encouragement de l’entrepreneuriat agricole constitue le quatrième axe-mesure de la feuille de route que propose la FOLEA. Celle-ci appelle à encourager en particulier la création d’entreprises agricoles prestataires de service et distributeurs d’intrants à travers des engagements de l’agrégateur (GIOM/FOLEA) en matière d’accompagnement des sociétés de prestations de services agricoles (prestations mécaniques, distribution d’intrants agricoles et transport). La profession propose par exemple de développer des partenariats pérennes avec l’agrégateur (GIOM) garantissant à ces sociétés un volume d’activité minimum au niveau de leurs périmètres géographiques d’intervention. De même, suggère la filière, l’encadrement technique personnalisé des sociétés, selon leur besoin, permettra une utilisation optimale des facteurs de production dans le cadre des prestations agricoles réalisées au sein des exploitations agrégées. La profession revendique par ailleurs un soutien financier de l’État sur la période 2023-2030 afin d’appuyer la création de sociétés de prestations de services agricoles dans le cadre d’un programme d’incubation. Elle propose aussi un soutien de l’État à l’acquisition de matériel agricole destiné à la filière dans le cadre du Fonds de développement agricole (FDA).
La profession estime que l’opérationnalisation de ces actions est de nature à améliorer l’accessibilité des agriculteurs aux facteurs de production (intrants et mécanisation), optimiser l’investissement dans la filière à travers la mutualisation des ressources et surtout encourager les initiatives locales notamment des jeunes tout en favorisant la création d’emploi rural et l’émergence d’une classe moyenne tel qu’envisagé par Génération Green. À en croire la FOLEA, le Plan Maroc vert aura permis une nette amélioration du taux de pénétration de la mécanisation dans la conduite des cultures. Valeur aujourd’hui, le parc des machines agricoles est constitué de 75.000 tracteurs et 7.000 moissonneuses. Cela a permis également l’émergence d’un écosystème de prestataires de services agricoles et la création d’opportunités supplémentaires d’emplois en milieu rural. Aux yeux de la filière, le développement des cultures oléagineuses nécessitera l’existence d’une offre de prestations de services agricoles adaptées aux spécificités de la culture et équipés d’outils dédiés (semoirs combinés/de précision).
La cinquième mesure que suggère la filière tient à un élément vital : le prix. En effet, la FOLEA est favorable à la mise en place d’un dispositif d’affichage, dès le début de campagne, d’un prix plancher suffisamment rémunérateur pour l’agriculteur. Concrètement, la filière propose une simplification du mode de calcul de la compensation en améliorant le système actuel selon des principes clairs et précis. Ainsi, le montant compensatoire doit garantir à l’agriculteur un niveau de marge acceptable quelle que soit l’évolution du prix de la graine ou des coûts de production. De même, du point de vue du triturateur, le coût de revient de la graine locale doit être équivalent au cours international FOB, sous l’hypothèse qu’elles sont comparables en termes de rendement (utilisation d’une semence certifiée), et sachant que l’achat de la graine locale permet d’éviter les coûts de fret liés à l’import de la graine internationale (300 à 400 DH/tonne).
La FOLEA estime dans ce sens qu’aucun montant compensatoire n’est nécessaire si le cours international garantit un revenu suffisant à l’agriculteur. Selon la profession, le montant compensatoire pourrait être calculé de manière simplifiée. Voici la formule proposée par la FOLEA : le montant compensatoire = (coût de revient de la graine locale) – (coût de revient de la graine internationale) lorsque cette différence est positive. En outre, le prix d’achat agriculteur peut être déterminé par indexation sur l’inflation et/ou le cours international de matières premières (engrais, énergie, etc.). La filière propose un prix d’achat plancher de l’ordre de 6.000 DH/tonne départ champs. La subvention de collecte, elle, pourrait être de l’ordre de 600 DH/tonne avec indexation sur l’inflation au Maroc. La profession assure être convaincue que la systématisation de la compensation permettra d’apporter davantage de sérénité aux intervenants de la filière, principalement à l’agriculteur, en amont de la campagne, au moment du choix de la culture à réaliser (généralement avant septembre).
La filière appelle donc à inscrire les modalités d’octroi de la compensation dans le futur contrat-programme de développement de la filière. Pour rappel, dans le cadre du mécanisme de compensation actuel, le prix d’achat à l’agriculteur (5.000 DH après négociations annuelles) est compensé par l’État à hauteur du différentiel entre le prix agriculteur et le cours international diminué d’un mark-up permettant à l’industrie de trituration de bénéficier d’une graine locale à un coût de revient inférieur au cours international. Selon la FOLEA, cette compensation se justifie, d’une part, par l’effort des triturateurs et leur engagement à soutenir la filière amont, et d’autre part par la faible teneur en huile de la graine locale par rapport à la graine d’import lors des premières années d’agrégation. L’industrie de trituration bénéficie également d’une marge additionnelle rémunérant son effort de collecte auprès de l’agriculteur. Selon la profession, le système de compensation tel que défini dans le contrat-programme sectoriel 2013-2020 ne permettait pas à l’agriculteur de dégager une marge acceptable et à l’agrégateur de proposer de manière systématique en début de campagne à l’agriculteur un prix d’achat validé par l’État, faisant peser sur le GIOM un risque financier important.
Le renforcement de la subvention d’agrégation est la 6e mesure que suggère la FOLEA. L’objectif étant de mobiliser le financement nécessaire à la réalisation des objectifs de développement de la filière dans ses différentes composantes. La profession recommande l’instauration d’engagements de l’agrégateur (GIOM/FOLEA) en matière d’encadrement des agriculteurs et de projets de développement de la filière. Pistes suggérées : mise en place de projets de mécanisation de la production et notamment du désherbage et installation d’une de stockage de capacité suffisante pour absorber le volume de production croissant. Autre recommandation, le développement d’outils digitaux pour améliorer la productivité de l’amont agricole à l’instar de la filière sucrière. Et cerise sur le gâteau, le développement de projets R&D notamment en matière d’amélioration variétale.r>Le soutien financier de l’État sur la période 2023-2030 (montants et modalités de suivi et d’octroi des subventions) est à fixer en concertation avec la profession. Rappelons que le système d’agrégation (toutes filières confondues) prévoyait jusqu’à récemment une obligation de maintien d’un taux de rotation des superficies agrégées ne dépassant pas 20% par an, excluant de facto la filière oléagineuse, de l’octroi de la subvention d’agrégation. Avec la récente modification des conditions d’octroi de cette subvention, la profession juge nécessaire de réévaluer les besoins de subvention au regard des nouveaux objectifs du futur contrat-programme 2023-2030 en termes de superficies à développer et des composantes d’appui à couvrir (stockage, mécanisation, digitalisation, etc.).
Dans la septième mesure que propose le Livre blanc, la FOLEA recommande de donner un avantage concurrentiel à la production locale de tourteaux au titre de la souveraineté alimentaire. Pour la profession, cela aurait des impacts positifs sur la filière notamment la protection de la production locale des tourteaux produits à partir de graines locales ou d’import afin de pérenniser les outils de trituration, le renforcement de la compétitivité de la production nationale et, le plus important, la réduction de la dépendance aux importations et l’amélioration de la souveraineté alimentaire du pays. Concrètement, il s’agit, selon la FOLEA, de mettre en place un système de protection de la production nationale de tourteaux. Celle-ci peut correspondre par exemple au système de protection de la filière céréalière, à savoir renforcer les droits de douane durant la période de forte disponibilité de la production nationale de sorte à faciliter son écoulement, et réduire les droits de Douane durant les périodes de pénurie. Un monitoring rapproché des niveaux de production conjointement entre FOLEA et le département de l’Agriculture en plus de l’instauration d’une consultation annuelle de la profession et de l’autorité de tutelle lors de la fixation des droits de Douane et des périodes de mise en place sont jugés importants par la profession qui rappelle que le Royaume est fortement dépendant aux importations de tourteaux. L’envolée des prix des matières premières et du fret suite aux crises internationales successives (Covid-19 et guerre en Ukraine) contribue à une prise de conscience de l’ensemble des acteurs nationaux de l’importance de renforcer la souveraineté alimentaire nationale et de raccourcir les chaînes d’approvisionnement. Parallèlement, l’impératif de limiter la hausse du prix pour le consommateur et la faible production nationale a poussé le gouvernement à suspendre temporairement les droits d’importation applicables à certaines graines oléagineuses, huiles brutes et tourteaux. À plus long terme, estime la profession, un avantage donné à la production nationale de tourteaux constituera un levier d’équilibrage important entre protection de la production nationale et prix au consommateur.
La huitième mesure qui boucle l’ambitieuse feuille de route de la FOLEA porte sur l’adaptation de l’offre d’assurance multirisque aux besoins spécifiques de la filière. La corporation propose ainsi d’assurer une meilleure couverture à l’ensemble des agriculteurs en améliorant la couverture de l’assurance de niveau 1 (option privilégiée) ou en baissant les limites de superficie minimum exigée pour que les petits agriculteurs puissent bénéficier d’une assurance de niveau 2 et 3. La FOLEA recommande, par ailleurs, de revoir la base de calcul des rendements de référence retenus pour le calcul des indemnités de remboursement (retenir des rendements de référence par région et non par commune). Rappelons qu’en partenariat avec la MAMDA (Mutuelle agricole marocaine d'assurance), l’État avait instauré en 2011 un produit d’assurance «multirisque climatique» qui permet d’assurer les cultures contre les aléas climatiques. Ce dispositif, dédié originellement à la filière céréalière, a été étendu au colza et au tournesol lors de la campagne agricole 2014-2015. Toutefois, l’impact de ce produit d’assurance sur l’agriculteur s’est avéré limité, à en croire la profession. En fait, souligne la FOLEA, une majorité d’agriculteurs agrégés disposent du niveau d’assurance minimal (niveau 1) couvrant partiellement les dépenses engagées en début de campagne. Autre aberration : les niveaux 2 et 3 sont inaccessibles aux petites exploitations (10 ha minimum pour le niveau 2, 20 ha pour le niveau 3). De même, le rendement de référence utilisé pour le calcul de l’indemnité ne prend pas en compte les spécificités de la région.
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Nul doute, l’huile de table est l’une des denrées de base dans la consommation de la population marocaine. La preuve, les huiles végétales contribuent à hauteur de 9% dans le bilan nutritionnel marocain. Selon les données de la FOLEA, la consommation moyenne des huiles de table (tournesol, soja et colza) a quasiment triplé passant de 5,9 L en 1971 à 15,4 L en 2014. Dans son livre blanc, la profession souligne que le contexte de la filière a été marqué par la non-atteinte des objectifs fixés avec l'État dans le cadre du contrat-programme 2013-2020. Aussi, la période 2020-2022 s’est caractérisée par une consommation par tête importante en huiles de table (tournesol, soja et colza) atteignant les 12 à 13 L en 2022 et par une forte et longue inflation des matières premières entraînant une hausse du prix de l’huile de table avec un prix du litre qui est passé de 12 à 24 DH TTC. Et comme, il ne manquait que cela, la récente guerre en Ukraine a davantage fragilisé la chaîne d’approvisionnement.
La trituration étant une activité industrielle capitalistique, les investissements réalisés sont aujourd’hui mis à risque en raison d’un approvisionnement faible et irrégulier en graines, alerte la FOLEA. Au Maroc, on dénombre 2 unités de trituration des graines oléagineuses avec une capacité totale de 640.000 tonnes par an. «Ces unités constituent un maillon important à prendre en considération dans la problématique de souveraineté alimentaire du pays en matière d’huiles de table», souligne la profession. Toutefois, avec un taux d’utilisation de 5% couplé à un approvisionnement incertain localement, mais aussi à l’import (avec le contexte international actuel de guerre en Ukraine), la question de la viabilité économique des unités de trituration se pose.
Un tel taux d’utilisation met également à risque la sécurité des installations dont le démarrage, l’arrêt ou la mise en arrêt présentent un risque accru d’explosion. Il est à noter que pour maintenir l’outil industriel, il faudrait que les unités de trituration fonctionnement au moins 6 mois par an, afin d’atteindre l’équilibre financier permettant de couvrir les charges de structure de telles unités. Un arrêt de ces unités provoquerait une rupture de la chaîne de valeur de la filière et nécessiterait donc la mobilisation d’investissements importants pour toute relance ultérieure de cette activité capitalistique. Près de 500 à 800 millions de dirhams sont nécessaires pour une unité de trituration d’une capacité de 400.000 T par an.
La production de la filière oléagineuse représente entre 0,08 et 0,21% de la production agricole totale du Royaume, avec des fluctuations importantes ces dernières années. La filière occupe aujourd’hui 30.000 à 40. 000 ha de la surface agricole utile (SAU), en forte croissance pour la culture du colza et en stagnation pour la culture du tournesol. Par ailleurs, les plantes oléagineuses sont à plus de 99% cultivées en bour, souvent en dérobé, et essentiellement dans les régions de Rabat-Salé-Kénitra et Fès-Meknès. La fluctuation importante des surfaces cultivées s’explique, selon la filière, notamment par le fait que la culture du tournesol est considérée par les agriculteurs comme une culture de rattrapage lorsque la filière céréalière est sinistrée (excès d’eau ou grande sécheresse). Le recours à la culture du tournesol permet ainsi à l’agriculteur de limiter ses pertes. La filière a généré en 2021 une valeur ajoutée agricole de 80,4 millions de dirhams, soit 0,06% de la valeur ajoutée agricole nationale.
Le poids marginal de la filière dans l’amont agricole est principalement dû à la politique de libéralisation du secteur entamée en 1995 et qui a poussé les agriculteurs à abandonner progressivement ces cultures. Rappelons que la filière avait sa belle époque dans les années 1990 où la superficie en tournesol culminait à 200.000 ha et la production en graines était de plus de 160.000 tonnes. Cet essor était dû principalement à la garantie des débouchés de la production des agriculteurs et au prix assuré à la production qui était fixé par les pouvoirs publics. La période de déclin de la filière s’était enclenchée avec la libéralisation du secteur entamée en 1996. Résultat : la production locale a fortement chuté en raison d’un déficit de compétitivité de la production nationale par rapport aux importations.
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