Société

Le quotidien difficile des patients hémophiles au Maroc

Risque d’hémorragie fréquent, invalidité, manque de structures de soins, traitements extrêmement coûteux et difficile d’accés… les patients atteints d’hémophilie au Maroc vivent un calvaire au quotidien.

17 Avril 2023 À 11:05

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Environ 3.000 personnes souffrent d’hémophilie au Maroc. La Journée mondiale de l’hémophilie, célébrée le 17 avril de chaque année, est l’occasion de mettre en avant le combat quotidien que mènent les personnes atteintes de cette maladie hémorragique héréditaire, souvent handicapante. Elle est due au déficit ou à l’absence d’une protéine qui intervient dans la coagulation du sang : le facteur VIII ou le facteur IX. C’est-à-dire que la personne hémophile ne parvient pas à former un caillot solide au cours du processus de la coagulation.

L’hémophilie A, la plus commune, se caractérise par un déficit en facteur VIII. L’hémophilie B, plus rare, concerne le facteur IX. Le diagnostic est souvent posé durant les premiers mois de vie lorsque le bébé quitte les bras de sa mère, et devient exposé aux premiers traumatismes.

L'hémophilie: Les signes qui doivent alerter

Les hématomes et les saignements constituent alors le signe principal de l’hémophilie. Ils peuvent apparaître dans n’importe quelle partie du corps, et leur gravité dépend principalement de leur localisation, et de l’importance du déficit en facteur de la coagulation. Dans les formes sévères, les saignements surviennent après des chocs minimes et peuvent passer inaperçus. Si le patient n’est pas pris en charge rapidement, certaines hémorragies internes graves peuvent être mortelles. C’est pourquoi il est important de reconnaître les symptômes des saignements pouvant être graves. Lorsque le patient souffre d’une hémorragie interne au niveau des articulations, cela provoque des douleurs intenses. Les saignements répétitifs engendrent souvent des handicaps.

Contacté par nos soins, Mohamed Ezzi, vice-président de l’Association nationale des amis et parents d'hémophiles (ANAPH), affirme que les personnes atteintes d’hémophilie au Maroc livrent un combat quotidien pour surmonter les nombreuses difficultés qu’elles rencontrent que ce soit sur le plan de la santé ou de leur vie sociale. «L’hémophilie est une maladie congénitale chronique souvent invalidante, notamment lorsque le patient souffre d’hémorragies au niveau des articulations. Les personnes hémophiles au Maroc trouvent beaucoup de difficulté à vivre «dignement et normalement» comme tout le monde. Elles doivent se munir de beaucoup de patience et avoir la rage de vaincre pour surmonter tous les obstacles», déclare-t-il. Et d’ajouter que «dès leur enfance, les patients doivent faire face à des situations difficiles, notamment à l’école où ils sont souvent rejetés. En effet, les établissements scolaires n’acceptent pas les enfants hémophiles, en général, de peur qu’ils aient un grave accident en jouant ou en trébuchant. À l’âge adulte, une personne souffrant d’hémophilie n’est pas complètement libre dans le choix de la profession qu’elle souhaite exercer. Elle ne peut pas choisir par exemple un métier physique où le risque d’avoir des accidents est plus élevé».

Le manque de structures de soins à la tête des problématiques

Le vice-président de l’ANAPH souligne, par ailleurs, que les patients hémophiles au Maroc doivent faire face à d’autres problèmes tels que le manque de sensibilisation et d’informations sur la maladie ce qui met leur vie en danger. À cela s’ajoutent des comportements non éthiques de certains professionnels de la santé. «Selon les témoignages des patients hémophiles de l’ANAPH, ces derniers sont souvent harcelés par certains laboratoires pharmaceutiques, les incitant à prendre des médicaments précis et à abandonner ceux qu’ils ont déjà et qui conviennent le mieux à leur cas. Il arrive également que des patients qui se rendent dans des centres de santé pour se faire soigner soient redirigés vers des médecins privés, ce qui n’est pas du tout éthique», déplore M. Ezzi. Ce dernier pointe également du doigt le manque de structures de soins, que ce soit dans le milieu rural ou urbain. «Il existe uniquement deux centres de référence pour le traitement de l’hémophilie au Maroc qui se trouvent à Rabat et Casablanca. Ces centres sont bien équipés et assurent une prise en charge exemplaire des personnes hémophiles. Malheureusement, ils sont difficiles d’accès pour les patients qui vivent dans d’autres villes et qui nécessitent une prise en charge immédiate. Sans parler du risque d’accident en chemin qui peut leur être fatal. De même, les laboratoires de dosage et de dépistage de l’hémophilie n’existent que dans les villes de Casablanca et Rabat, ce qui retarde la prise en charge des patients des autres régions mettant leur vie en danger. Il est donc urgent de généraliser ces laboratoires et les centres de références sur l’ensemble des villes du Royaume», indique notre interlocuteur.

La prise en charge des patients hémophiles, plus qu'une urgence

«Parmi les raisons qui retardent aussi la prise en charge des patients hémophiles, lorsqu’ils ont un autre souci de santé, est le manque de prescripteurs. Ils sont toujours obligés de se rendre chez leur hématologue qui peut être dans une autre ville pour avoir son accord avant de faire n’importe quelle intervention, même pour un simple soin dentaire. Si les médecins généralistes étaient formés aux particularités de l’hémophilie, cela faciliterait la tâche aux patients et leur permettrait d’accéder aux soins dans de meilleurs délais», explique M.Ezzi. Le vice-président de l’ANAPH évoque enfin le problème des traitements de l’hémophilie qui sont excessivement chers et difficiles d’accès pour les patients. «Les médicaments pour le traitement de l’hémophilie sont très coûteux et ne sont pas tous remboursables. Les patients affiliés aux compagnies d’assurances privées atteignent rapidement le plafond annuel même lorsque celui-ci est fixé à 1 million de dirhams.

Les patients affiliés à la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS) sont pris en charge à hauteur de 100% et ceux affiliés à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) sont pris en charge à hauteur de 97%. Mais là encore, certains médicaments ne sont pas remboursables. Les patients doivent faire appel à l’Agence nationale de l'assurance maladie (ANAM) et attendre son accord pour pouvoir prendre leurs médicaments, ce qui retarde encore une fois la prise en charge de la maladie», regrette M. Ezzi. Ce dernier appelle les autorités à agir pour améliorer la prise en charge des patients et leur accès au traitement en rendant tous les médicaments pour le traitement de l’hémophilie remboursables et en augmentant le taux de prise en charge de la CNSS à 100% tout en supprimant les tickets modérateurs.

Lire aussi: Lancement de la première base de données électronique de l’hémophilie et des maladies hémorragiques au Maroc

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