Fête du Trône 2006

Administration et défense du citoyen

Le dahir n° 1-01-298 dont lecture a été donnée, ce mardi 11 décembre 2001, en séance plénière du Conseil consultatif des droits de l'Homme et dont les orientations générales ont été explicitées par le Message Royal dont la lecture fut donnée par S.A.R. le

13 Décembre 2001 À 17:08

Il est utile de présenter l'institution dans ses traits saillants et de la situation par rapport au droit comparé sachant bien que le "Diwan Al Madhalim” relève d'un type de contrôle de l'Administration très original dont on a souvent imputé l'origine à l'institution suédoise de l'ombudsman” bien que son essence au Maroc soit intimement liée à l'idée de justice et d'équité de la "wilayat Al Madhalim” dont le Souverain est le garant et le comptable devant la communauté.
Rappelons d'abord qu'avant le protectorat un "vizir des Chikayat” figurait dans la structure du gouvernement sultanien et qu'il était assigné à jouer largement le rôle du "redressement des torts” tel que le décrit la littérature classique telle chez Al Mawardi et Ibn Khaldoun (v. A. Jazouli, Le Matin du Sahara du mardi 11 décembre 2001 p. 2).

Analyse


Le protectorat fut donc une parenthèse puisqu'à l'Indépendance, un "Bureau de recherches et d'orientation” fut créé auprès de S.M. le Sultan (feu S.M. Mohammed V) par le dahir du 10 novembre 1956 et celui du 16 avril 1957 ayant pour mission de recevoir les requêtes et doléances des Marocains victimes d'iniquités, une expérience timide et qui vient d'être abrogé par l'actuel dahir instituant le "Diwan Al Madhalim”.
C'est affirmer une continuité historique relative à cette institution quelle que soit l'effectivité dont elle a pu imprégner la relation administration administrée. L'observation est de taille car elle permet d'évaluer l'actuel "Diwan Al Madhalim” à sa juste valeur et surtout par rapport à sa portée originale dans le droit comparé.
Le dahir n° 1.01.298 portant création de l'institution "Diwan Al Madhalim” repose sur un large exposé des motifs composé de neuf "considérants” qui expliquent largement l'esprit du texte quant à la base constitutionnelle (article 19), au motif cardinal de la garantie de la justice et de l'équité, à celui du nouveau concept d'autorité, aux relations avec le Conseil consultatif des droits de l'Homme, à la seule dépendance de l'Institution vis-à-vis du Roi, des relations qu'elle entretient avec le Premier ministre et les ministres et du rapport annuel exhaustif adressé au Roi et des rapports au Premier ministre et au CCDH.
Il ne fait point de doute qu'une telle architecture mérite de plus amples discussions dont la science légistique marocaine retiendra les tendances.
La présente analyse se veut didactique et ne dispense nullement d'apprécier d'une manière exégétique la terminologie, la stylistique et les apports du dahir en question sur un sujet déterminant dans les mécanismes de l'instauration d'une véritable démocratie qui facilite au mieux l'expression du citoyen. Or, "le médiateur” est une institution clé.
Désig110n : le "Diwan Al Madhalim” marocain est l'institution créée auprès du Roi "chargée de promouvoir l'intermédiation entre d'une part, les citoyens ou groupes de citoyens et d'autre part, les administrations ou tout organisme disposant de prérogatives de puissance publique et d'inciter ceux-ci à observer les règles de la primauté du droit et de l'équité” (article 1).

Fonction


Cependant, la personne chargée de la fonction pour réaliser ce but est le "wali Al Madhalim” (le médiateur ou l'ombudsman) nommé par le Roi pour une durée de 6 ans renouvelable. Le médiateur marocain peut désigner des délégués, avec l'autorisation, du Roi, auprès du Premier ministre et des départements ministériels, ainsi que des délégués régionaux. Des délégués assignés, à des questions ayant trait aux difficultés particulières peuvent être désignés.
Ainsi, le "Diwan Al Madhalim”, et le médiateur "wali Al Madhalim”, est une éma110n Royale dans la mesure où la base constitutionnelle invoquée dans l'exposé des motifs est l'article 19 :
"Le Roi, Amir Al Mouminine, représentant suprême de la 110n, symbole de son unité, garant de sa pérennité et de la continuité de l'Etat, veille au respect de l'Islam et de la constitution. Il est le protecteur des droits et libertés des citoyens, groupes sociaux et collectivités.
Il garantie l'Indépendance de la 110n et l'intégrité territoriale du Royaume dans ses frontières authentiques”.
Ceci mérite d'être soulevé car le rattachement à l'institution Royale renforce l'indépendance de cette institution mais la rétablit dans ses bases historiques et dans ses justifications constitutionnelles quant à la représentation au cœur de l'intermédiation qu'est censée promouvoir la wilayat Al Madhalim des ses origines.
Compétence : l'approche déductive permet d'affirmer que le "wali Al Madhalim” ne doit pas se substituer aux "administrations ou tout organisme disposant de prérogatives de puissance publique” dans son rôle d'intermédiaire en vue "d'inciter ces derniers à observer les règles de la primauté du droit et de l'équité”. (article 1).
Il est clair que son intervention est strictement définie (article 5) soit suite à un ordre Royal afin "de procéder à toute enquête sur des faits entrant dans ses compétences et de faire rapport” au Roi ; soit suite à des plaintes et doléances portant sur des "décisions ou activités jugées contraires aux règles de la primauté du droit et de l'équité” émanant des organismes précités ou enfin suite à une saisine du CCDH sur des plaintes que ce dernier auraient reçues relatives à la compétence du wali Al Madhalim.
Il reste néanmoins explicite que le dahir du 9 décembre 2001 permet de délimiter les compétences du wali Al Madhalim d'une manière négative, à partir de ce qu'il ne peut pas faire (article 6) : les plaintes concernant les questions pour lesquelles la justice est saisie ; les doléances visant la révision d'une décision de justice inovocable (c'est-à-dire portant atteinte à l'autorité de la chose jugée), les requêtes relatives à la compétence du Parlement, celles du CCDH (auquel il transmet les plaintes reçues) et toutes les affaires par lesquelles le requérant n'a pas déjà entrepris les démarches légales préalables (recours gracieux…)
Le dahir éclaire bien sur l'originalité de l'Institution dans la mesure où elle complète en réalité des autres contrôles classiques exercés sur l'administration et tend à favoriser une fonction d'intermédiation qui, par son indépendance, peut favoriser le dialogue avec l'administration sans s'immiscer dans sa gestion.
Procédure : De nombreuses conditions de procédure sont retenues dans le dahir.
Le plaignant doit avoir intérêt à agir et sa plainte doit parvenir au wali Al Madhalim ou à ses délégués ministériels ou régionaux "directement ou par le requérant ou par l'intermédiaire du représentant dûment mandaté de la personne concernée” (article 7). On constate ici le souci de faciliter la saisine du médiateur.
La recevabilité des plaintes et doléances exige des conditions formelles : un écrit, la motivation, la signature du requérant en personne et les démarches déjà effectuées pour faire prévaloir ses droits (historique du dossier). Mais la requête par voie orale est réputée légale sur la base de pièces justificatives et d'une consig110n par le délégué.
L'article 9 explicite la procédure suivie par le wali Al Madhalim sur la base d'investigations "afin d'établir la réalité des faits portés à sa connaissance” et provoque les explications des autorités concernées à ce sujet. Ces dernières sont tenues de porter tout le concours nécessaire au wali et à ses délégués principalement la communication de documents relatifs à la plainte "à l'exception de ceux couverts par le secret d'Etat”. Cette dernière notion est cruciale et permet déjà d'augurer un avenir en matière d'interprétation dans la mesure où au centre de la fonction du "Tadhallum” se trouve la protection des libertés individuelles et collectives.
La procédure envisage également que l'intermédiation œuvre pour "la conciliation” entre administration et administrés si elle permet de redresser l'injustice et de rétablir le droit et l'équité. Une condition formelle de taille est celle qui fait obligation au wali Al Madhalim d'adresser "des recommandations, des suggestions et des observations” aux administrations concernées.

Doléances


Contrôle : D'une manière interprétative, le contrôle du wali Al Madhalim porte sur la "maladministration” car il y a une caractéristique commune à toutes les plaintes de maladministration. Elles sont accorditoires en ce sens que le particulier accuse un département de commettre une faute dans l'exercice de ses pouvoirs administratifs.
La notion de maladministration recouvre les fautes ou les défauts dans les procédures à mettre en œuvre mais le wali Al Madhalim, comme l'ombudsman, doit se refuser à apprécier l'opportunité des décisions prises. Il est au contraire une force de proposition nouvelle telle que la suggère l'article 12 : «Le wali Al Madhalim présente au Premier ministre des suggestions de portée générales, des mesures de nature à faire justice aux doléances des propositions concernant les mesures à prendre pour améliorer l'efficacité des administrations» défaillantes».
Efficacité : Le wali Al Madhalim communique ses conclusions aux départements intéressés, au Premier ministre, au CCDH. Les rapports annuels notamment le «rapport annuel exhaustif» adressé à S.M. le Roi montrent bien que le rôle assigné à cette institution a toutes les chances d'être efficace.
L'indépendance que lui garantit son rattachement direct à S.M. le Roi, son autonomie financière acquise puisque son budget relève de la Cour Royale (art. 16), ses ressources humaines exigeant certainement compétence et expérience sont à même de faire du «Diwan Al Madhalim» une véritable autorité de mission indépendante à vocation médiatrice capable de rétablir le fondement du pouvoir classique du Souverain pour «redresser les abus» en tant que Commandeur des Croyants et de mettre le Maroc dans le sillage des démocraties avancées ayant adopté l'ombudsman en tant qu'institution moderne.
Le «Diwan Al Madhalim» et le droit comparé : L'idée de «redresser les abus» est une pierre angulaire du droit public musulman classique et il ne faut en aucun cas céder à l'europérocentisme qui a fait souvent de la pensée musulmane le chaînon manquant. Al Mawardi ou Ibn Khaldoun suffisent pour rétablir cette vérité.
La pratique du pouvoir et surtout l'expérience des Etats eu égard à la question centrale de la justice et de l'équité a bien des antécédants. On a déjà relevé que jusqu'à la veille du protectorat un «viziriat des chikayat» existait dans le gouvernement marocain (v. Le Matin du 11.12.01 p.2, A.J).
L'histoire des institutions, même universelle, nous oblige à cette objectivité qui ferait de l'expérience de l'ombudsman suédois dès 1713 une institution postérieure à celle du «wali Al Madhalim» en terre d'Islam, lorsque le Roi Chatles XII, absorbé par la conduite de ses opérations militaires et diplomatiques, nomma dans la capitale un homme de confiance chargé d'être représentant, son «ombudsman» et à cet titre de surveiller la conduite des collecteurs d'impôts, des juges et autres fonctionnaires.
Mais dès qu'il s'agit d'adopter la démarche en termes de modernité quant au fonctionnement de l'Etat, du rôle qui y est assigné à l'administration dans ses rapports au citoyen (administré), de ce que représente le rapport autorité/liberté dans la vie publique, la démocratie est le maître mot. Assurément, l'ombudsman tel que pratiqué en Suède depuis la constitution de 1809, sa spécialisation à partir de 1915 et son évolution tricéphale depuis 1967 fait figure de pionnier dans le «redressement des abus» en tant que partie intégrante du contrôle général de la bureaucratie censée être contrôlée politiquement, d'une manière interne et par voie judiciaire.
C'est ainsi, que l'expérience de l'ombudsman, élargie aux autres pays scandinaves, très tardivement à la Grande- Bretagne (en 1967), à la France (1973) bien que sur des bases très différenciées en raison de la nature du constitutionnalisme adopté dans chaque pays, est un exemple.
Le Maroc entre donc dans le concert des 110ns doté de son ombudsman sans renier ses racines et ses spécificités.
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