14 Juin 2023 À 17:01
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Le Maroc semble s’affirmer comme le pays le plus compétitif en Afrique en ce qui concerne le développement industriel. Depuis bientôt deux décennies, le Royaume a fait de l’industrialisation l’un des axes prioritaires de la politique de développement national. D’importants progrès ont été réalisés en termes de diversification, de création de valeur ajoutée et d’emplois manufacturiers. À titre indicatif, entre 2011 et 2021 la valeur ajoutée manufacturière par habitant a augmenté avec constance, passant de 312 à 470 dollars, avec un pic à 512 dollars l’année précédant l’émergence de la pandémie. Toutefois, en dépit des progrès notables enregistrés, certains défis demeurent au niveau sectoriel et entravent la poursuite de la transformation structurelle. D’ailleurs, la part de la valeur ajoutée manufacturière dans la formation du PIB a eu tendance à diminuer relativement à celle des autres secteurs de l’économie, notamment sous l’effet de la crise de la Covid-19, passant de 15,8% en 2011 à 15,7% en 2019 puis à 14,5% en 2021. C’est ce qui ressort d’un nouveau rapport de diagnostic-pays réalisé par la Banque africaine de développement (BAD), qui servira notamment à l’élaboration de la nouvelle stratégie pour le Maroc sur la période 2024-2028.
Selon cette étude stratégique, la productivité industrielle au Maroc, bien qu’en forte croissance dans les secteurs sophistiqués tels que l’automobile et l’aéronautique, reste bridée par la prédominance du secteur informel et l’incapacité des PME à s’arrimer aux chaînes de valeur émergentes. Le secteur manufacturier, où les PME peinent à embaucher et où le travail non qualifié est majoritaire, ne parvient toujours pas à insuffler une dynamique de création d’emplois, notamment qualifiés. De plus, la destruction des emplois industriels traditionnels, par exemple dans la branche du cuir et du textile, n’est toujours pas compensée par la création d’emplois dans les secteurs émergents. Certes la contribution de l’emploi manufacturier à l’emploi total est demeurée stable, entre 11 et 12% de 2011 à aujourd’hui, soit environ deux fois plus importante que la moyenne africaine. Toutefois, ce taux est nettement inférieur à celui de la Tunisie (18,3% en 2021), et ceux des pays industrialisés d’Asie du Sud-Est (19% en moyenne).
Par ailleurs, l’industrie formelle, marquée par une forte concentration dans les zones métropolitaines, demeure inégalement répartie sur le territoire, contribuant au maintien des écarts de développement entre les régions. À cet égard, le tissu productif du Maroc continue d’être marqué par une forte polarisation de la production manufacturière (81%) dans les trois régions littorales de Casablanca-Settat (50%), de Tanger-Tétouan-Al Hoceïma (19%) et de Rabat-Sale-Kénitra (12%) impliquant une concentration équivalente de l’emploi manufacturier dans ces trois régions (80%), qui en concentrent respectivement 39%, 25% et 16%. Ainsi, les régions intérieures et méridionales du pays apparaissent comme notoirement exclues du processus de développement industriel, à l’exception de Fès-Meknès.
Le rapport précise, néanmoins, que dans les dernières années, la politique industrielle marocaine a organisé un redéploiement industriel basé sur une approche territoriale, par l’initiation de diverses formes d’agglomération d’entreprises, avec différents niveaux de spécialisation (zones industrielles aménagées, clusters, etc.). Ce développement industriel régional est mis en œuvre à travers l’installation de plateformes industrielles intégrées (P2I) et de technopôles, ainsi que par une stratégie de soutien et de labellisation des clusters. Hormis quelques clusters nés de l’initiative spontanée d’entrepreneurs privés, tous les dispositifs d’agglomérations d’entreprises ont été portés par les pouvoirs publics. Ce développement de pôles de compétences dans les régions est destiné à jeter les bases d’une industrialisation plus inclusive sur le plan spatial.
Cependant, l’accès au foncier, agricole et industriel, est une contrainte majeure au développement de l’investissement privé au Maroc. L’accès au foncier est de plus en plus difficile en raison de la complexité du statut foncier et de la diversité des règles de gestion des terrains. La diminution de la réserve foncière de l'État réduit l'offre de terrains utilisables pour l'investissement. Dans le secteur industriel, l’offre insuffisante des terrains qui répondent aux besoins des entreprises paraît être le facteur le plus contraignant. Ceci est dû aux décisions d’aménagement et à la configuration des zones qui ne correspondent pas aux besoins réels des investisseurs, aux capacités insuffisantes de l’administration foncière et surtout au manque de coordination. À cet égard, plusieurs réformes et projets en cours, dont la refonte du cadre juridique relatif aux zones industrielles et la création d’une plateforme numérique dédiée au foncier industriel, forment des avancées d’autant plus prometteuses qu’elles ont été réalisées en concertation avec le secteur privé et avec les acteurs régionaux.
Par ailleurs, les politiques de développement du secteur privé ont principalement visé à attirer des flux d’investissements directs étrangers (IDE), optant pour un modèle économique orienté vers l’exportation et l’industrialisation. La promotion des IDE a été principalement canalisée par la mise en place d’«écosystèmes industriels» créés avec le solide appui de l’État (qui finançait la formation locale), notamment une fiscalité favorable et d’un accès aux terrains. Ainsi, le Maroc est devenu un important fournisseur des chaînes de valeur mondiales dans les secteurs de l’habillement, de l’automobile et de l’aérospatiale. En 2021, les industries manufacturières et l’immobilier sont restés des bénéficiaires significatifs des IDE. Néanmoins, l’impact des entreprises étrangères et de leurs filiales sur le tissu productif local reste limité de même que leur création d’emploi.
Selon la BAD, cette situation montre que les défis de l’industrialisation restent de taille au Maroc, qui se trouve à un stade intermédiaire de sa transition industrielle. Compte tenu de la dynamique de spécialisation enclenchée, l’un des enjeux majeurs est celui de la montée en gamme de l’industrie et d’une plus grande intégration du tissu de PME/PMI aux chaînes de valeur régionales et mondiales. «Le développement du capital humain, la modernisation des entreprises, la diversification spatiale des activités industrielles et des marchés d’exportation, ainsi que l’attractivité renforcée des investissements dans les activités à forte valeur ajoutée, y compris les services industriels, sont nécessaires pour que le pays poursuive sa mutation industrielle et en retire les pleins bénéfices sociaux et économiques», est-il indiqué.
Le rapport estime que le Maroc a fait preuve de réactivité et de résilience face au choc sanitaire, par l’adoption immédiate de mesures de sauvegarde des entreprises et des emplois industriels, et d’opportunisme stratégique, réinsufflant une dynamique à sa politique industrielle. La période post-Covid-19 est propice à la promotion du Maroc dans les chaînes de valeur mondiales et régionales. Le Maroc, en tant que partenaire privilégié de l’Union européenne dans le voisinage euro-méditerranéen, est bien placé pour accueillir des activités rapatriées de zones plus lointaines. C’est aussi l’opportunité de renforcer la croissance intensive des activités à plus forte valeur ajoutée, à travers une montée en gamme et le développement de segments plus complexes, suivant la dynamique de division internationale des processus productifs conduisant à la localisation, dans les pays en voie d’industrialisation, de tâches industrielles qualifiées (conception, logistique, R&D, etc.). Cet enjeu appelle une amélioration permanente du système d’innovation, et la prise en compte des nouveaux enjeux de la compétitivité et de l’attractivité industrielle, notamment en termes de technologies avancées et d’environnement numérique.
De même, le Maroc dispose d’un gisement notable de croissance industrielle dans le cadre de son marché domestique et du marché continental. L’amélioration du niveau de vie de la population offre un marché dynamique aux entreprises industrielles locales. Par ailleurs, les industriels marocains peuvent trouver un relais de croissance dans l’expansion vers les marchés régionaux d’Afrique. Ils pourraient y bénéficier d’avantages concurrentiels relevant d’une compétitivité prix (avec des produits moins coûteux que ceux importés de l’Union européenne, par exemple) et d’une compétitivité hors prix. D’ailleurs, le plan de relance industrielle 2021-2023 soutient l’orientation vers la substitution aux importations et la conquête des marchés africains.
La BAD salue également la création du Fonds Mohammed VI pour l'investissement qui est notamment organisé en sous-fonds, dont la restructuration industrielle, la promotion de l’innovation et le soutien aux TPME. Pour la Banque africaine, ces outils institutionnels forment un cadre d’intervention stratégique pour les autorités et seront mis au service d’une nouvelle accélération du développement industriel, en visant particulièrement l’appui aux PME/PMI.
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