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La politique d’aménagement du territoire du Maroc doit tenir compte des séismes (Expert)

Étant un pays potentiellement exposé aux phénomènes sismiques, le Maroc doit apprendre à mieux se préparer aux catastrophes comme le séisme du vendredi 9 septembre, souligne Mohamed Jalil. À cet égard, cet expert en catastrophes naturelles, changements climatiques et développement durable estime que la meilleure approche à adopter est celle qui consiste à passer de la gestion de la crise à la gestion des risques. Et là, force est de constater, selon lui, que le Royaume est déjà dans cette logique. Car outre l’adoption de la réglementation parasismique, les pouvoirs publics œuvrent pour la généralisation des Cartes d’aptitude à l’urbanisation, «qui devraient permettre d’intégrer dans la politique d’aménagement du territoire les risques géophysiques comme les tsunamis et les séismes».

Mohamed Jalil, expert en catastrophes naturelles, changements climatiques et développement durable, invité de «l’Info en Face»

10 Septembre 2023 À 21:17

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Mohamed Jalil, expert en catastrophes naturelles, changements climatiques et développement durable, affirme que le Maroc est un pays vulnérable aux séismes, c’est-à-dire que c’est un pays avec une activité sismique importante. «Les études montrent que beaucoup de failles sismiques traversent le Maroc qui est également situé sur la ligne de la faille qui traverse la Méditerranée. Et puis, il y a aussi une multitude d’enchevêtrement de petites failles qui sont à l’origine de beaucoup de petits séismes qu’on ne ressent pas. Donc le Maroc est un pays vulnérable d’un point de vue sismique». Mais selon le même expert, il n’y a pas que les risques sismiques qui menacent le Maroc. Notre pays, estime-t-il, est exposé potentiellement à d’autres catastrophes naturelles d’ordre géophysique comme les glissements de terrain ou les tsunamis. «Si le séisme du 8 septembre dernier avait eu lieu en mer, on aurait eu un tsunami dévastateur. Et le Maroc en a déjà connu par le passé».

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Peut-on anticiper les catastrophes naturelles ?

Étant un pays potentiellement exposé, le Maroc ne doit-il pas se préparer aux phénomènes naturels violents ? La question a tout lieu d’être posée, et selon Mohamed Jalil, la meilleure approche à adopter est celle qui consiste à passer de la gestion de la crise à la gestion des risques. «Car il ne faut pas attendre l’avènement de la catastrophe pour agir. Il faut agir de manière proactive. «Quand on connaît nos vulnérabilités, il nous appartient d’orienter nos efforts, nos actions et nos politiques publiques de manière à gérer proactivement les catastrophes pour en minimiser l’impact», explique-t-il. Mohamed Jalil précise dans ce sens que le Royaume est déjà dans cette logique. Il en veut pour preuve les enseignements tirés des tremblements de terre d’Agadir et d’Al Hoceïma. «Concernant le séisme d’Al Haouz, on n’a pas déploré beaucoup de morts dans les zones urbaines, car on a mis en place une réglementation parasismique qui fait que les habitations sont plus résistantes aux secousses telluriques». Il est évident en effet, selon l’expert, qu’une gestion des risques réduit les dégâts puisqu’il est quasi impossible de gérer les effets d’une catastrophe après son avènement. «L’onde de choc dans le cas du séisme d’Al Haouz a fait 40 secondes pour parvenir à Casablanca. En ce laps de temps, on ne peut pas faire grand-chose. L’alerte précoce ne sert pratiquement à rien en cas de séisme. En cas de tsunami ou d’inondation, l’alerte précoce peut faire la différence. Cela dit, on peut pousser la recherche plus loin de manière à cartographier les zones sismiques pour avoir des alertes qui pourrait donner quelques dizaines de secondes qui permettront aux gens de se mettre à l’abri», précise-t-il.

Vers des cartes d’aptitude à l’urbanisation

Outre le renforcement de la réglementation parasismique, le ministère de l’Habitat a lancé un important projet de nature à contribuer aux efforts de gestion des risques. Il s’agit du projet consistant à élaborer les cartes d’aptitude à l’urbanisation, qui devraient permettre d’intégrer dans la politique d’aménagement du territoire les risques géophysiques comme les tsunamis et les séismes. «L’enjeu est de mettre à niveau les documents de l’urbanisme pour tenir compte des vulnérabilités géophysiques et géologiques et avoir une visibilité sur la vulnérabilité de chaque zone afin de pouvoir prendre les mesures adéquates en matière d’urbanisation», explique Mohamed Jalil. Ce projet participe des efforts visant la gestion des risques. Et dans ce cadre, l’expert insiste sur l’importance du «relèvement de la crise». «Cela veut dire qu’il faut tirer les enseignements de cette catastrophe pour qu’on soit capable d’atténuer les effets des crises similaires dans le futur». Dans ce cadre, il faut commencer par insister sur la nécessité d’un diagnostic rationnel et serein pour «déceler les insuffisances et lacunes sur tous les plans… administratif, logistique et même en termes de politiques publiques. C’est un débat tout à fait légitime». Le relèvement de la crise doit se faire aussi sur les moyen et long termes. Et là des questions méritent d’être posées, selon l’expert, notamment en ce qui concerne les habitations menaçant ruine ou encore la généralisation des normes parasismiques sur l’ensemble du territoire, notamment en milieu rural. D’où la question de la pertinence de l’interdiction de la construction en terre cuite dans les régions à risques. Pour Mohamed Jalil, il ne faut pas interdire systématiquement les constructions en terre, car ces dernières font partie du patrimoine culturel et urbanistique du Maroc. «Dans certaines zones, il faut certes avoir le courage d’interdire ce genre de matériau, il y va de la vie des gens. Dans d’autre, il faut continuer à l'utiliser, mais selon des normes qui garantissent la résistance aux secousses», explique-t-il. Par ailleurs, M. Jalil insiste sur l’impératif de renforcer le système de monitoring et d’alerte précoce de catastrophe. Dans ce cadre, il souligne qu’il faut œuvrer pour développer un système d’observation sismologique qui peut évoluer par la suite vers un système d’alerte précoce. «Notre manière de nous préparer aux catastrophes doit être améliorée de sorte à permettre des interventions plus rapides et plus ciblées», dit-il, relevant que parallèlement à cela, il est important de renforcer la coopération entre le secteur de construction et les universités de manière à développer la recherche et l’innovation en matière de matériaux de construction locaux.

Pourquoi le bilan du séisme d’Al Haouz est-il si lourd ?

Pour Mohamed Jalil, expert en catastrophes naturelles, changements climatiques et développement durable, le bilan actuel du séisme d’Al Haouz est provisoire et il faut s’attendre à plus de dégâts matériels et humains. «C’est une catastrophe majeure. Il y a des villages ensevelis sous les décombres. Toutes les routes ne sont pas encore ouvertes et on n’arrive toujours pas à atteindre des localités enclavés», déplore-t-il. Pour cet expert, il est «normal» que le bilan soit lourd. Et d’ajouter que l’épicentre a été localisé dans la commune d’Ighlil, une zone montagneuse. D’après des sismologues et géophysiciens, c’est une faille nord-sud-atlasique qui est la continuité de la faille qui va jusqu’à Agadir. Sur le plan de l’aménagement du territoire, c’est une zone rurale, avec des douars épars et des habitations éparpillées. La superficie est vaste. Du point de vue de la topographie et des reliefs, la zone est difficile d’accès, ce qui complexifie les efforts de secours. Selon le même expert, les sismologues et les géophysiciens estiment que la force du séisme d’Al Haouz est très grande et qu’il est rare d’enregistrer une secousse d’une telle intensité, 7 sur l’échelle de Richter. C’est pourquoi, il est primordial selon lui de procéder à l’auscultation des barrages, des ponts et des ouvrages d’art pour évaluer les dégâts potentiels.

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